Publié le 30.06.2024 dans le Quotidien l’Expression
C'est une scène qui serre le coeur, qui noue les tripes. C'est une scène de mort. D'un grand, exemplaire dans sa vie et plus encore dans sa mort. L'homme est un président, Boumediène, mais ce n'est plus le président au regard qui transperçait les âmes, au verbe fort dont les discours truffés de saillies faisaient le bonheur du peuple, oh que non, ce n'est plus qu'un grabataire qui ne pèse qu'une trentaine de kilos; si faible qu'il ne peut même pas s'asseoir; si faible qu'il peut à peine murmurer; si faible qu'il peut à peine respirer. L'image qui nous vient à l'esprit est celle d'un lion mourant, oui, mourant mais en lion, n'est-ce pas mieux que de vivre en hyène, une petite vie de charognard. Mohand Said Mazouzi, alors ministre des Moudjahidine, témoigne avec des mots écrits à l'encre du coeur sur cet homme qui n'a jamais cessé de penser aux plus démunis jusqu'à son dernier souffle, cet homme qui n'a jamais été corrompu par les ors et lambris du pouvoir et qui est resté fidèle aux idéaux de l'enfant pauvre qu'il était et qu'il n'a jamais cessé d'être, même en costume de président: «C'était à son retour de Moscou.
Nous étions conviés à l'accueillir à l'aéroport. Et nous, ensuite, étions six ou sept ministres à l'accompagner chez lui. Il était malade et très affaibli. Assis, à demi-allongé et nous autour de lui. Il y avait à côté de lui, Tayebi Larbi, ministre de l'Agriculture. Au lieu de parler de lui-même, de son état, il s'est tourné vers celui-ci et lui a dit: «Ya Si Larbi, la pomme de terre a atteint deux dinars.
La pomme de terre à deux dinars, quel malheur! (khessara!). On avait décidé que la pomme de terre ne devait jamais dépasser un dinar, que le pauvre puisse manger à sa faim.» On imagine la tête du pauvre Tayebi Larbi qui pensait que le président malade n'avait d'autres préoccupations, dans l'état où il était, que sa santé. Erreur. Boumediène n'était pas commun.
Un homme d'Etat, tel que lui, ne s'abaisse jamais dans les jérémiades sur ce qui le touche personnellement en s'étalant sur sa maladie, fût-elle mortelle, mais s'élève toujours au niveau du peuple, ce peuple qu'il aimait de toutes ses forces et dont il était aimé aussi fort. Une telle vue n'a qu'un nom, un seul: grandeur.
Je ne pense jamais à cette scène sans frémir d'émotion.
Boumediène, c'est ça: le souci du peuple, rien que le peuple, dans sa partie la plus nécessiteuse. Cette partie qui était la patrie - dans le sens d'appartenance - du jeune Boukharouba.
Il n'y a pas que Boumediène, Dieu merci. Un autre président a eu la même émouvante préoccupation alors qu'il sortait d'un long combat contre une terrible maladie qui aurait pu l'emporter. À peine convalescent, à peine chancelant, sa première pensée fut pour les écoliers et notamment ceux des zones d'ombre, c'est-à-dire les moins favorisés, les plus fragiles, ceux qui arpentent dans le froid et la boue des kilomètres et des kilomètres pour rejoindre leurs écoles. Cet homme, c'est le président Abdelmadjid Tebboune qui a ordonné, le visage encore marqué par la souffrance de la maladie, qu'on offre des repas chauds et équilibrés aux écoliers.
Il savait que ces enfants d'Algérie, ces enfants de familles modestes, n'avaient pas toujours des repas à forte valeur nutritive. Cette empathie, cette humanité, a touché le coeur des Algériens, notamment ceux du pays profond qui ont compris qu'au plus haut sommet de l'État il y a un président qui pense à eux, veille sur eux, les défend et les protège, eux les plus faibles. Le surnom affectif de âami (oncle) Tebboune vient peut-être de là car c'est un marqueur du lien fort entre le président et son peuple. Qualificatif de proximité, il décline les valeurs de tendresse, de protection, de soutien et d'adhésion. L'oncle est de notre sang, de notre famille, de notre terre. Avec lui, on ne craint rien. Sans lui, on craint tout. C'est le substitut du père. En cas de coup dur, il est là. Prêt à voler à notre secours. Âami, l'autre père.
Si les politiques - combien y en a-t-il de vrais? - et les intellectuels - combien y en a-t-il de dignes de ce nom? - ne retiennent froidement et d'un oeil souvent critique et subjectif que les réalisations économiques, les manques et les insuffisances d'une politique d'un président, le peuple, lui, qui ne se trompe jamais, ne garde d'un homme ou d'un président que ses actions du coeur, celles qui le soulagent de la dure condition de vivre. S'il a répondu à ses attentes, il restera dans leur coeur et dans l'histoire pour toujours. C'est la force d'Al-Ihsân (la bienfaisance). Ce n'est pas un hasard si la grande philosophe Simone Weil, que Camus admirait si fort qu'il est parti méditer dans sa chambre après sa mort, avait écrit: «Il restera de toi ce que tu as seme´
Que tu as partage´ aux mendiants du bonheur.
Ce que tu as seme´, en d'autres germera.
Celui qui perd sa vie, un jour la trouvera.»
En effet, si jusque-là Boumediène et Boudiaf sont restés, c'est parce qu'ils ont su donner, au-delà du pain, ce qui ni ne s'achète, ni ne se vend: l'espoir, le rêve, la considération, l'humanité. Cela a un mot: amour. Donner, c'est ce qui marque au fer rouge de la reconnaissance le coeur de ceux qui n'ont rien d'autre à donner que leur prière et leur voix. Donnez et vous resterez. Resterez pour toujours dans le coeur de ceux qui ont reçu. C'est la marque d'un grand responsable politique. C'est le sceau d'un grand homme.
Hamid GRINE
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Posté Le : 30/06/2024
Posté par : rachids