Algérie

le plongeur commando qui n'aime plus la mer Debagh Abdallah. Ancien officier supérieur, homme grenouille combattant de l'ALN



le plongeur commando qui n'aime plus la mer                                    Debagh Abdallah. Ancien officier supérieur, homme grenouille combattant de l'ALN
«Presque toujours, la responsabilité confère à l'homme de la grandeur.»
Stefan Zweig
Allure avenante, rire contagieux et tutoiement rapide, Abdellah Debagh déroule son passé comme un film d'aventures. «Mon parcours n'est pas linéaire, il est plutôt saccadé et cabossé», soutient-il. Comme toutes les grandes et belles aventures, l'histoire de Abdallah Debagh et de ses camarades pourrait bien commencer par : «Il était une fois...», sauf qu'il ne s'agit pas d'une légende mais d'un fait réel vécu par une demi douzaine de gaillards, à peine sortis de l'adolescence, beaux et forts, qui ont bravé tous les risques pour aller défier l'ennemi et la mer avec tous ses mystères. Non pas pour une mission écologique d'exploration à la Cousteau, mais pour la défense d'une juste cause ! La quête d'une liberté bafouée pour un pays sous le joug de l'oppresseur «qui coulait des jours heureux, alors que la population autochtone criait famine dans son propre pays».
Engagé à 19 ans
Abdallah et ses compagnons, véritables soldats de la mer, étaient chargés par l'ALN de couler les bateaux ennemis. Abdallah est né à Oujda en 1937, où il a effectué toutes ses études scolaires jusqu'au baccalauréat. A 19 ans, il rejoint les rangs de l'ALN. Le mot d'ordre de Ben Bella qui se trouvait au Caire était de choisir une demi douzaine de volontaires prêts à se sacrifier dans une mission spéciale. De préférence forts, costauds et intrépides. «J'ai eu la chance d'être choisi parmi les six. On nous a acheminés sur le Caire, où on a eu un entretien avec Ben Bella. ''Savez-vous pourquoi vous êtes là ''', nous a-t-il interpellés ; on a répondu évidemment par la négative, ne sachant pas ce qui nous était réservé. Ben Bella se montra plus explicite : «Vous allez au devant d'une mission extraordinaire et dangereuse. Que ceux qui y adhèrent se manifestent.»
Nous avons tous accepté. Il s'agissait pour ces futurs hommes grenouilles de couler des bateaux avec des bombes, comme l'a expliqué M. Ben Bella. Athmane Damerdji, qui faisait partie de la même équipe, aujourd'hui professeur d'université, témoigne à propos de son recrutement en 1956 : «Ben Bella avait contacté les responsables du Front à Rabat et leur avait demandé de recruter des jeunes volontaires pour des missions kamikazes, dont il n'a pas dévoilé la nature. On nous a précisé, toutefois, que ces missions étaient importantes et que ceux qui y adhéraient ne devaient reculer devant aucun obstacle. Nous n'avons pas hésité une seconde, en acceptant d'aller au charbon en toute conscience.»
La formation a commencé dans une base secrète au port d'Alexandrie, avec de fausses identités. La fin de leurs entraînements coïncide avec l'agression tripartite (France-Royaume-Uni, Israël) de ce qui s'appellera l'affaire Suez en 1956. «Tout naturellement, nous étions aux côtés de nos frères égyptiens, dont les bateaux de guerre étaient chargés de bombes et de mines. Comme l'aviation pilonnait Alexandrie, tous les bateaux ont pris le large, en jetant à la mer toutes leurs bombes. Pris au piège, ils ne pouvaient plus rentrer à leur base. Il fallait déminer toute la côte à Alexandrie et à Suez.» Les six Algériens s'étaient portés volontaires pour remonter les mines jetées au hasard. «On les a repérées et remontées une à une. La palme nous revenait, car on était casse-cou.» En 1956, l'avion qui transportait Ben Bella et ses compagnons a été pris en chasse et arraisonné. «Le malheur, c'est que les plans d'attaque de la base de Mers El Kebir se trouvaient dans sa mallette», se rappelle Abdallah.
Une foi inébranlable
Lorsque qu'il s'est agi de faire sauter les bateaux ennemis, il a été question de Mers El Kebir, de Brest et de Toulon. Ce dernier port revêt un caractère symbolique du fait que c'est de là que sont partis les bateaux de l'expédition française en Algérie, en 1830. «Momentanément, notre mission tombait à l'eau, poursuit Abdallah. Les Français voulaient couper l'Algérie en deux, en préservant le Sahara. La révolution avait dit non. L'Algérie est une et indivisible.» «Il fallait ouvrir un autre front, créer des maquis au Tassili, c'est comme cela qu'on s'est retrouvés au Sahara, marquant la présence de l'ALN dans cette région. Vous vous imaginez, on est passés de la mer au désert, au milieu des Touareg. Puis on est remontés vers la frontière algéro-tunisienne. A la base de l'ALN, le colonel Boumediène venait d'être nommé à la tête de l'état-major. Ils lui ont rapporté que l'équipe de plongeurs de combats que nous étions pouvait causer d'immenses dégâts à la France. Il s'est aussitôt enquis de notre situation. Ils ont commencé à nous chercher et ils nous ont repêchés. Malheureusement, sur les 11 plongeurs du départ, il n'en restait que cinq, qui seront acheminés vers Nador (Maroc), via l'Espagne.»
C'est Boumediène en personne qui les reçoit dans la ville côtière marocaine. Il était admis que deux plongeurs de combat pouvaient pulvériser un bateau et Boumediène était enthousiaste à l'idée d'adopter cette nouvelle stratégie. Il a demandé à l'équipe si elle pouvait transmettre son savoir en formant d'autres éléments, en prenant le soin de lui accorder un délai de réflexion quant à la réalisation de ce projet. Si l'adhésion ne faisait pas l'ombre d'un doute, l'équipe revendiquait une base secrète au bord de la mer, du matériel de plongée moderne et des hommes prêts au sacrifice. Aussitôt dit, aussitôt fait, le palais royal a été saisi pour une base navale.
«La chance que nous avions eue, est que les Espagnols venaient de quitter les lieux, dont une base navale à Nador qui présentait les caractéristiques idéales pour les entraînements des nageurs de combat. La base de Nador fait face à l'enclave espagnole de Mellila. Boumediène m'a chargé d'aller en Italie pour m'approvisionner en armes et en équipements marins ultrasophistiqués. De plus, Boumediène nous avait fait ramener deux vedettes ultrarapides anglaises. Nos entraînements se faisaient de nuit, ayant pour cadre la mer entre Mellila et Nador, cette base servait également à alimenter la Wilaya V en armes. A l'indépendance, tout heureux, on est rentrés avec les troupes des frontières. Il y a eu la création du gouvernement algérien présidé par Ben Bella.
Au ministère de la Défense, il fallait structurer, hiérarchiser, équiper et créer les armées de terre, de mer et de l'air. Moi, je suis resté dans la marine où j'ai eu l'honneur, avec d'autres, de mettre en place les structures de la Marine nationale. J'ai été par la suite envoyé à Moscou en tant qu'attaché militaire pour occuper le même poste à Paris et à Rome, j'ai pris ma retraite en 1980.» M. Abdallah égrène ses souvenirs avec émotion, notamment lorsqu'il évoque ses compagnons disparus qui faisaient équipe dans des conditions souvent extrêmes.
Ils ont eu à effectuer de nombreuses missions ponctuées de succès. Ses pensées vont à Yahia Rahal, Rachid Bendris, Benamar, Cherbal, Abdelkader Djoudi, Ahmed Chibane, Messaoud Beza et Athmane Damerdji qu'il voit régulièrement. Aujourd'hui, Abdallah, qui n'a rien perdu de sa verve et de sa bonne humeur, constate que «l'Algérie est en pleine ébullition, c'est un signe positif qui démontre la vitalité d'un pays qui avance avec le pluralisme politique et les avancées démocratiques, ça ne peut déborder que sur du positif. Et j'en suis fier, car on n'aura pas lutté pour rien. Malgré toutes les maladies qui l'ont affectée, l'Algérie s'en est sortie indemne et grandie, car elle a le potentiel humain et la volonté qui va avec», estime-t-il.
«La mer ma fait peur»
M. Debagh pourrait épiloguer sur l'actualité brûlante qui marque le monde et la région qui nous entoure, mais il dit clairement et en synthétisant que les périls montrent leurs dents. «On ne peut pas dire que l'Algérie est à l'abri des convulsions et des périls qui menacent. On a des centaines de kilomètres de frontières communes avec 5 pays qui ne nous veulent pas que du bien. Ce qui se passe au Mali est une plaie ouverte à laquelle on ne s'attendait pas, et à laquelle il faudra faire face non pas par le bruit des bottes et des mitraillettes, mais par la négociation et la diplomatie.»
M. Abdallah concède que sur le plan économique, l'Algérie accuse un grand retard et qu'il va falloir qu'elle arrache sa place dans cette mondialisation implacable et tentaculaire. Cela dit, notre interlocuteur confie que «quoi qu'en dise, 50 ans pour une nation, ce n'est que sa prime jeunesse et que le meilleur est à venir». Mais il avertit que la liberté arrachée au prix fort doit être jalousement préservée. «La liberté, soutient-il, commence par le respect de soi, le respect des autres, le respect des lois du pays. Sans ce respect, il n'y a point de liberté.» A la fin de notre entrevue, Abdallah nous fait cet aveu plutôt étrange : «Je vais vous étonner, j'ai peur de la mer. Quand pendant l'été je vais à la plage, j'ai de fortes appréhensions, j'ai peur d'approcher le rivage. Pourtant, la mer Méditerranée n'a pas de secret pour nous. On a sillonné toutes ses profondeurs ; en faisant de surcroît tous nos exercices et toutes nos missions de nuit. On n'a pas trouvé d'explication à ces peurs. Même mon ami Damerdji éprouve les mêmes craintes.» Faudra-t-il consulter un psy ' Peut-être'
htahri@elwatan.com


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