Par Ali Akika (*)
Qu'il est beau ce printemps qui a ébloui les peuples et fait trembler les tyrans ! Mais avant que les bourgeons de cette saison ne se transforment en fleurs, des bourrasques ici et là, des vents violents et sibériens venus d'ailleurs peuvent les geler. En Tunisie et en Egypte, des structures surannées mais soutenues par des castes d'un autre âge résistent encore à la pression des peuples. En Libye, la pluie des bombes «made in OTAN» a voilé les lumières espérées d'une nouvelle saison. Tout le monde a le regard tourné vers le monde arabe et les esprits se partagent entre l'espoir d'une ère nouvelle et la hantise de voir ce monde s'enfoncer encore plus dans les ténèbres. C'est ce paradoxe dû à la complexité du monde qu'il faut interroger. Faisons donc un petit détour par les protagonistes de ces moments singuliers de l'histoire de ce début du siècle.
Les peuples arabes, en dépit de leur passé riche et tumultueux, des richesses de leur sous-sol et enfin des positions stratégiques de leurs pays au carrefour des trois continents, ces peuples sont à la fois soumis à des dictatures moyenâgeuses et toujours menacés et même attaqués par l'Occident', un Occident qui a du mal à rompre avec son passé fait d'agressions et de conquêtes.
Confronté à ses propres dérèglements internes et à l'émergence de nouvelles puissances, il se débat pour maintenir à la fois son niveau de vie et garantir ses influences dans le monde. Cette quadrature du cercle est d'autant plus difficile à résoudre qu'il n'est plus l'unique centre de décisions et que ces dirigeants ne sont plus de la «même race» de leurs aînés de la grande époque des empires.
Ainsi donc, le monde est de plus en plus complexe, et ceux qui le dirigent sont de moins en moins aptes à saisir les furieux mouvements qui le traversent. Comme ces dirigeants n'ont point l'envergure de certains hommes qui ont marqué leur époque, ils essaient de combler leur déficit d'hommes d'Etat par un activisme politique que leur permet la possession d'armes aussi sophistiquées que meurtrières.
L'image d'un pseudo philosophe demandant par téléphone à Sarkozy d'intervenir en Libye illustre bien la légèreté d'un agité, pour reprendre la formule de Jacques Chirac.
Bref, les leaders de cet Occident ne sont pas des Alexandre le Grand, stratège de haut vol débordant de courage et habité par l'esprit de découverte d'autres horizons, pas plus qu'ils ne ressemblent à un Robespierre hanté par la mystique et la poésie de la transformation de la société. Ces gens-là ne travaillent pas pour l'histoire comme les géants cités ci-dessus, ils sont devenus des courtiers des maîtres du marché, ces gloutons de matières premières dans leur course frénétique au profit. L'ivresse procurée par ces profits les pousse à se croire au-dessus des lois internationales et à cultiver le mépris de l'éthique.
Qui sont aujourd'hui ces serviteurs du marché ' Ce sont les Obama, Cameron, Sarkozy et autres Berlusconi venus au pouvoir dans le train lancé à grande vitesse, il y a trente ans, par le cow-boy Reagan et la fille d'un British, petit commerçant connue sous le nom de Thatcher. Les dérégulations économiques opérées par ces fous furieux du libéralisme s'avèrent aujourd'hui être une bombe à retardement qui risque d'exploser dans les mains de leurs héritiers.
Pour sortir de cette impasse, ces héritiers poussent leur cynisme jusqu'à vouloir (sans rire) moraliser le capitalisme. Comme ces v'ux ne sont que chimères, ils cherchent d'autres voies pour tenir la tête de leurs maîtres hors de l'eau. Alors, ils flirtent, que dis-je, ils pactisent avec les mouvements islamistes qu'ils n'ont cessé de stigmatiser depuis le 11 septembre 2001. Pourquoi ce revirement ' Leur lamentable échec, qui s'est soldé par des centaines de milliers de morts en Irak et en Afghanistan, a fait baisser le niveau de leur arrogance et contrecarrer leurs ambitions à vouloir dominer les peuples comme au bon vieux temps de la politique de la canonnière.
A cela, il faut ajouter les vastes et profonds soulèvements des peuples du monde arabe. A tous ces chamboulements, les «Bush(és)» d'hier et d'aujourd'hui tentent de s'adapter. Surpris par les émeutes en Tunisie et en Egypte, ils tentent de dévier le cours des torrents qui ont emporté leurs obligés Ben Ali et Moubarak. En Libye et en Syrie, où leurs marges de man'uvre étaient ou sont des plus réduites, ils se sont acoquinés avec des mouvements islamistes qu'ils avaient auparavant pourchassés partout dans le monde.
Pourquoi cette alliance contre nature avec les islamistes ' En vérité, elle n'est pas si étonnante que d'aucuns le prétendent, car pour ces protagonistes et dans ce genre d'affaire, il n'y a pas de place pour la morale. Ce n'est pas la première fois que des alliances de circonstances se nouent entre «les anges et les démons», (sachant que l'ange voit en l'autre un démon et vice versa). Sur la base de leurs «intérêts biens compris», ces deux forces peuvent «s'entendre».
Du reste, ce genre de situation existe depuis belle lurette entre les Anglo-Américains, l'Arabie-Saoudite et la myriade des Etats du Golfe. Quels sont les paramètres qui facilitent de pareils rapproche-
ments ' Pour les assoiffés du pétrole et autres matières stratégiques, ils veulent avoir accès aux puits et assurer les routes de l'approvisionnement régulier de leurs usines et chaumières. Les autres desiderata qui peuvent les heurter comme l'absence de liberté et autres petites joyeusetés des pays soumis à la dictature et à l'obscurantisme, ils feront les efforts nécessaires pour détourner les yeux et passer un deal avec leur conscience.
Quant aux islamistes, adeptes de la liberté de commerce et de la oumma, donc farouche adversaire de la lutte des classes, ils n'ont aucun remord à faire du bizness avec des «mécréants» du moment que ces derniers ne s'ingèrent pas dans leurs affaires régies par une conception étriquée de la morale de l'Islam.
Liberté de commerce et refus de la lutte des classes, autant de notions qui unissent et ravissent ces partenaires «d'un monde mondialisé». Mais ces petits marchandages et ces grandes man'uvres ne garantissent pas le triomphe des protagonistes qui ne sont pas à l'abri des ruses de l'histoire. Les Sarkozy et Cameron se trompent lourdement s'ils pensent que les peuples vont se laisser déposséder de leurs richesses et faire pour eux la police pour garantir leur approvisionnement en pétrole libyen et en uranium nigérien. Dans El Watan du 21 juillet 2011, j'écrivais : «Les peuples du monde arabe ont compris que l'intervention de l'OTAN en Libye n'est pas destinée à éviter un massacre des populations, mais répond à des considérations économiques et géostratégiques. Le pays regorge de pétrole et possède des frontières avec tous les pays du Sahel, une région qui risque à l'avenir de donner des sueurs froides à l'Occident». Nous y sommes, et le défilé de ministres français, anglais et américains à Alger nous donne une idée de la politique que l'Occident compte mettre en place dans cette région. Après avoir fermé les yeux et parfois encouragé les acteurs de la terreur en Algérie, ils demandent aujourd'hui à ce pays de les aider à sortir du guêpier après avoir ouvert la boîte de Pandore hier en Irak et en Afghanistan et aujourd'hui en Libye.
Il faut espérer que dans ce monde arabe, si malmené par les dictatures (notamment aujourd'hui en Syrie et au Yémen où l'on massacre sans rougir de honte) et si convoité pour ses richesse par cet Occident si inquiet de perdre ses privilèges, les peuples sauront trouver en eux des forces d'où émergeront des leaders capables de les débarrasser de la peste domestique sans attraper le choléra qui tombe du ciel comme en Libye.
* Cinéaste
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Posté Le : 11/12/2011
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : El Watan
Source : www.elwatan.com