Algérie

Le pivot du hirak populaire dresse un premier bilan



Le hirak universitaire bouclera dans quelques jours ses trois mois d'existence. Le 26 février, les étudiants ont déserté les campus et sont sortis dans la rue pour signifier leur refus du 5e mandat que le clan présidentiel voulait imposer, alors que le candidat lui-même était hospitalisé à Genève (Suisse).La naissance du mouvement populaire, quatre jours auparavant, a été le levier d'un sursaut contestataire inédit. Des acteurs de cette dynamique, ainsi que des observateurs, affichent déjà un premier bilan, jugé satisfaisant mais incomplet. «Le combat est de longue haleine et exige de l'engagement et de l'endurance, mais c'est de bon augure», s'accorde à dire la communauté universitaire.
La Journée nationale de l'étudiant, célébrée, dimanche dernier, 19 mai, même si elle a été peu marquée à travers le pays, s'est présentée telle une étape pour l'évaluation de la feuille de route à laquelle l'adhésion populaire est acquise. Quelles revendications citoyennes ont été remportées ' La communauté universitaire, qui se fond dans le mouvement populaire, égrène quelques étapes de ce processus entamé, il y trois mois, qui ont été remportées.
«Nous avons réussi à empêcher le 5e mandat et à faire capoter le prolongement du 4e et provoqué la démission de Bouteflika», ont énuméré quelques étudiants abordés lors de la marche hebdomadaire. En scandant en ch'ur «La l'intikhabet maa El issabat», (Non à des élections sous l'égide de malfaiteurs), ou encore «Nouridou sondouk cheffaf», (Nous voulons une élection transparente), il ressort que la liste des aspirations est encore longue et que sa satisfaction, à la lumière du statu quo maintenu par les tenants du pouvoir actuel, pourrait vraisemblablement prendre du temps.
Pas de 5e mandat
«C'est un chemin long à parcourir, mais nous sommes sur la bonne voie, notre mobilisation a fait ses preuves et si le cap est maintenu, nous arriverons à nos fins», insiste-t-on sur les forums des étudiants, quand les tiraillements se font sentir entre ceux ayant repris les cours et ceux adeptes toujours du boycott. C'est vrai qu'elle semble loin cette date où le seul slogan unanime était «Jibou l'BRI ou zidousaiika, makenche El khamssaya Bouteflika, (Ramenez la BRI et la Saiika, il n'y aura pas de 5e mandat ô Bouteflika).
Et comment ne pas se rappeler de ces moments du baptême du feu des milliers d'étudiants quant à l'occupation de la rue. Ces derniers n'ont jamais connu pareille action auparavant. «On arriverait presque à oublier les premiers slogans, tant d'autres sont venus illustrer nos aspirations depuis. On a fait plusieurs pas en avant, certes pas comme on le souhaite, mais tout changement nécessite du temps.
Si on exige toujours le départ des responsables de cette crise, l'urgent actuellement est l'annulation de l'élection présidentielle prévue le 4 juillet. C'est une bataille qui est en passe d'être remportée», déclarent ces jeunes dont l'optimisme n'a d'égal que leur volonté à refonder une nouvelle Algérie.
Ils restent confiants au gré des lectures et des analyses de la situation politique actuelle. L'idée du respect stricto sensu de la Constitution ne fera pas sortir le pays de la crise, comme le soutiennent bon nombre de figures politiques et publiques. Plusieurs voix se sont élevées pour appeler à l'instauration d'«une période de transition(?) qui définira les modalités d'organisation d'une élection présidentielle régulière».
La peur change de camp
La liste des revendications telle que conçue ou imaginée comporte au moins une dizaine de points. La sollicitation de plusieurs universitaires, le recoupement de déclarations ou d'annonces de personnalités et d'observateurs, attestent d'un consentement autour d'au moins six revendications principales, dont le départ de Bensalah, la démission de Bedoui et son gouvernement illégitime, l'installation d'un gouvernement consensuel, la réforme de la loi électorale, la mise en place d'une commission nationale indépendante pour l'organisation des élections et enfin l'organisation d'une élection présidentielle transparente.
«C'est une fois toutes ces étapes franchies que l'ère de la réforme des institutions pourrait commencer pour l'avènement d'une II République», commente un enseignant sur l'un des forums dédiés au mouvement.
Un autre pointe du doigt un acquis qui a son importance sur le moral des troupes : «Surtout la peur a changé de camp». Selon certains sociologues, la barrière de la peur est tombée en ce jour du 22 février, insufflant conséquemment un grand souffle et une consistance au mouvement. A l'issue, le peuple s'est repositionné. Il est désormais maître de son destin et source, par la force constitutionnelle, du pouvoir.
Les articles 7 et 8 de la Loi fondamentale font foi. Sur son compte facebook, Nasser Djebbar revient sur les trois mois de cette révolution populaire, et particulièrement celle universitaire. «L'étudiant a longtemps été sevré du débat et l'université vidée de ses combats. La politique a sa place à l'université, et ce mouvement va réconcilier la communauté avec l'engagement et le militantisme», explique l'enseignant en histoire, avant de rejoindre l'auditorium où se tient une assemblée générale autour de la structuration du hirak universitaire.
Silmia, silmia
Ainsi, le contexte politique qui prévaut depuis l'annonce du 5e mandat a réveillé les consciences et a révélé des vocations, dont l'implication dans l'avenir du pays. L'étudiant, qui habituellement ne réagit que sous couvert des représentations activant sur les campus, s'est tôt affranchi de cette tutelle ayant prêté allégeance au Président sortant dans son intention de briguer une cinquième mandature.
«Un scénario ubuesque allait se jouer, encore une fois, et l'image du pays n'en sera que davantage écornée. Nous avons investi la rue pour stopper le mandat de trop, sans être encadrés ni parrainés, c'était au fait spontané», raconte Fethi, étudiant en M2. L'émancipation de la communauté estudiantine a ouvert la voie au corps enseignant pour renouer avec la lutte, notamment pour ceux affiliés au syndicat du secteur (Cnes) qui détient à son actif une longue histoire de protesta, particulièrement dans les années 2000.
Cela a aussi balisé le terrain aux jeunes enseignants pour s'initier au modus operandi de la contestation, à y faire leurs premières armes sinon. Pour le Pr Djebbar, s'il faut retenir une chose de ce mouvement populaire, ce sera celui du cachet pacifique. «Le premier vendredi de la contestation s'est déroulé sans heurts, démolissant tous les pronostics qui ont soutenu le contraire. Puis le deuxième rendez-vous? jusqu'à ce qu'on atteigne le 13e et tout s'est déroulé pacifiquement. Le mot d'ordre ?'silmia est toujours de mise», a-t-il mentionné. Et d'insister sur «la belle image du peuple, sans filtre ni retouches, affichée chaque semaine à la face du monde».


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