Algérie

Le pouvoir de l’exemplarité



Publié le 07.07.2024 dans le Quotidien l’Expression

Il n'était pas tout à fait un homme Abdelkader, ou peut-être l'était-il alors que les autres y ressemblaient. Il avait tant de qualités que beaucoup l'ont pris pour un saint, l'égal des plus grands comme son maître Muhyeddine Ibn Arabi, son voisin de sépulture à Salihyya au coeur de Damas, comme il l'avait souhaité avant qu'il ne revienne chez-lui, en cette terre natale qu'il avait quittée, forcé, un peu plus d'un siècle auparavant. La séparation n'avait que trop duré. Les retrouvailles furent émouvantes entre le fils et sa mère, l'Algérie. Ainsi, quand son cercueil fut porté par Boumediène et d'autres compagnons, un curieux phénomène se produisit, selon l'un des membres du Conseil de la Révolution qui escortait à pied la dépouille. Il raconta à une personnalité de mes connaissances qu'un homme vêtu à l'ancienne, comme nos aïeux, lui dit-il, se glissa parmi eux en dépit du service de sécurité qui semblait n'avoir rien vu. Épaule contre épaule avec ce ministre connu, cet homme, surgi de nulle part, psalmodiait des versets du Coran avec une telle harmonie, une telle rythmique que le ministre en eut les larmes aux yeux. Ma source ajouta que le responsable politique en question murmura devant elle comme s'il parlait à lui-même: «Je crois que c'était l'âme d'Ibn Arabi lui-même qui a tenu à accompagner son fidèle disciple et voisin de sépulture en Syrie. C'est la meilleure reconnaissance d'un saint à un autre saint qui a vivifié son oeuvre capitale, Les Illuminations de La Mecque. Peut-être avait-il du mal aussi à se détacher de lui...» Abdelkader avait toujours dit qu'il communiquait spirituellement avec Ibn Arabi. Cette histoire extraordinaire ne m'avait pas étonné car toute la vie de notre héros est marquée du sceau de la sainteté. Le saint est exemplaire. Trois exemples entre mille qui sont autant de leçons prouvent que cet homme l'était à la perfection.
Le premier concerne son aspect extérieur. Il était habillé comme ses hommes. En guenilles, aussi misérables qu'eux. Il ressemblait à chacun, mais aucun ne lui ressemblait. Ce qui ne manqua pas d'impressionner son adversaire Bugeaud qui l'avait bien observé lors de la rencontre de la Tafna: «Avant d'entrer en conversation, je considérai un instant sa physionomie et son costume qui ne présentaient aucune différence avec les Arabes les plus vulgaires... Tous ses vêtements étaient sales, grossiers et aux trois quarts usés; on voit qu'il affecte le rigorisme et la simplicité.» L'admiration du maréchal ressemble à un blâme pour lui-même et ses officiers sanglés dans des uniformes amidonnés comme s'ils partaient à un bal. Le bal des vampires qui ont sucé le sang des Algériens. Il était ainsi Abdelkader, qui sermonna sa femme quand il la découvrit vêtue comme une reine au milieu des démunis: «Est-ce là ma femme? Est-ce là ma tente? Non, ma femme porte des vêtements de laine qu'elle a tissés de ses propres mains. Mon père et moi n'avons jamais porté du velours, ni de la soie!» Vous imaginez la tête de sa pauvre épouse qui pensait lui plaire et qui obtint l'effet contraire. Apparemment, elle n'avait pas pris la mesure de son mari dont la seule mesure était la perfection en tout.
Deuxième exemple. Voyez cette image si saisissante qu'on ne peut manquer d'être secoué. C'est l'historien M. C. Sahli qui nous la raconte: «Chevauchant un jour dans l'Ouarsenis enneigé, il rencontra un pauvre hère grelottant de froid. Sans s'arrêter, il détacha un de ses deux burnous et le lança au malheureux.» Admiration.
Et encore ceci pour montrer que, même dans l'infortune, il restait grand par l'exemple. Voici le colonel Daumas qui lui rend visite dans sa prison glaciale d'Amboise. Il le trouve mourant de froid car il avait épuisé sa ration de charbon alors que celle de ses compagnons d'infortune ne l'était pas. Saisi, le colonel l'interpella: «Pourquoi ne leur en demandes-tu pas?
- Moi, prendre sur la part de mes compagnons? Tu me connais mal. S'il m'en restait, je leur en donnerais plutôt.
- Tu n'es donc pas comme les autres chefs?
- Si j'étais comme eux, crois-tu que les Arabes m'auraient suivi pendant quinze ans, sacrifiant tout, sécurité, biens et vies?»
Révérence. Vous avez là le troisième exemple de cet homme exemplaire.
Guerrier, savant, ascète, soufi, poète, chef charismatique, il recommandait à ses hommes une vertu oubliée en ces temps de rapidité frénétique sur les réseaux sociaux où la course est entre celui qui insulte le plus vite et celui qui diffame plus fort: «Soyez patient dans l'adversité, c'est elle qui fait connaître les hommes forts.» La force de la patience est supérieure à la force seule.
Abdelkader le preux, Abdelkader le sage a été une source d'inspiration pour deux de nos présidents: Houari Boumediène et Abdelmadjid Tebboune. Le premier a rapatrié en juillet 1966 sa dépouille de Damas pour qu'il repose en terre algérienne, arrosée du sang de ses compagnons et de tous les martyrs. Le second a mis son buste derrière son bureau pour honorer sa mémoire et, mieux encore il a prêché son exemple quand il a exigé qu'on ne l'appelle plus «fakhamat» (magnificence), mais simplement Monsieur le Président. Monsieur pour un chef d'État, Abdelkader aurait applaudi. Quel réconfort pour nous Algériens que notre pays ait enfanté un homme océan, l'un des plus grands de son temps et de tous les temps. Un modèle pour l'humanité entière. Il faut se réjouir que le premier des Algériens s'inspire du fondateur de l'État algérien moderne.
Noble chaîne qui traverse les siècles avec une seule constance: l'amour du pays au-dessus de tout. C'est cette profession de foi que nous devons répéter chaque jour. Comme Abdelkader.

Hamid GRINE



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