Le "prix" du boycott de l'épicier

Bouteille à la mer. Une association de consommateurs, l'Apoce, a lancé un appel à tous les Algériens pour faire du 20 décembre prochain une «Journée sans achats». Une façon de protester contre la hausse des prix qui touche plusieurs produits de large consommation. La plus retentissante et récente hausse a été celle du prix de la pomme de terre. Les fruits ne sont pas en reste. Sans jouer à l'enquêteur chevronné on peut affirmer sans se tromper que la valse des prix est organisée par la spéculation. C'est une chaîne qui part du producteur ou de l'importateur jusqu'à l'épicier du coin. Quelquefois jusqu'au trottoir qui lui fait face. Chacun connaît ce que «deuxième main» veut dire. Il y a la «troisième» et même davantage d'intermédiaires qui s'engraissent en puisant dans le porte-monnaie des ménages. Mais à qui vraiment la faute' Devant une administration qui ne parvient pas à maîtriser la régulation du commerce peut-on en vouloir aux seuls spéculateurs' Qui peut résister à la tentation de se remplir les poches si les richesses ne sont pas gardées' Les membres de l'Apoce le savent mais ils tentent le coup, histoire de faire parler de leur association. C'est la troisième année consécutive qu'ils organisent une telle journée. Sans grand succès. Ils s'accrochent malgré tout. C'est bien! Il y a deux grandes difficultés à régler avant de prétendre pouvoir faire pression sur les intervenants dans le secteur du commerce. La première, nous l'avons dit, est institutionnelle. Sans régulation, point de salut. La seconde tient à la nature même du consommateur algérien. Tous les Algériens ou presque ont assisté, au moins une fois dans leur vie, à la colère d'un consommateur se sentant floué par un commerçant. Souvent, tout en s'en prenant au commerçant, le même consommateur cherche des yeux l'approbation des autres consommateurs comme lui présents sur les lieux. Neuf fois sur 10 c'est l'inverse qui se produit. Le commerçant fait l'unanimité moins une voix. Le client rouspéteur se retrouve seul. Lâché par les clients comme lui. Pourquoi' Pour une part, c'est culturel et une autre, intimement liée à la confiance. Les symptômes dans le premier cas sont l'élimination, acceptée par le client, des catégories de choix (produits de 1er choix et suivants), l'absence de discernement de la qualité (ex: le fameux jus dit «charbete» vendu à la sauvette dans des sachets de congélation), le souci de garder «l'amitié» du commerçant comme pour prévenir son refus de servir et partant, de le croire lorsqu'il affirme être lui-même la victime de «l'Autre». Le deuxième volet étant sa non-adhésion aux associations de consommateurs dont il doute fort du bénévolat de ses membres. A tort ou à raison' C'est un autre débat! Toujours est-il que l'Apoce n'a rien inventé du tout. La «journée sans achats» existe un peu partout dans le monde occidental. Elle est généralement organisée au courant du mois de novembre. Avant les gros achats des fêtes de fin d'année. Ce sont des pays avec lesquels nous ne partageons pas la même culture. Ce sont des pays où l'administration est crédible. Ce sont des pays où le bénévolat des associations est rarement pris à défaut. Il suffit de comparer «les couffins du Ramadhan» qui durent chez nous un mois (émaillés de cas indélicats) avec les «restos du coeur» de Coluche (humoriste français) qui fonctionnent non-stop et sans reproches depuis des décennies. Ceci dit, les membres de l'Apoce ne doivent pas se décourager. Il leur faudra beaucoup de patience et d'immenses efforts pour effacer tous les points noirs cités plus haut. Leur mérite n'en sera que plus grand. Le 20 décembre prochain ils pourront gagner en notoriété. Pour les adhésions, ils devront faire 365 fois par an des actions de défense au profit des consommateurs. Pas seulement la veille du Père Noël!