Oliver Eaton
Williamson a passé le gros de sa vie professionnelle à formuler d'abord et à
porter ensuite, à bras le corps, une théorie qui est devenue l'une des plus
célèbres de notre époque: la théorie des coûts de transaction.
Il n'est
pratiquement pas possible de nos jours de parler de management ou d'économie
sans faire appel, à un moment ou à un autre, à cette théorie à travers certains
de ses concepts tels la défaillance du marché, la spécificité des actifs,
l'opportunisme des agents, la hiérarchie, l'internalisation, …
Au début il y eut
Ronald H. Coase
Mais si
Williamson a eu le mérite – que nul ne conteste d'ailleurs – d'avoir formulé
cette théorie, il n'en demeure pas moins toute fois que cette théorie n'est pas
la sienne. En effet, c'est Ronald H. Coase qui, notamment dans un célèbre
article intitulé «The nature of the firm» (1937), jeta les bases de cette
théorie.
Après s'être posé la question de savoir
pourquoi les entreprises existent-elles du moment qu'existe le marché, R.H.
Coase arrive à la conclusion que le recours au mécanisme des prix (c'est-à-dire
au marché) à un coût, et le coût du marché est assez élevé pour justifier
l'apparition des entreprises dont l'objectif est justement de minimiser ce
coût. De ce point de vue, insiste Coase, il y aurait donc défaillance du
marché. Cette analyse fort pertinente - et qui invalide l'hypothèse
néoclassique de la gratuité de l'information – sera reprise, renforcée et
magistralement formulée par Williamson, ce qui fera d'elle l'une des théories
les plus en vogue de notre ère et fit de Coase le prix Nobel d'économie en 1991
pour « la découverte et la clarification du rôle des coûts de transaction et
des droits de propriété dans la structure institutionnelle et le fonctionnement
de l'économie».
Williamson a d'abord cherché à
opérationnaliser le concept de coût de transaction (il fera appel pour cela à
des notions fondamentales comme la spécificité des actifs et l'incertitude).
Ensuite, abordant la fameuse question de la frontière de l'entreprise (une
question récurrente depuis la crise des années 1970) il essaie de comprendre
pourquoi il y a des entreprises à côté du marché ou, si l'on veut, comment se
fait la répartition des transactions entre les entreprises et le marché. Le
tout, semble-t-il dire, c'est de savoir s'il faut «faire ou faire faire» (to do
or to buy)
Malgré son apport et sa participation à la
généralisation de l'analyse, Williamson ne fut pas récompensé avec Coase.
Ironie du sort? Injustice ? Peut-être ! En tout cas cela ne l'empêcha pas de
continuer à travailler sur la théorie des coûts de transaction et d'y faire des
apports considérables depuis un peu plus de trente ans.
Sur le plan conceptuel, et à notre avis, les
apports les plus remarqués de Williamson concernent «l'opportunisme» et la
forme d'organisation «hybride».
De l'opportunisme
et de la forme hybride
Le concept
d'opportunisme a été introduit par Williamson pour caractériser les
transactions qui ont lieu aussi bien entre les entreprises qu'entre les
entreprises et les individus ou entre les individus eux-mêmes.
Williamson fait appel à ce concept,
aujourd'hui fondamental dans la théorie des coûts de transactions, pour
expliquer le comportement
Pour Williamson, l'opportunisme est le
comportement par lequel, en se basant sur la malhonnêteté et le manque de
franchise, une partie (un individu ou une entreprise) cherche à réaliser, voire
maximiser, ses gains individuels dans les transactions. Cette hypothèse
comportementale constitue à la fois le «paradigme Williamsonnien» et la base
même de la théorie des coûts de transaction car elle lui donne tout son sens.
Parce que constituant «une représentation
extrême du comportement humain», le concept d'opportunisme a fait couler
beaucoup d'encre provoquant une grande levée de boucliers de la part des
chercheurs qui lui opposent la notion de «confiance» considérée, dans une
grande partie des travaux actuels en management, en économie, en psychologie et
en sociologie, comme un levier important de motivation et d'efficience stratégique,
mais comme retirer l'opportunisme à la théorie des coûts de transaction revient
à l'invalider, Williamson– tout aussi bien que les défenseurs de cette théorie
– se refusent à admettre les arguments relatifs à la confiance et tentent, à
chaque fois, de démontrer que la confiance est toujours «calculée».
Lors de l'analyse de la répartition des
transactions entre le marché et l'entreprise (la hiérarchie comme il l'appelle
ainsi que Coase), Williamson, et à côté des deux formes d'organisation
existantes (le marché et la hiérarchie) constate l'existence d'une troisième
forme qu'il appelle la forme hybride qui tient des deux modes de gouvernances.
Il s'agit de la concession, de la sous-traitance...
Cette notion aussi a connu au début des
critiques de la part des chercheurs mais pas autant que celle de
l'opportunisme. De nos jours elle semble mieux assise dans le concert des
notions du management et de l'économie.
La première
question
Généralement, on
ne donne pas deux fois le prix Nobel pour la même chose, ce qui fit dire à
certains que Williamson – très prolifique avec plus de 160 articles, et 14
ouvrages recensés en 2007– perd son temps à travailler sur une théorie pour
laquelle un prix Nobel a déjà été attribué et pour laquelle il n'aura donc
jamais de prix Nobel. Mais, et alors que R. Coase s'est carrément retiré dans
sa résidence au sud de la France (né en 1910, il fêterait ses 100 ans le 29
décembre prochain), Williamson, tel un obsédé de la théorie des coûts de
transactions, a continué à mener ses travaux et ses recherches dans le sillon
de Coase.
La persistance de Williamson a fini par être
payante et le Prix Nobel d'Economie 2009, qui lui a été attribué ces jours,
récompense trois décennies de travail intense et d'apports extrêmement
importants non seulement dans les domaines du management et de l'économie mais
dans tous les domaines auxquels touche le néo institutionnalisme. En 2009,
Williamson aurait donc pris sa revanche sur une injustice subie il y a
exactement 18 ans lorsqu'il ne se vit pas attribuer le prix avec Coase.
Toutefois, et bien que largement convaincus que Williamson mérite cette
consécration, on ne peut s'empêcher de poser la question de savoir pourquoi le
prix Nobel d'économie vient récompenser pour la deuxième fois (1991 et 2009) les
mêmes travaux, ceux relatifs aux coûts de transaction?
La deuxième
question
De son côté,
Elinor Ostrom qui partage le prix Nobel d'économie 2009 avec Williamson est
récompensée pour ses travaux portant la gestion des biens communs. En effet, et
contrairement aux idées et aux théories existantes qui stipulent que la gestion
des biens communs est souvent inefficace et qu'il faut donc soit laisser
émerger la propriété individuelle (gestion privée) soit laisser l'Etat s'en
occuper (gestion publique), Ostrom est arrivée à démontrer qu'il existe un
troisième cadre institutionnelle à travers lequel on peut arriver à une gestion
efficace et performante des biens collectifs. C'est pour l'ensemble de ses
travaux qui « portent principalement sur la théorie de l'action collective et
des biens publics (matériels ou immatériels) « (Wikipedia. org) et qui visent à
démontrer la supériorité de la gestion collective sur la gestion privée ou par
l'Etat qu'Elinor Ostrom vient d'être consacrée co-lauréate du Nobel d'économie
2009.
Si l'on rappelle que Ronald Coase, qui a été
consacré lauréat par le comité Nobel en 1991, soutient plutôt la supériorité de
la propriété privée sur les autres formes de propriétés collectives, et que
cela signifie entre autres la supériorité de la gestion privée par rapport à la
gestion collective, on est en droit alors de se poser la question comment se
fait-il que, en l'espace de 18 ans, le Comité Nobel récompense des travaux,
sinon contradictoires, du moins opposés?
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 15/10/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Aissa Hirèche
Source : www.lequotidien-oran.com