Algérie

Le printemps en mots décalés



Personne n'a vu venir le printemps. On ne sait pas s'il y a d'autres raisons mais ce n'est pas important, on connaît la plus importante, la plus évidente : le printemps est déjà là depuis février. Personne ne regarde plus les fleurs dans les champs et pour cause, la rose et l'?illet poussent sur le pavé. Personne ne s'émerveille du vert des prairies, il est porté sur les épaules. Personne n'écoute plus le bruissement de l'eau qui coule dans les rivières. L'eau irrigue les gorges déployées. Personne ne scrute les cimes, il est des blancheurs plus tenaces que les neiges éternelles. Personne ne donne sa poitrine en offrande au vent frais, l'asphalte revigore plus que tous les souffles du ciel. Personne ne ramasse le bois à la lisière des forêts, c'est le bitume qui réchauffe les c?urs et les corps. Personne ne regarde défiler les arbres, il y a les interminables processions. Personne n'attend son fruit de saison. Il y a une saison chaque jour réinventée dans des saveurs inconnues. Personne n'est seul, abandonné au milieu du gué, des millions de mains sont à portée de main. Personne ne se réfugie sur sa colline, il faut descendre de son nuage. Personne n'écoute le chant des cigales, il y a des ch?urs plus enivrants dans les bouches sans nom. Personne ne redoute les champs sans blé, il y a un épi dans chaque pas, une moissonneuse dans chaque foulée et une récolte au bout de toutes les escales. Personne ne regarde la mer, les vagues ont déserté l'écume. Personne ne guette les rafiots, il fait bon en terre sèche. Personne ne lève la tête vers le ciel, il est des trajectoires aux mille promesses. Personne n'est debout sur son rocher, il y a plus haut pour la vue. Personne ne veut déserter son ghetto, la prison est une vue de l'esprit. Personne ne voit passer les hirondelles, le printemps s'annonce sur d'autres battements d'ailes. Personne ne voit passer les mouettes, la mer est dans la furie tranquille. Personne ne se demande quel temps il fera demain, il fera beau. Personne ne demande l'heure au soleil, il est maintenant à tous les instants. Personne ne fait attention au passage des caravanes, les chiens sont dans la niche. Personne n'a peur du feu, les allumettes sont à l'abri. Personne ne redoute l'orage, la foule est un refuge rassurant. Personne n'a peur du froid, il y a une couverture dans chaque pan de boulevard. Personne ne parle de printemps, il est arrivé avant le printemps.S. L.


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