Algérie

Le point du samedi



Vers la privatisation de l?Etat ? Après un report de séance dû à l?absentéisme de ses députés, l?APN a enfin adopté, mercredi dernier, le projet de loi relatif à la gestion de l?eau soumis par le gouvernement. Le texte de loi a été approuvé à une très large majorité et adopté quasiment tel quel. Seul le Parti des travailleurs (PT) devait ferrailler isolément contre le nouveau dispositif juridique, renvoyant par-devers lui l?illusion d?une démocratie parlementaire. Cet état de fait, débilitant pour certains et réjouissant pour d?autres, ne devrait pas éluder l?enjeu majeur de la nouvelle loi : l?introduction modulable du régime des concessions. Or loin de se réduire à une expérimentation limitée dans le temps et dans l?espace, le procédé semble traduire bien plutôt un processus par lequel l?Etat se décharge progressivement et partiellement de sa puissance publique au profit d?intermédiaires privés de plus en plus institués. L?examen des motifs dudit projet en justifie le recours par l?inefficacité patente du système actuel, qu?il s?agisse de la gestion des ressources hydrauliques, du recouvrement des redevances, du traitement des eaux usées ou de la lutte contre les fraudeurs. A la vérité, ces défaillances ne reflètent pas seulement la situation cahoteuse d?un secteur, mais bien davantage, le fonctionnement de l?Etat « allocatif » dans son ensemble. Ici comme ailleurs, on tente pourtant de remédier à certaines carences sectorielles sans « toucher » aux fondements de l?ordre politique. Pour y parvenir, le gouvernement semble emprunter la voie du néolibéralisme économique, celle qui préconise le démantèlement de la puissance publique de l?Etat, la vente de ses actifs et le transfert de ce qui tenait lieu de capital public à des privés. Cette orientation, on s?en souvient, avait imprimé ses marques sur le texte de la nouvelle loi sur les hydrocarbures. Dans ses articles 68 à 71, celle-ci autorise en effet l?ouverture de l?amont pétrolier à la concession pour une durée d?un demi-siècle. Dans la même veine, l?article 35 de loi installe le « contractant », en toute propriété, sur son « périmètre d?exploitation », 32 années durant. Mais en stipulant que « chaque contrat de recherche et d?exploitation contiendra une clause qui ouvrira à Sonatrach spa, quand elle n?est pas contractante, une option de participation à l?exploitation pouvant atteindre 30% sans être inférieure à 20% », l?article 48 accuse décidément le trait en abandonnant le droit de préemption de la compagnie pétrolière nationale, fixé depuis 1991 à 51%. Dans ce processus de dépérissement des attributs modernes de l?Etat, il faudrait peut-être revenir à ce décret promulgué en 1993 qui a autorisé la création de sociétés privées de « gardiennage, de transport des biens et de protection des personnes » : curieusement, c?est au moment où l?Etat éprouve toutes les difficultés du monde à exercer son « monopole de la violence légitime » que le gouvernement décide de privatiser les moyens de la contrainte ! De proche en proche, le régime de la concession s?impose comme une nouvelle modalité de régulation. A telle enseigne que certains redoutent d?ores et déjà le sacre d?une économie (de) concessionnaire(s). Sur son versant strictement politique, l?expérimentation itérative du régime de la concession donne un surcroît de crédit à la thèse de la privatisation de la souveraineté de l?Etat. Le concept tente de subsumer les voies de recours aux intermédiaires privés, les politiques de démantèlement de la puissance publique, la concession des biens et services collectifs, le transfert des monopoles de l?Etat aux oligopoles privés. Il faut en revenir ici, pour mieux comprendre les recompositions à l??uvre, à la notion-clé de « décharge » élaborée par Max Weber (dans son Esquisse d?une histoire universelle de l?économie et de la société). Selon le théoricien de l?Etat moderne, la « décharge » est un mode de gouvernement qui a prévalu dans des contextes de « faible bureaucratisation » et de carence gestionnaire avancée. Pour faire face à la dégénérescence de leur économie monétaire et prévenir la rechute dans l?économie de troc, les régimes féodaux d?Orient auraient concédé l?exécution de certaines prérogatives antérieurement dévolues à l?Etat central à des hommes de main. En tant que système de pouvoir, le beylik turc, en place au Maghreb central trois siècles durant, ne procédait pas autrement : les tribus makhzen étaient chargées, à la réquisition de la Régence, de récolter l?impôt auprès des tribus r?aïa - soumises et imposables - ; en échange, elles bénéficiaient d?exemptions fiscales et de concessions foncières. Ce dispositif de domination a été repris par l?Armée d?Afrique non sans quelques succès : ce fut le « makhzen colonial » sur lequel avait tant misé l?éphémère « empire arabe » de Napoléon III... La séquence historique qui défile sous nos yeux, cela va sans dire, n?est pas identique à celles-ci. Le fait politique possède néanmoins une profondeur historique, fût-elle discontinue, qu?une analyse politique sérieuse ne peut s?offrir le luxe d?occulter. La question, par conséquent, n?est pas tant de repérer les indices de la « décharge » dans la longue durée, mais de restituer l?historicité du processus de formation de ce type d?Etat pour comprendre à quelles conditions s?opère le déplacement des lieux de la décision engageant la destinée des peuples et quel dispositif de domination en découlerait.


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