Algérie

Le projet des Emirats-Arabes-Unis pour une Algérie sécuritaire doit avorter au plus vite



Le projet des Emirats-Arabes-Unis pour une Algérie sécuritaire doit avorter au plus vite
Beaucoup conviennent en Algérie qu’en un mois et demi de manifestations, le pays est parvenu à obtenir sa seconde indépendance. Après s’être libéré de l’occupant extérieur en 1962, la population algérienne parvenait pacifiquement à se libérer de son dirigeant maintenu au pouvoir très exactement pendant 20 ans. Durant toutes ces semaines, la France est restée très discrète, après des années de relations en accordéon avec Alger, pour finalement saluer le succès de ce que l’on appelle de plus en plus une 'révolution' dans le pays, huit ans après celle de son petit voisin tunisien devenu un modèle pour tout le monde arabe en 2011.



Il est vrai que pendant des décennies, ce sont les Algériens qui ont été acclamés de par le monde pour leur combat entre 1954 et 1962 afin de bouter les Français hors de leur pays. Auréolés de prestige, ils étaient le symbole de la nécessaire lutte d’un peuple pour ses droits fondamentaux et sa liberté à l’égard de toute puissance coloniale. Au moment des Printemps dit-arabes, la région entière a été secouée sauf…l’Algérie. Au nom d’un impératif sécuritaire brandi par le pouvoir décadent et déliquescent pour empêcher les Algériens de s’exprimer et répéter jusqu’à plus soif qu’il y’avait déjà eu un Printemps algérien qui avait mal tourné en octobre 1988. L’ouverture au multipartisme avait accéléré l’arrivée des islamistes qui seront privés de leur victoire en 1992 : 'Nous avons eu par la suite la décennie noire, hors de question de favoriser une quelconque déstabilisation du pays aujourd’hui'. Ainsi, Bouteflika et son clan vampire ont eu un sursis afin de continuer à voler le pays sur la base de cette rhétorique. Mais ce qui est sûr et plus inquiétant encore, c’est que l’Algérie est toujours en proie à la peur de l’influence extérieure et de l’instrumentalisation de son propre pouvoir par un pays tiers : à la peur qui se révèle souvent devenir réalité.



En effet, alors que certains complotistes cherchent toujours à voir la main de la France sur les affaires algériennes dès qu’il y a un bouleversement 'suspect' des équilibres intérieurs, on oublie souvent d’attirer l’œil sur la manière dont certains pays arabes eux-mêmes ont cherché à influencer le destin de leurs semblables. Les Printemps dit-arabes n’ont pas fait que des heureux et l’on a vu se confronter dès 2011 deux visions géopolitiques du devenir du monde arabo-musulman: d’un côté, des régions du Maghreb et du Machrek ouvertes au processus de démocratisation intégrant les islamistes comme toutes les autres forces d’opposition comme une composante normale ; de l’autre une vision sécuritaire et un soutien au retour à l’ordre militaire et politique comme les Emirats-Arabes-Unis l’ont fait. Si la Tunisie a été sous influence pendant tout le processus de transition constitutionnelle avec Abu Dhabi soutenant plutôt Nida Tounes et le camp Essebsi, le Qatar lui tentait indirectement de soutenir le camp opposé et de favoriser les partis politiques longtemps interdits. Aujourd’hui, EAU et Arabie Saoudite cherchent à garder la main sur l’ensemble de sa zone d’influence en soutenant les militaires.



Et on le voit bien, tous ces Printemps ont malheureusement vécu, à part la Tunisie. Mais la vision émiratie (et en sous-main la saoudienne) du Moyen-Orient veut faire de l’Egypte d’aujourd’hui un modèle de pseudo-avenir pour la région: une révolution populaire avortée et un retour à la dictature comme c’est hélas le cas sous le pouvoir d’Abdelfattah Sissi qui a éliminé les Frères musulmans et fait enfermer l’ancien président Mohamed Morsi. L’Egypte d’aujourd’hui est stable et pire que les dernières années du régime de Hosni Moubarak.



Avec une Algérie en transition, les EAU et l’Arabie Saoudite savent qu’ils ont face à eux le plus grand pays d’Afrique, dans la position géostratégique la plus favorable face à l’Europe et au Sahel mais aussi à l’Afrique Subsaharienne et ses ressources. Ils ne sont pas prêts à soutenir une révolution démocratisante qui affaiblirait selon eux les structures et la sécurité et du pays et de l’ensemble de l’espace régional ; mais pousseraient aussi les islamistes (entendez Frères musulmans et compagnie) de toute évidence à jouer un rôle. Les populations n’ont pas vraiment droit de cité. En Algérie aujourd’hui, le clan du chef d’Etat major Gaïd Salah n’est pas prêt à profiter du flottement provoqué par la démission du président Bouteflika et cela arrange Abu Dhabi. Prévue initialement la troisième semaine d’avril 2019, son départ anticipé a pris de cours l’armée. Ayant appelé à la destitution de Bouteflika, Gaïd Salah se voyait sûrement jouer un rôle majeur dans les semaines à venir et au-delà, soutenu par ses amis Emiratis. Or, aujourd’hui, la constitution veut qu’en cas de démission, ce soit le président du Conseil de la Nation, Abdelkader Bensalah, un proche de l’ancien président, qui assure la période de transition jusqu’aux élections.



Le mouvement de résistance des Algériens face à un possible vol de leur combat comme ce fut fait sans complexes en Egypte, doit se poursuivre pacifiquement. Plus il sera pacifique, plus il désarçonnera les tenants d’une vision sécuritaire et militaire de l’Algérie d’après-demain. Les camps risquent de se raidir dans les jours à venir mais l’Algérie doit redevenir au plus vite ce modèle de libération nationale tant jalousé dans les années 1960 : les manifestations de ce vendredi en diront long sur les suites possibles et ce à quoi peuvent être prêtes les forces extérieures pour parvenir à imposer leur volonté au pays. Les Algériens ont-ils fait le plus dur ? Pas sûr.


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