Algérie

Le pot de terre contre le pot de fer



Le pot de terre contre le pot de fer
Mohamed RahmaniLa guéguerre qui oppose traditionalistes et modernistes n'est pas près de prendre fin au vu de l'attachement des premiers aux valeurs et aux canons qui ont tenu pendant des siècles et à la volonté de changement tous azimuts des seconds, qui veulent s'affranchir et aller de l'avant, considérant l'ancien comme étant dépassé et périmé.L'habit traditionnel qui a gardé toute sa splendeur et son influence parcequ'intimement lié au mode de vie des familles, a conservé son authenticité malgré quelques modifications superficielles ayant trait à certains motifs qui en ont pris de la couleur, tout en se conformant aux formes et à la découpe. Les femmes dont c'est la spécialité, défenseuses du traditionnel parce qu'ayant été formées par leurs aînées, ne tolèrent aucune modification de la découpeoriginelle parce que cela dénaturerait l'habit confectionné pour être porté àl'occasion d'une fête. «Nous avons nos propres modèles depuis des générations. Nous les confectionnons selon la tradition et personnellement je n'accepte pas que l'on ajoute quelque chose ou que l'on s'amuse à l'amputer de quelque chose d'autre. Car l'habit traditionnel a été conçu pour être en conformité avec nos traditions, des habits amples, colorés, discrets, mais élégants, tout en mettant en valeur la femme. Les habits dits modernes, dénaturent la féminité pour preuve maintenant on est passé au vêtement mixte, un blouson peut être porté aussi bien par un homme que par une femme, certains pantalons aussi et puis ce n'est pas dans nos traditions, c'est un mode de vie qui n'est pas le nôtre, et de ce fait ne peut nous convenir. Imaginez une femme qui arrive à un mariage habillée d'un tailleur, elle serait la risée des autres et serait mal vue. Notre patrimoine est riche en matière d'habit traditionnel nous avons les gandouras, el medjboud, el fergani de Constantine, el fetla de Souk Ahras et Guelma, la tenue Kabyle et le karakou d'Alger. Cependant, il y a une tendance aujourd'hui pour le cafetan marocain et la fota et blousa tunisienne, mais ça reste toujours dans le traditionnel», nous explique une couturière connue à Annaba.Une autre, qui dirige un atelier de confection, n'est pas de cet avis et reproche à l'habit traditionnel d'être resté figé depuis des générations. «La femme a évolué depuis et il faudrait qu'elle s'affranchisse de ces habits qui la dévalorisent. La femme est devenue aujourd'hui active. Elle est enseignante, infirmière, médecin, élue à des assemblées, juge, avocate, et il faudrait qu'elle s'habille en conséquence. Le vêtement, ou l'habit, traditionnel n'est pas tout indiqué pour ces professions. Il faudrait qu'elle soigne son apparence et donc nous mettons à sa disposition des habits modernes qui vont avec son statut. Cependant, nous ne rejetons pas le traditionnel, c'est un patrimoine qu'il faut préserver et protéger. D'ailleurs, dans nos modèles, nous veillons à ce que le traditionnel ait sa place, que ce soit dans la forme ou les motifs retenus», dira cette dame d'un certain âge.Pour ce qui est de la musique, il en est tout autrement. Le moderne a terrassé le traditionnel qui ne daigne apparaître pour faire une petite incursion que lors de quelque fête, la célébration d'une fête nationale ou la visite d'une personnalité politique. Des artistes en habits traditionnels, turbans dorés, gilets noirs aux boutons étincelants, burnous immaculés et tambours portés en bandoulières, zornas ou flûtes traditionnelles pour jouer quelques musiques du terroir rappelant Aïssa El Djarmouni, Bouregaa ou Beggar Hadda. Des chevaux aux selles argentées harnachées de couleurs chatoyantes, montés par des cavaliers qui les font danser tout en tirant avec leurs fusils. Révolus ces temps-là et ce patrimoine de musique et de chansons va s'éteignant au grand dam de ses amoureux qui, eux aussi, sont en voie d'extinction.La place est aujourd'hui occupée par une musique moderne où les instruments traditionnels sont bannis. C'est le saxo, la trompette, la guitare électrique, le synthé, le violon et autres qui ont le vent en poupe et drainent de jeunes musiciens qui s'y mettent. Ce qui tient du traditionnel est délaissé car jugé «périmé» et inadapté à l'époque dite moderne. Le patrimoine immatériel constitué de milliers de chansons et de musiques est ainsi mis de côté et condamné à l'oubli. «On se rappelle de nous quand on commémore quelque événement national qui rappelle nos origines, comme pour faire amende honorable. Reconnaissant ainsi leur culpabilité quant à la marginalisation de cette expression artistique authentique car née du peuple et vivant en son sein. Mais cela ne dure que le temps de l'événement puis nous retombons dans l'anonymat. N'étaient certaines familles qui adorent le traditionnel, nous aurions disparu depuis longtemps et nous aurions changé de métier, le patrimoine que nous portons à bras le corps serait à jamais perdu», nous confiera Abdallah, membre d'un groupe composé de quatre artistes traditionnels.Pour Sid Ali, jeune musicien, du traditionnel, excepté la chanson chaâbi et le malouf, tout le reste n'a plus de prise sur le public. «Le chaâbi et le malouf oui, ils ont leurs adeptes et leurs fans et enchantent encore les jeunes générations. Pour la tabla et la zorna, c'est considéré comme éculé et relevant de gens non évolués. Le temps et le ton sont à la modernité, aux musiques modernes, à la chanson moderne, aux arrangements musicaux. Il n'y a pas de comparaison entre le traditionnel et le moderne. Le premier est démodé et tenu comme relevant d'époques anciennes, le second est adulé et suivi par des millions. Et puis, il faut dire que les tenants du traditionnel, y compris l'Etat, n'ont rien fait pour perpétuer ces réalisations et les ancrer dans les esprits des jeunes générations. Le moderne est venu sur tout et va à toute vitesse, le traditionnel est à la traîne et disparaîtra sûrement avec cettemondialisation galopante», soutient-il.M. R.




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