Le piège du complot

Deux rencontres-débats sur le printemps arabe ont été animées, hier et avant-hier, à Alger, par des «observateurs» de cette contrée du globe. L'objectif de ces rencontres est quasiment prononcé : prouver à ceux qui seraient encore naïfs que les révolutions arabes sont loin d'être spontanées ou une demande de liberté. La théorie du complot est ainsi mise en 'uvre. Elle s'appuie, pour cette finalité, sur un livre au titre très générique «Le printemps arabe : Mythe ou Réalité. Rédigé par 23 auteurs, dont des spécialistes du renseignement, le livre attribue la responsabilité des mouvements enregistrés dans le monde arabe à un acteur autre que les peuples directement concernés. Selon nos «observateurs», tout a été «préparé et planifié par les Américains depuis 2002». Eric Denécé, prétendument parfait connaisseur des réalités des sociétés arabes mais aussi clinicien des néoconservateurs américains, nous livre donc ses conclusions. Pour lui, les objectifs américains sont clairs, ils veulent une réponse à cette question : Pourquoi les Arabes ne nous aiment pas ' Cette interrogation, qui n'a rien de géostratégique, n'a pas empêché, selon «l'étude» Denécé, les Américaines de s'attaquer aux régimes pour «révolutionner» le sentiment des opinions arabes vis-à-vis des USA. Et c'est dans cet objectif que les USA «ont décidé de donner aux pays arabes des régimes salafistes ou des Frères musulmans» (sic). Passons sur le lien que tente de construire le spécialiste en renseignements entre les deux sphères, à savoir les USA et le monde arabe. Mais, à l'évidence, l'idée qu'il se fait de l'influence des régimes arabes sur leurs peuples quant au sentiment qu'entretiennent ces derniers à l'égard de la puissance américaine démontre une ignorance qui ne fait guère de mythe. Car dans le monde arabe, plusieurs événements l'ont prouvé, entre les régimes et les populations, on ne voie pas les choses de la même manière. C'est pour cette raison qu'il y avait d'ailleurs des soulèvements. Des soulèvements, l'humanité en a toujours connu et elle va en connaitre encore, sans que cela ne puisse être entièrement expliqué par la théorie du complot que l'équipe d'Yves Bonnet tente de vendre au Monde arabe.
Or, en matière de recherche et d'analyse, on ne peut pas aboutir à une seule conclusion pour expliquer des mouvements différents. Il est curieux que dans cette sphère dite de recherche - où on n'accorde pas le moindre rôle à la France - on ne distingue pas la trajectoire prise par le soulèvement du peuple tunisien et le parrainage atlantique décidé en France pour les «thouars» de Benghazi, en Libye. Dire aujourd'hui que les Tunisiens, comme les Egyptiens, ont été actionnés par les Américains, c'est manquer de respect à ses peuples qui n'auraient pas ainsi dû exiger leur droit de choisir leurs élus. Il y a manifestement nettement mieux à explorer, en termes de recherche, que de succomber si facilement à légèreté de la théorie du complot.
A. Y.