Algérie

Le Printemps arabe, les dictateurs et l'Occident



Il y a quelques jours, j'ai reçu un appel d'un ami toujours très attentif à mes écrits. « J'ai l'impression que tu verses dans le politiquement correct » m'a-t-il dit en m'expliquant qu'il s'étonnait de ne pas me voir m'indigner quant à ce qui peut s'écrire et se dire à propos des bombardement de l'Otan en Libye ou des appels aux sanctions contre le régime syrien. Je dois préciser que cet ami est un démocrate convaincu mais que, comme nombre d'Algériens, il refuse de se laisser prendre au jeu de la propagande occidentale concernant les régimes de Kadhafi et d'Assad.

De même, ai-je eu une longue conversation avec un confrère égyptien sur la légitimité qu'il faut accorder ou non au Conseil national de transition libyen (CNT) du fait de l'intervention de forces étrangères, essentiellement occidentales, pour le soutenir. Pour ce journaliste très attaché à l'idée de souveraineté nationale, l'Occident a décrédibilisé la révolution libyenne en devenant partie prenante du conflit. Je vous épargnerai notre dialogue de sourd à propos de l'inévitable question de savoir s'il fallait ou non intervenir pour sauver – ou protéger – Benghazi.

Cette vigilance à l'égard de la remise en cause des souverainetés nationales des pays arabes est légitime. Pour autant, et au risque de répéter ici ce que j'ai déjà écrit dans de précédentes chroniques, il aurait fallu y penser avant. Si l'Otan bombarde la Libye, c'est parce que Kadhafi lui en a donné l'occasion. Si les grandes manÅ“uvres ont commencé pour mettre au ban le régime d'Assad Jr, c'est bien parce que ce dernier est un dictateur qui fait vivre son peuple dans la terreur.

On ne le répétera jamais assez. Les tyrans sont les premiers dangers pour l'intégrité et la souveraineté des pays qu'ils dirigent d'une main de fer. Il est trop facile de s'en prendre ensuite à l'Occident quand arrive l'heure de l'invasion ou de l'embargo. Il est trop simple de dire que c'est la faute aux anciens colonisateurs, d'affirmer qu'ils ne sont mus que par des réflexes de revanche et de conclure que, finalement, nous en sommes encore à vivre au siècle de la canonnière.

Il ne faut pas être naïf. La marche du monde n'est que l'opposition violente, masquée ou amortie, c'est selon, d'intérêts divergents. L'altruisme, la générosité, l'acte gratuit, ne font pas partie des outils de la diplomatie ni des stratégies des nations. Le comprendre une bonne fois pour toute, c'est se donner les moyens de ne plus céder de manière systématiques aux théories du complot. C'est aussi cesser de voir le monde arabe comme étant la victime préférée de l'Occident. En matière de géopolitique, tout n'est que rapport de forces.

Pour moi, les choses sont claires. Les Libyens comme les Yéménites, les Bahreïnis ou les Syriens méritent bien mieux que leur sort actuel. Ces peuples qui ont eu le courage de se soulever et de s'attaquer au mur de la peur ont le droit de vouloir se débarrasser de leurs tyrans. C'est que je leur souhaite. Et, finalement, que ces dictateurs s'en aillent de par la colère du peuple ou qu'ils soient forcés de le faire parce que des gouvernements étrangers font pression sur eux m'importe peu. L'essentiel est qu'ils dégagent et que leurs successeurs sachent que le peuple pourra de nouveau envahir la rue s'il le faut.

La crainte du « pire que le pire », c'est-à-dire la peur que le désordre succède à l'ordre imposé par le dictateur, n'est pas un argument. Il a trop été utilisé par les tyrans et justifié le statu quo. On me dira que pareil raisonnement justifie l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis en 2003 puisqu'au final, Saddam Hussein a été chassé du pouvoir. J'étais contre cette guerre mais il est temps de reconnaître que quelque chose est en train de se bâtir en Irak même si ce pays continue de faire la une de l'actualité en raison de la violence aveugle qui l'ensanglante.

Comment peut-on encore défendre le régime d'Assad quand on voit ce qu'il advient actuellement des manifestants syriens ? Comment peut-on défendre l'idée que ce boucher est maître chez lui et qu'il faut se garder de condamner son pays, fer de lance dans la lutte contre l'impérialisme (ce qui ne l'avait pas empêché de participer à la coalition internationale contre l'Irak durant la Guerre du Golfe de 1991…). Dans ce genre de situation quel est l'intérêt des peuples ? Que le dictateur et sa clique restent en place au nom de la stabilité et de la souveraineté du pays ? Ou alors qu'ils s'en aillent quitte à ce que cela passe par une ingérence occidentale ? A choisir entre deux maux, je préfère de loin le départ du tyran quels qu'en soient la cause et les moyens.

Bien entendu, il est tout de même des soutiens au Printemps arabe qui ne méritent aucune considération. Quand le « philosophe » Bernard-Henry Lévy se met en tête de défendre les Syriens après avoir volé au secours des Libyens, on sait très bien qu'il ne s'agit pour lui que de se mettre en scène et d'exister sur le plan médiatique. Que des membres du CNT lui aient promis de nouer des relations avec Israël ou, encore plus insolite, de mettre en place un régime laïc une fois Kadhafi tombé, ne me choque guère. Ne soyons pas naïf. Ces membres du CNT ont très bien compris tout l'intérêt qu'ils ont à exploiter le carnet d'adresse du Tintin de Saint-Germain des Près. Une révolution, c'est aussi une affaire de communication et tant mieux si BHL peut en être l'idiot utile.

Revendiquer la chute des dictateurs sans se laisser prendre par le chantage à la sauvegarde de la souveraineté n'est pas du pragmatisme qui pourrait mener à de la compromission. C'est juste une position de principe sur laquelle il faut être intransigeant. Il est temps que les dictateurs arabes s'en aillent par tous les moyens. Ils n'ont droit à aucune nouvelle chance. Leur faire confiance pour mener de pseudo-transitions vers la démocratie – et encore faudrait-il qu'ils l'acceptent –serait une erreur majeure.








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