Il est difficile de créer une idole. Il est encore plus difficile de la
démonter. Les hommes sont rassurés par leurs dieux, qui constituent un élément
d'équilibre important pour les sociétés. Les remettre en cause constitue un
blasphème, un mot lourd de sens. D'ailleurs, le blasphème a, de tout temps, été
un des actes les plus sévèrement punis dans toutes les sociétés. Détrôner une idole
demande de la force et de l'audace, car cela revient à remettre en cause
l'ordre établi, à mettre en doute des certitudes basées sur l'irrationnel, sur
l'émotion. Il faut du temps pour apprendre à vivre sans les dieux auxquels on a
élevé des statues, particulièrement en période d'incertitude, quand la société
est déstabilisée et se cherche des repères.
Mais quand le boulot est fait, quand la statue est déboulonnée, on se
rend compte de certaines évidences. Les croyances anciennes étaient stupides,
le dieu d'hier était un handicap pour le groupe, pour la société, pour le pays.
L'idole est souvent un élément qui déforme l'analyse, qui empêche de voir les
choses de manière lucide.
L'Algérie a lancé un célèbre slogan, dès l'indépendance, pour mettre fin
à toute forme d'idolâtrie. « Un seul héros, le peuple », a-t-il été proclamé.
Le slogan était beau. Il visait en fait à se débarrasser du poids encombrant de
certains grands noms de la révolution et du mouvement national. Dont celui de
Messali Hadj, qui n'a été effacé qu'au prix d'une guerre sanglante avec le MNA.
A une échelle beaucoup plus modeste, l'équipe nationale s'est trouvée, elle
aussi, confrontée à ses idoles. Et Rabah Saâdane, qui a été un acteur clé de
l'épisode de Khartoum, s'est retrouvé dans une position très délicate. Après
une coupe d'Afrique mitigée, après une campagne de préparation à la Coupe du
monde ratée, et après un début de compétition contestable, l'entraîneur de
l'équipe nationale s'est trouvé dans une position délicate : il devait détruire
les idoles qu'il avait créées. Ni l'opinion publique, ni les commentateurs et
spécialistes n'auraient admis une destitution rapide de Fawzi Chaouchi.
Pourtant, au fil des matches, la décision s'imposait à Saâdane, qui a reculé
l'échéance pendant plusieurs mois, avant de se rendre à l'évidence : son idole
était devenue son handicap. Avec Chaouchi, l'équipe nationale partait souvent
avec un handicap d'un but. La décision a finalement été prise à la veille du
match contre l'Angleterre. Et l'Algérie a découvert, ébahie, que l'équipe
nationale pouvait jouer sans Chaouchi, et que cela se répercutait positivement
sur le jeu de l'équipe, que cela mettait les autres joueurs en confiance, et
leur permettait de jouer un match honnête, mettant les Anglais en difficulté et
retrouvant une partie de leur punch.
Saâdane n'est pas le premier à
prendre ce type d'option. Rachid Mekhloufi, préparant les Jeux méditerranéens
de 1975, avait lui aussi tourné le dos à toute une génération, celle de Hassan
Lalmas, pour miser sur de nouveaux joueurs. La fameuse équipe de 1982 a, elle
aussi, été bâtie en mettant au placard les idoles de la génération révélée par
Mekhloufi ! C'est dire que Rabah Saâdane ne part pas en terrain inconnu. Bien
au contraire. Il connaît cette évolution par secousses, et cette nécessité de
remettre en cause les évidences, de manière systématique. Pourtant, malgré
certaines défaillances graves, il n'a rien osé depuis un an. Remettre en cause
les évidences n'appelle pas forcément des sanctions, ni des révolutions. Mais
simplement un retour de Saâdane à une lucidité implacable, pour regarder les
choses telles qu'elles sont. Et se poser certaines questions, nombreuses :
pourquoi la participation offensive de Belhadj est-elle aussi stérile ?
Pourquoi Ziani n'arrive pas à être décisif ? L'équipe n'a-t-elle pas été plus
équilibrée quand il est sorti ?
Il est évident que pour nombre
d'Algériens, envisager de voir l'équipe nationale jouer sans Ziani ni Belhadj
reviendrait à constituer un gouvernement sans Ahmed Ouyahia ni Abou Bakr
Benbouzid. C'est simplement inconcevable. Cela peut apparaître comme un appel
au déicide. Pourtant, jouer sans Chaouchi était inconcevable il y a une semaine
! Et en 1998, Aimé Jacquet était devenu champion du monde en se passant d'Eric
Cantonna, joueur du siècle de Manchester United. Cela lui avait permis de créer
Zinedine Zidane. Et devrait inspirer Saâdane, ou son successeur, dès le mois
prochain.
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Posté Le : 20/06/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Abed Charef
Source : www.lequotidien-oran.com