Algérie

LE PERE DE SAMY AMIMOUR, L'UN DES ASSAILLANTS DU BATACLAN, SE CONFIE AU SOIR D'ALGERIE


Par Maâmar FarahFin mars, j'ai rencontré Azzedine Amimour, un ami qui fut également mon voisin de palier, du temps où il venait en vacances en Algérie, avec toute sa famille, y compris le petit Samy, regard d'ange et condensé de générosité”? Dans le silence d'un restaurant de la corniche annabie, il m'a raconté la longue et douloureuse histoire d'une radicalisation qui a commencé dans une mosquée du Blanc-Mesnil pour se terminer dans le sang à Paris. Il m'a dit qu'il a tout fait pour sauver son fils et notamment ce voyage de l'impossible au cœur de Daesh avec un plan d'évasion digne de James Bond”? Mon récit sera celui du frère solidaire de ce courageux père de famille et non la story exclusive empruntée à un journalisme froid et commercial”?«La ville est vide. Quelques chiens errants au lointain. Le soleil tape fort et je ne sais quoi faire pour occuper le temps dans cette terrasse poussiéreuse. Une grosse poussière, un bruit infernal, un frein sec : un autre 4x4 gare devant moi. Des miliciens descendent et m'interpellent. Palabres. J'explique que j'attends l'autre Toyota. Ils veulent tout vérifier, parlent au talkie-walkie”? Mais dès que je cite le nom de l'émir, ils se calment mais m'invitent quand même à monter avec eux. Ils m'emmènent dans une”? mosquée ! Visiblement, à l'heure de la prière, on n'a pas le droit de se trouver dehors», raconte Azzedine qui prend un moment de répit avant de poursuivre : «Une fois la prière terminée, je retourne au cyber qui n'était pas loin de la mosquée. J'arrive à contacter Samy qui reste éberlué par la nouvelle de mon arrivée à Manbij. Oui, maintenant, je sais où je suis.»Manbij n'est pas loin d'Alep, à quatre-vingts kilomètres au nord-est d'Alep. Elle est également à une trentaine de kilomètres des frontières turques. Appelée jadis Mabbog, c'est un ancienne cité qui avait connu ses heures de gloire à l'époque de la civilisation gréco-romaine.Fouettées parce qu'elles ont refusé de livrer leurs filles aux djihadistesAu lendemain de son occupation par l'Etat islamique, la ville connut une répression féroce qui se solda par l'exécution de très nombreux civils pour des motifs puérils. Des jeunes sont arrêtés pour n'importe quoi, jugés sommairement et traînés de force sur les places publiques où ils sont exécutés. Parce qu'elles ont refusé de livrer leurs filles aux djihadistes pour des mariages arrangés et forcés, des femmes ont été flagellées en public. C'en était trop pour les 75 000 habitants de cette ville «libérée» ! Prenant leur courage à deux mains (des milliers de mains, en fait !), ils descendirent dans la rue pour protester contre «les règles draconiennes» imposées par l'organisation Etat islamique (EI). Un site local témoigne : «Les manifestants ont défilé en petits groupes dans les rues, avant d'être arrêtés par des membres de Daech armés de mitraillettes. Ces manifestants protestaient notamment contre l'enrèlement de jeunes hommes de la ville par l'EI, officiellement pour suivre des cours sur la charia, mais qui ont été emmenés de force au combat dans le nord de la province d'Alep, où beaucoup sont morts.»Mais ces habitants rêvaient s'ils croyaient, comme ils le disaient, «contraindre l'EI à quitter la ville par des moyens pacifiques» ! Cela s'est passé les 11 et 14 novembre 2015 ; c'est-à-dire au moment même où se déroulait, à Paris, la tragédie du Bataclan.Le père et le fils décidèrent de se rencontrer, mais le Saint-Esprit ne les quittera pas ! Comme leur ombre, il y aura toujours un troisième homme qui surveillera leurs moindres faits et gestes. Quand il rencontra son fils dans un lieu maintenu secret jusqu'à la dernière minute, Azzedine fondit en larmes. Samy apparut dans la lumière, appuyé sur des béquilles. Il a dû être blessé dans les combats, mais il n'en souffla pas un mot à son père. Azzedine avait l'impression de parler à un étranger. Même du temps où il était sous perfusion salafiste, à Drancy, il n'avait pas cette mine fermée et cette attitude indifférente”'il tend les 100 euros à son père : «Je n'en ai pas besoin !»Ce 29 juin 2014 restera gravé dans la mémoire de Azzedine. A Manbij, à des milliers de kilomètres de Paris, dans ce no man's land de l'horreur, dans cet espace qui échappe à notre temps, Samy n'était plus Samy. C'était une machine qui fonctionnait comme toutes les autres machines du coin, dans cette longue chaîne de la terreur qui n'obéit qu'aux ordres froids et implacables des grosses machines d'en haut : la mécanique est parfaite”? Samy apprit à son père qu'il était venu de Rakka, la capitale de l'EI, spécialement pour le voir et qu'il devait y retourner car il avait des choses très importantes à faire. «Il était avec un autre type, qui ne nous a jamais laissés seuls. C'était des retrouvailles très froides. Il ne m'a pas dit comment il s'était blessé, ni s'il combattait.» Ce sont les paroles de Azzedine à un journal français, bien avant la nuit terrible du Bataclan. Non seulement, il avait alerté autorités civiles et militaires, mais il prit la peine d'aller vers les journaux pour leur dire que son fils risquait d'être perdu et qu'il fallait faire quelques chose pour le sauver.La maman aussi, connue pour ses activités associatives et sa participation aux œuvres caritatives «laà'ques», tenta de s'approcher de toutes les personnalités locales pour leur faire part de son calvaire”? L'article de presse n'aura aucun effet et jusqu'à aujourd'hui, Azzedine continue de s'interroger : «Comment peut-on circuler entre la France et la Turquie sans passeport ou avec un passeport truqué ' Comment un jeune homme, signalé et auquel on a confisqué son passeport, traverse-t-il aussi facilement des frontières supposées sûres '»Azzedine passa la journée avec son fils. Il lui remit une lettre de sa mère et glissa 100 euros dans l'enveloppe. Samy se retira dans un coin, lut calmement la missive et revint vers son père : «Tiens ! Je n'ai pas besoin d'argent !»Le troisième gars était toujours là . Il ne les quitta pas tout au long de la journée. Azzedine n'arriva pas à dire à son fils que tout cela ne menait à rien et qu'il avait tout préparé pour fuir de cet enfer. Aujourd'hui, il se demande s'il aurait réussi à convaincre son fils, même en l'absence du troisième larron. Parce qu'il est convaincu que Samy avait déjà traversé le Rubicon à ce moment-là .Il était trop froid, trop détaché, mû par une autre logique à mille lieues de notre logique”? Azzedine a été catapulté dans une autre dimension dont il ne pouvait saisir que la réalité virtuelle, celle qui était projetée dans cet espace-temps tiré des pires cauchemars hollywoodiens. Alors, il tenta de comprendre ce monde qui lui échappait.Il demanda des explications, prenant soin de ne pas donner son point de vue. Les camarades de Samy sortirent la grosse artillerie. Ils l'invitèrent à regarder des vidéos insupportables de gars «torturés par les hommes de Bachar El-Assad». Des scènes barbares, d'une violence inouà'e. On lui montra également des vidéos où c'étaient les miliciens de l'EI qui tuaient à bout portant.Finalement, Azzedine quitta Manbij sans résultat. Il avait tout préparé. Tout calculé. Comment quitter son lieu de résidence. Comment traverser la ville avec son fils. Où rencontrer le taxi”? mais, désormais, il savait que Samy ne l'accompagnera pas. Il savait qu'il était perdu à jamais.Le chauffeur fut au rendez-vous et le retour se fit à travers une autre piste, mais tout aussi pourrie que la première.En Turquie, il resta quelques jours, sans être inquiété. Il reprit l'avion pour la Belgique, puis rentra tranquillement en France. Personne ne lui avait demandé d'où il venait. Jusqu'au jour où”'on m'a traité de «propagandiste» du terrorisme !- Pourquoi me racontes-tu tout cela, Azzedine 'Il est un peu surpris par ma question. Il lui semblait que j'avais déjà compris son intention. Il a beaucoup parlé dans la presse française mais voulait s'adresser aux Algériens. Pour leur dire certainement qu'il faut faire attention aux radicalisés de l'émigration qui sont plus dangereux que tout ce qui a existé ici comme djihadistes parce que, là -bas, il n'y a aucune prise en charge et que la haine, la marginalisation et l'islamophobie de certains peuvent engendrer des réactions inattendues et qui peuvent se manifester d'une manière très violente. Il est parti au cœur de l'enfer intégriste pour sauver son fils mais son plan n'était pas simplement de le tirer de là .Il voulait le ramener en Algérie pour entamer une seconde vie. Il pensait que l'atmosphère familiale et la facilité d'accomplir ses devoirs religieux, loin des manipulations, pouvaient peut-être le changer.Azzedine veut aussi dire aux Français, ses autres compatriotes, qu'il ne sert à rien de se lamenter aujourd'hui. Touché au plus profond de son être par le drame qui a bouleversé tant de familles, il a déjà présenté ses excuses. Il a pleuré avec elles”? Mais son message va plus loin : il ne faut jamais négliger un début de radicalisation. Il faut se battre avant qu'il ne soit trop tard, mais ne pas se battre seul. Il interpelle les autorités françaises afin que les familles en butte à ce genre de problèmes aient plus de soutien. Il souhaite que ceux qui sont frappés par ce phénomène puissent être mieux écoutés à l'avenir. Que la police surveille les va-et-vient, qu'un travail de sensibilisation soit opéré partout : à l'école, dans la rue, via les mosquées, les associations. Azzedine tient quand même à saluer les efforts du maire de Drancy qui a beaucoup aidé la famille.Question politique, je n'ai pas voulu m'étaler sur le sujet car je considère que je n'ai pas à connaître les sensibilités de Azzedine d'autant plus qu'on n'en parlait jamais auparavant. Alors que j'affiche ostensiblement mes convictions socialistes parce que je ne crois pas dans la fable du journalisme «objectif» et «neutre», Azzedine a toujours donné l'impression de quelqu'un qui s'en f... de la politique ! Mais, ce soir-là , il a tenu à livrer son opinion : «J'ai une sensibilité de gauche, mais je vote toujours à droite. Je considère que, concernant ce phénomène, la droite a une meilleure perception des choses : n'est pas Charles de Gaulle ou Jacques Chirac qui veut... Je n'ai pas l'impression que la France est gouvernée par un président, mais plutôt par un Premier ministre délégué par les cow-boys américains, dans une obsolescence politique programmée : une démocratie en C.D.D. et une liberté d'expression à géométrie variable.»Azzedine poursuit devant la porte du restaurant : «La méthode française pour éradiquer ce fléau n'est pas digne d'un pays civilisé et elle devrait prendre exemple sur la méthode danoise qui a porté ses fruits en mettant à la disposition de ces jeunes tout un aréopage de bénévoles et de psychologues, de psychiatres, de sociologues et psychothérapeutes. Quand je pense qu'une heure de vol de Rafale coûte aux contribuables français 39 000 euros, ça fera environ 1 500 heures de consultations.»Trop de zones d'ombreAu moment de nous séparer, il me regarde longuement : «J'ai souffert, mon ami. J'ai tant souffert que je me demande comment je tiens encore debout. J'ai souffert en tant que père. J'ai souffert de voir tant de morts à Paris, mais aussi à Manbij. J'ai souffert du comportement de la police à mon égard et à l'égard de ma famille. J'ai souffert de l'humiliation. De l'incompréhension. Des clichés. Pour avoir observé que l'Etat islamique était bien organisé, c'est ce que j'ai vu, j'ai été taxé de propagandiste du terrorisme. Et quand j'ai remarqué que parmi les policiers français, il y avait des personnes dignes parce que respectant la dignité des autres – comme cet officier qui m'a interrogé – on m'a reproché de faire l'apologie de la répression ! Avec de telles stigmatisations, ces pays n'iront pas loin. Il faut beaucoup de lucidité aujourd'hui pour que le monde remarche sur ses pieds.»Avant de monter dans la voiture qui devait l'accompagner chez sa famille, du côté des Crêtes, il me lança un au-revoir chaleureux. Avec son légendaire sourire. Comme si de rien n'était. Comme si l'on venait de se quitter sur le palier de nos appartements, après un barbecue animé, dans l'une de nos deux terrasses. Mais je préférais plutôt les soirées chez lui ! A chaque fois, il ramenait tout un orchestre chaâbi ! On chantait et on rigolait et Samy était là , en face de nous, l'air timide, attendant d'être invité pour déguster quelques brochettes savamment préparées par son père”'l'intégrisme est passé par là . Et peut-être aussi d'autres forces supérieures qui tiennent les fils d'un jeu de marionnettes qui nous échappe, nous les pauvres spectateurs”? Pour Azzedine, il y a trop de zones d'ombre et de failles dans toute cette histoire. il sera bouleversé d'apprendre que sa belle-fille, que Samy avait connue à Blanc-Mesnil, était enceinte et qu'elle allait accoucher quelques jours après le drame du Bataclan.Quelqu'un qui attend un enfant dans une dizaine de jours, peut-il aller à la mort de cette façon '


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