Algérie

Le Pèlerinage, résorption dans l’Unicité divine



Le Pèlerinage, résorption dans l’Unicité divine «Les pèlerins», disait le Prophète, «sont les hôtes de Dieu». Ils viennent en réponse à l’Appel divin. C’est le sens de la talbiya : « Me voici à Toi, Mon Dieu, me voici à Toi. Tu n’as pas d’associé. La louange, le bienfait, ainsi que la royauté T’appartiennent. Tu n’as pas d’associé ! » Cette formule doit être prononcée à voix haute pour briser l’oubli et l’éloignement qui sont la condition habituelle de l’être humain. En effet, selon une tradition, les hommes auraient été appelés an-nâs, parce qu’ils ont oublié (nisyân) l’alliance qu’ils ont conclue avec Dieu. Comme l’induit la formule de la talbiya, le «moi» du pèlerin est convoqué d’étape en étape par le Toi divin. De même que la victime sacrificielle est menée avec douceur par le pèlerin pour être immolée, le »moi »du pèlerin est lui aussi immolé au nom du tawhîd, au nom de l’Unicité divine. L’être délivré s’échappe alors de la dépouille du moi, comme Ismaël - ou Isaac - se relevant par la rançon du bélier. Ainsi, le Pèlerinage est mort et résurrection. Dans la Sharî‘a même, il est demandé au fidèle, avant qu’il ne parte à La Mecque, de régler ses dettes et de réparer ses torts: allant vers la mort initiatique, le pèlerin ne reviendra plus jamais à son état initial. Enveloppés dans leurs vêtements d’ihrâm qui évoquent des linceuls, les pèlerins se voient tels qu’ils seront au Jour du Jugement, sortis de leur tombe pour comparaître devant Dieu. De fait, lorsqu’ils meurent de leur mort physiologique, les musulmans se font souvent ensevelir enroulés dans l’habit d’ihrâm qu’ils ont revêtu à La Mecque. Le pèlerin se résorbe donc dans l’Unicité divine. «Toute chose retourne à Dieu», avertit le Coran (3: 109). L’annihilation de l’ego humain se matérialise bien évidemment dans le tawâf. Ainsi, pour Ibn Arabî, les circumambulations du pèlerin autour de la Kaaba sont celles du néant existentiel (al-‘adam) de l’homme autour de la seule Réalité véritable : l’Être de Dieu (al-wujûd). Mais cette extinction en Dieu, le «fanâ» des soufis, prend toute sa signification à Arafât, immense plaine désertique d’où la vue s’échappe sur d’austères montagnes. Dans ce no-man’s land, au sens littéral de l’expression, on ne se trouve plus dans un environnement familier, mais sur quelque planète lointaine. C’est du moins l’impression que j’ai ressentie en visitant l’endroit en-dehors de l’époque du Hajj. Lorsqu’on revoit ‘Arafât durant le Pèlerinage, la densité de la foule fait qu’on ne sait absolument plus où on est! Le Prophète a résumé la précellence de Arafât ainsi: «Le Pèlerinage, c’est ‘Arafât ». La « Station » (wuqûf) à ‘Arafât, pendant au moins quelques instants, le neuf du mois de Dhû l-hijja, est le seul élément rituel indispensable pour que le Pèlerinage soit validé. «Certains péchés, assure encore le Prophète, ne sont pardonnés qu’à Arafât». La plaine de Arafât est en fait un lieu métaphysique, et donc un non-lieu physique; pour cette raison sans doute, elle ne fait pas partie, et contre toute attente, du territoire sacré (haram). A Arafât, la théophanie divine n’est liée à aucune forme particulière, alors qu’à La Mecque elle a pour siège le Temple saint, la « maison de Dieu». A Arafât, il n’y a pas le moindre support, arbre, mémorial, construction ou autre; il y a juste ce face-à-face dépouillé et grandiose du croyant avec l’Absolu. Arafât préfigure le Jour de la Résurrection plus que toute autre phase du Pèlerinage ; l’invocation suivante, que l’on récite lors de la «Station», y fait directement allusion: «Mon Dieu, ombre-nous sous Ton Trône, le jour où il n’y aura d’autre ombre que Ton ombre!» Pour les soufis, la Station à ‘Arafât est celle de la Connaissance, de la gnose, al-ma‘rifa, terme de la même racine que ‘Arafât. Ici plus qu’ailleurs, la ma‘rifa vise la connaissance de l’Un, al-Ahad.   Eric «Younès» Geoffroy Maître de conférence à l’université de Strasbourg


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