Algérie

Le poète au tamis



Le poète au tamis
Près de 550 pages de passion et de découvertes...D'emblée, il faut saluer ce travail monumental que l'universitaire Hamid Nacer-Khodja a consacré au poète Jean Sénac, et qui se traduit par un ouvrage passionnant qui vient de paraître aux éditions El Kalima*. Un ouvrage très dense et très bien documenté qui montre que des passerelles attrayantes peuvent être construites entre le travail universitaire et le monde de l'édition. En effet, en Algérie, la tradition de passage d'œuvres universitaires dans le milieu profane reste très marginale. Pourtant, des dizaines de thèses et de mémoires de qualité, soutenus à travers le territoire national, méritent l'attention des éditeurs car ils apportent des analyses pertinentes des problèmes vécus par la société ou sur divers aspects de l'histoire, la culture... Un manque d'audace ou d'informations est à l'origine du déficit de coopération entre ces deux secteurs stratégiques.Pour revenir à l'ouvrage de notre collègue Hamid Nacer-Khodja, il faut dire que la clarté du propos donne à ce travail une dimension quasi-romanesque qui permet une lecture agréable et accessible même aux non-spécialistes. Le travail est composé de quatre parties et d'une douzaine de chapitres qui retracent dans le détail la vie et l'œuvre du poète Jean Sénac, ses rencontres et son inscription dans une histoire tumultueuse qui a commencé à Béni Saf en 1926. Hamid Nacer- Khodja livre ici une véritable histoire littéraire algérienne qui court sur près d'un demi-siècle et cela fait toute l'originalité de son travail. Ainsi, le lecteur chemine de façon heureuse à travers les dédales d'une époque bouillonnante dans tous les sens du terme.L'adolescence à Oran, la fréquentation du milieu culturel européen et une sensibilité particulière aux mots et aux images, sans oublier l'influence du poète Victor Hugo, construisent l'âme poétique de Sénac. A vingt ans, il écrit ses premiers articles qui vont enrichir les rubriques culturelles des journaux de l'époque. Son premier poème, Hymne aux vaillants, publié en novembre 1942 dans Le Bulletin des Jeunes, épouse les préoccupations de la jeunesse qui veut se libérer du nazisme rampant et le vaincre sur les différents champs de bataille. L'influence des écrivains et poètes acquis à la résistance au fascisme est évidente à travers surtout la nomenclature des livres de sa bibliothèque relevée par Hamid Nacer-Khodja.L'esprit frondeur qui caractérise Jean Sénac tout au long de sa vie va se consolider par son adhésion au «Cercle Lélian» à Alger, entre 1946 et 1949, même si cette société des gens de lettres interdit à ses adhérents d'exprimer leurs opinions politiques. Jean Sénac montre un grand dynamisme en livrant des études sur la situation de la littérature en Algérie, partagée entre «l'Algérianisme», hérité du XIXe siècle, et l'Ecole d'Alger qui essaye de dépasser les thématiques de glorification des colons-pionniers.Sa curiosité insatiable s'accroît au fil des ans et des rencontres pour faire des incursions dans le domaine des arts. Hamid Nacer-Khodja écrit à ce sujet : «Ne disposant d'aucune formation esthétique, ni de la moindre lecture pré-réflexive, ni d'aucune référence à un écrit théorique ou à des travaux d'un critique d'art (à l'opposé de ses articles littéraires dont les points d'appui sont nombreux), l'art n'était pas pour autant ?'terra incognita' ' pour le critique journalistique débutant. Ce dernier a acquis une culture visuelle par la pratique de la peinture (et accessoirement de la photographie, autant derrière que devant l'appareil) et la fréquentation des galeries d'art d'Oran puis d'Alger dont il consignait succinctement les expositions dans ses journaux intimes et correspondances qui appartiennent de plein droit autant à la littérature qu'à la critique d'art.»Le manque d'outillage théorique dans le domaine de l'art ne l'empêche pas de déceler chez les peintres algériens une sensibilité particulière envisagée comme «un dérivé du sol». Son activité intellectuelle s'intensifie entre 1949 et 1954, pour participer à la fondation de revues comme Soleil et Terrasses, comme en témoigne cette lettre du 18 avril 1950 que lui adresse Mohammed Dib : «Il a été bien question entre Roblès, Camus et moi d'un projet de revue qui verrait le jour à Alger et les choses en sont restées là pour le moment. Il est nécessaire que quelque chose remplace feue Forge». Au déclenchement de la guerre de libération, le 1er novembre 1954, Jean Sénac qui n'a cessé de questionner l'idéologie coloniale et ses effets néfastes sur la vie des Algériens, prend fait et cause pour l'indépendance de l'Algérie. Il se montre intransigeant contre «l'idéologie européocentriste du colonialisme». Il inscrit son engagement contre le colonialisme dans sa poésie avec, Matinale de mon peuple et, également, dans son essai, Le Soleil sous les armes.Jean Sénac revient en Algérie le 30 octobre 1962 pour savourer la victoire contre le joug colonial et construire un pays débarrassé des oripeaux de la domination. Sa proximité avec le président Ahmed Ben Bella et certains ministres de l'époque fait de lui une sorte de «personnage officiel», comme le note Hamid Nacer-Khodja. Il va se donner trois objectifs prioritaires : contribuer à la reconstruction de la Bibliothèque universitaire d'Alger brûlée par l'OAS ; participer aux débats culturels et promouvoir la poésie algérienne à la radio. Il sera assassiné le 30 août 1973 à Alger, en son domicile après une vie dévouée à la poésie et à l'Algérie. *Hamid Nacer-Khodja, «Jean Sénac, critique algérien», Editions El Kalima, Alger, 2013.




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