«Le plus dur reste à faire pour les Libyens»

- Maintenant que le régime d'El Gueddafi est anéanti et que le peuple libyen entre dans une nouvelle phase politique, comment le CNT parviendra-t-il à  constituer un nouveau gouvernement ' Les différentes tendances présentes au sein du CNT peuvent-elles trouver un consensus '
L'ancien régime effondré, El Gueddafi éliminé, le plus dur commence pour les nouvelles autorités libyennes : la reconstruction du pays, aussi bien sur le plan économique que politique. Il est difficile d'avoir une idée des forces en présence, notamment du rapport de forces. Si les islamistes sont en ce moment les plus visibles, voire les plus médiatisés, il ne faut pas négliger ceux qui ne s'inscrivent pas dans cette mouvance. Il s'agit d'arriver à  un dosage subtil entre anciens «gueddafistes» ayant rejoint la révolution, conservateurs, séculiers et islamistes. Cela sans oublier les équilibres tribaux et régionaux à  respecter. Le nouveau chef de l'Exécutif étant très probablement issu de Misrata ou de Tripoli, et ce, afin d'échapper au soupçon de confiscation de la révolution par les gens de Benghazi.
Les différentes tendances du CNT ont un texte, la Déclaration constitutionnelle du 3 août, qui trace le chemin – ambitieux – que doit suivre la nouvelle Libye. La composition de ce gouvernement sera un indicateur du rapport de forces au sein du CNT et nous donnera les premiers enseignements sur la direction que prendra ce pays.
- La déclaration de Mustapha Abdeljalil, prônant l'instauration de la charia, a affolé les pays occidentaux, notamment la France et la Grande-Bretagne. Sachant que le peuple libyen est conservateur, cette idée trouvera-t-elle preneur dans le nouveau paysage politique libyen ' Il est à  souligner que le président du CNT n'a pas parlé d'Assemblée constituante ni d'élections…
De prime abord, il peut sembler surprenant que Abdeljalil insiste sur l'application de la charia lors d'un moment historique, celui de la proclamation de la «libération» du pays. (Il y a aussi des exemples bien plus précis, au moment d'une déclaration précédente, mi-septembre, sur le même sujet : divorce, polygamie). En effet, après 8 mois de conflit intérieur et 42 ans de dictature, l'urgence n'est pas la charia. Elle ne répond pas aux préoccupations des Libyens et des Libyennes attachés à  leurs droits. Par ailleurs, une telle déclaration plonge dans l'embarras les alliés occidentaux du nouveau pouvoir dont les opinions publiques sont très sensibles à  tout ce qui peut toucher les droits des femmes.
N'oublions pas qu'El Gueddafi avait instauré la charia en 1994. Même si le président du CNT est allé plus loin en ce qui concerne la charia (avant de revenir sur sa déclaration suite au tollé provoqué), il faut surtout mentionner le fait que cette déclaration intervient dans une nouvelle séquence de la vie politique libyenne.
La Libye est entrée, en effet, dans une phase de compétition politique dont la première étape est la constitution d'un gouvernement transitoire chargé de mettre en place une Constituante. L'instrumentalisation de la charia est à  replacer dans ce cadre de la lutte politique, au même titre que la conservation des armes de guerre. Afin de peser sur le débat. Enfin, si l'on peut qualifier la société libyenne de conservatrice, cela ne veut aucunement signifier qu'elle soit favorable à  une théocratie…
- Les inquiétudes sur la prolifération d'armes libyennes sont mises en relief. Pensez-vous que les groupes terroristes peuvent profiter de l'évasion des stocks d'armes '
La dispersion des armes libyennes à  l'intérieur du territoire et à  l'extérieur sont un réel motif d'inquiétude effectivement. En dehors d'AQMI, les principaux bénéficiaires peuvent àªtre les divers mouvements irrédentistes qui officient dans la zone sahélo-saharienne, ce qui pourrait àªtre problématique pour des pays comme le Niger, le Tchad ou le Mali.
La question de la dispersion des armes ne peut àªtre également dissociée de son corollaire, la démilitarisation des milices et autres brigades et la mise sur pied d'une armée régulière libyenne, la plus à  même de garantir la sécurité aux frontières.