Algérie

"Le pouvoir, frappé d'autisme, fait peur aux Algériens"




Nacer Djabi enseigne la sociologie politique à l'université d'Alger et est chercheur au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread). L'auteur de Algérie : Etat et élites et de La génération des mouvements sociaux et des protestations revient sur les événements d'Octobre 1988 et soumet une analyse sur leur impact dans l'Algérie de 2015, en alertant sur les risques de manipulation du mouvement social et de dérapage sur la scène politique.Liberté : L'Algérie commémore demain (aujourd'hui, ndlr) le 27e anniversaire des événements d'Octobre 1988. Ces derniers sont-ils le résultat d'une manipulation du pouvoir, d'une révolte populaire ou les prémices d'une ouverture démocratique 'Nacer Djabi : Après plus d'un quart de siècle, nous disposons d'éléments d'informations, de témoignages et d'écrits sur ces événements, qui permettent de dire aujourd'hui qu'en Octobre 1988, il y a eu un grand mouvement social initié par les enfants des quartiers populaires qui vivaient dans une situation économique très difficile. De plus, le système politique avait perdu sa crédibilité à l'époque de Chadli Bendjedid et de ses choix politiques et économiques. Mais, ce n'est pas tout. Après les événements d'Octobre 1988, il y a eu plusieurs mini-Octobre 88 et cela se poursuit aujourd'hui encore. C'est une des caractéristiques de la société algérienne depuis l'indépendance du pays. Je veux dire par là que le mouvement social, qui était le moteur de la société, est encore présent et continue de revendiquer certains droits. Seulement aujourd'hui, il n'arrive pas à atteindre les objectifs politiques. En Octobre 1988, la seule force politique qui a pu donner un sens social à ce mouvement était constituée par les islamistes radicaux, ceux-là mêmes qui ont rejoint l'ex-FIS.Vous voulez dire que ce sont les islamistes qui ont encadré ce mouvement social... 'En fait, ils n'ont pas essayé d'organiser ce mouvement, ils l'ont manipulé... et il leur a échappé. Des analyses soutiennent que la force et la faiblesse de l'ex-FIS s'expliquent par la présence de deux abcès, politique et social. Le parti islamiste dissous était à la fois un parti politique et un mouvement social. Mais, l'ex-FIS n'a pas pu maîtriser la force de ce mouvement qui a fini par lui échapper. Tout ça pour dire aussi que la caractéristique du mouvement social algérien est qu'il est à la fois fort et faible. Fort, parce qu'il peut faire sortir les gens dans la rue et les mobiliser autour d'objectifs politiques, comme cela a été le cas pour les élections. Faible, car il ne peut pas aller plus loin et a du mal à canaliser ses forces.M. Djabi, faut-il craindre aujourd'hui, en 2015, un second "Octobre 88" 'Oui, il y a un risque. Les ingrédients d'une explosion sociale existent au moment où la scène politique se trouve affaiblie et vidée. Il y a un risque de répétition, mais où ni les forces politiques d'opposition ni le pouvoir ne seront gagnants dans l'affaire. La situation sociale est proche de l'explosion et il y a risque de manipulation du mouvement social. De plus, nous sommes devant un pourrissement de la scène politique qui risque aussi de donner lieu à des dérapages dans la scène politique. À partir de là, tout le monde, opposition et pouvoir compris, peut exploiter une telle situation.Avec le temps, que vous inspire "Octobre 88" 'Nous avons grillé beaucoup de bonnes cartes. Il y avait l'embellie financière... Nous pouvions profiter de cette embellie pour entamer la transition sans heurts et sans pression extérieure. Or, depuis déjà des années, l'extérieur ou l'environnement extérieur international nous pousse à changer, à nous doter d'un système politique légitime, transparent, crédible et efficace. Nous avons raté le coche en 2012, lors des élections législatives. Le régime algérien est rigide et refuse de changer. Il est même frappé d'une sorte d'autisme. Résultat : nous n'avons pas profité ni exploité en notre faveur l'embellie financière et d'autres facteurs, comme le fait que les Algériens soient devenus plus rationnels et plus politiques, en ne faisant plus dans la revendication culturaliste ou idéologique, qui prédominait dans les années 1990. Je veux dire que depuis dix ans, nous assistons à des revendications ayant une grande négociabilité.Peut-on parler d'échec 'Oui, nous avons échoué, car nous n'avons pas pu mettre à profit l'expérience des années 1990. Je dirais même que notre expérience nous a joué des tours, puisque les Algériens ont à présent peur d'entamer le changement. Dans le même temps, le système fait peur aux Algériens : un chantage est fait aux Algériens comme si on voulait leur dire : "Acceptez votre sort et ne demandez pas le changement, sinon ce sont l'impasse et le chaos qui vous attendent !" Nous sommes encore dans ce dilemme... d'ailleurs, nous voyons bien que le système politique, qui refuse le changement consensuel et la négociation, ainsi que les luttes politiques actuelles, n'envisage pas de changement. Vingt-sept ans après "Octobre 88", il est proposé aux Algériens le statu quo. Ni plus ni moins !Comment changer ce système 'C'est justement la question qui reste posée. Mais, poser une telle question revient à émettre deux scénarios. Le scénario de la négociation consensuelle où les partis politiques, les associations et d'autres structures auront un rôle à jouer, et où le changement sera possible. L'autre scénario est celui de l'implosion où le changement passe par la rue et dans la rue et sera un changement par la violence... un changement chargé d'inconnues. Tout cela, dans un contexte international qui n'est pas du tout favorable à l'Algérie.H .A.




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