Algérie

"Le problème n'est pas tant dans les textes que dans la pratique"



Ancien député, l'avocat Hakim Saheb a enseigné le droit constitutionnel à l'Université. Il livre ici sa première lecture de la mouture de révision constitutionnelle.Liberté : La Présidence a rendu public le projet de révision de la Constitution. Qu'apporte-t-il de nouveau, selon vous '
Hakim Saheb : La proposition du changement partiel dans la Constitution ne constitue pas, à proprement parler, un changement dans la gouvernance du pays. Elle appelle à des remarques, dans la forme et dans le fond.
Dans la forme, le procédé d'élaboration nous rappelle, à bien des égards, l'adoption des différentes Constitutions ? qui sont nombreuses pour un Etat si jeune ?, qui restent frappées d'un péché originel : la proposition viole le libre choix du citoyen, comme l'avait dit le défunt Ferhat Abbas lors de l'élaboration de la Constitution de 1963 : "Une bonne Constitution doit donner la parole au peuple, si on veut éviter des aventures." Il est impératif et salutaire d'associer le peuple dans ses différents segments, par sa majorité et sa minorité, dans les débats et la proposition.
Cela exige un véritable processus constituant, qui passe nécessairement par une période de transition où l'ensemble des acteurs de la société civile, des représentants légitimes et crédibles, doivent être associés. Ce qui n'est pas le cas. Dans le fond, la proposition ne constitue qu'une énième adaptation des équilibres au sein du pouvoir pour répondre à des impératifs factuels et à des calculs politiques claniques internes au régime, et qui vont, hélas, dans le sens de la consolidation de la fonction présidentielle, contrairement aux attentes citoyennes qui aspiraient et revendiquaient davantage de déconcentration et de répartition des pouvoirs et l'instauration d'une démocratie de proximité.
Dans le contenu, le retour de la fonction de chef du gouvernement ne constitue-t-elle pas une petite évolution par rapport à la situation présente '
Fondamentalement, la proposition en elle-même ne transcende pas le formalisme actuel avec des attributions qui lui permettent de s'immiscer y compris dans la sphère relevant du pouvoir judiciaire et législatif et qui influent corrélativement sur le travail des organes de contrôle et de régulation. Le texte est ainsi marqué par une omnipotence et une hégémonie de la fonction présidentielle. Or, les travers et les méfaits de la concentration des pouvoirs sont aujourd'hui connus. Nous sommes en face d'un régime qui a favorisé un système de type tentaculaire, aggravé par la réalité de la décision qui n'épouse pas souvent les circuits institutionnels formels.
La dénomination de chef du gouvernement n'apporte aucune innovation tant que "le chef de gouvernement", issu de la majorité parlementaire, ne dispose pas de la responsabilité ou d'attributions constitutionnelles élargies, d'autant que, selon la proposition, il reste enfermé dans la délégation du pouvoir du président de la République et il est chargé d'exécuter "le plan d'action" de ce dernier. Nonobstant le changement de dénomination, le chef du gouvernement ne jouit pas, comparativement à la Constitution de 1989, d'un véritable pouvoir réglementaire nécessaire à l'exécution de la loi et à même d'appliquer le programme du groupe parlementaire dont il est majoritaire.
C'est que les auteurs de cette proposition s'obstinent, ne serait-ce qu'à imaginer, qu'un chef du gouvernement peut être issu d'une majorité parlementaire opposée au président de la République. Selon toute déduction, c'était le point d'achoppement au niveau de la commission de rédaction de la proposition, qui s'est posé avec la démission d'un de ses membres, comme c'est d'ailleurs mentionné, in fine, dans l'exposé des motifs. En conséquence, le président de la République n'est en aucune manière responsable politiquement devant le Parlement.
Dans le chapitre lié aux libertés, il est fait état de l'adoption d'un système déclaratif pour la Constitution des associations. La liberté de la presse est également renforcée dans le texte. Cela est-il suffisant ou faut-il d'autres mécanismes pour renforcer les libertés '
Le problème algérien n'est pas tant dans la nature des textes que dans la pratique. Au-delà des intentions et des déclarations de foi, l'essence des constitutionnalismes étant de limiter les pouvoirs des gouvernants. Or, dans notre pays, cette perspective n'a jamais été celle des premiers dirigeants politiques de l'Algérie indépendante.
Pour preuve, les procédés d'élaboration et de révision des différentes Constitutions ont démontré que nous sommes dans un pays du Tiers-Monde où l'exercice du pouvoir emprunte souvent d'autres chemins que ceux du droit. Le véritable problème est dans l'application effective et pleine des textes et pour être franc, autant relever qu'y compris l'actuelle Constitution est à même de garantir le respect de ces droits s'il y avait un minimum de volonté politique. Le problème est dans l'effectivité de leur application, avec un régime qui a imposé son hégémonie et qui s'est accaparé du pouvoir au lendemain de l'indépendance.
La légalité va de paire avec la légitimité. Et cette dernière, est corrélativement liée à la crédibilité de la représentation politique qui reste l'élément indispensable à l'enracinement de la démocratie comme proclamée par cette dynamique citoyenne de 22 février. La définition de ces axes, devant donner naissance à une nouvelle Algérie démocratique, plurielle et solidaire, appelle une refondation nationale et globale qui tienne compte, à la fois, de l'unité mais également de la diversité et de la richesse de l'Algérie. Ce qui n'est pas le cas. La proposition s'inscrit dans la continuité et le même paradigme qui est en vigueur depuis l'indépendance.


Entretien réalisé par : Ali Boukhlef


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