Algérie

Le Pèlerinage intérieur


Le Pèlerinage intérieur Tout en pratiquant avec ferveur les rites du Pèlerinage, les spirituels de l’islam prennent la Kaaba pour ce qu’elle est, précisément : un simple support d’adoration. Traquant toute trace d’idolâtrie, Omar Ibn al-Khattâb, deuxième successeur du Prophète, avait déjà affirmé qu’il n’embrasserait la Pierre Noire s’il n’avait vu le Prophète le faire. Voici Râbia al-Adawiyya, sainte irakienne du IXe siècle, qui, sur la route du Pèlerinage, vit venir à elle la Kaaba. «Â Ce qu’il me faut à moi, dit-elle, c’est le maître de la Kaaba et non la Kaaba ; De nombreux mystiques ont ainsi appelé au Pèlerinage intérieur ; par suite, les docteurs de la Loi les suspectaient de rendre caduque l’obligation du Pèlerinage extérieur. C’est un des chefs d’accusation retenus contre al-Hallâj, soufi mis à mort à Bagdad en 922. En effet, celui-ci déclare dans un vers : «Il est des hommes qui processionnent mais non avec leur corps. Ils processionnent autour de Dieu, qui les a dispensés d’aller au sanctuaire». Pourtant, il s’agissait généralement d’un dépassement du sens exotérique du Pèlerinage, non de sa négation. Dans la littérature spiritualiste, la Kaaba est souvent identifiée au cœur du croyant, centre de son univers. Le cœur est alors considéré comme une enceinte sacrée que Dieu protège contre le mal. Cette spiritualisation du rite a notamment pour fondement scripturaire le hadîth qudsî suivant : «Â Mon ciel et Ma terre ne peuvent Me contenir, mais le cœur de Mon serviteur croyant Me contient ». La théophanie divine serait donc plus parfaite dans le cœur du gnostique que dans la Kaaba. C’est ce qu’induit Abou Yazîd Bistâmî, saint iranien du IXe siècle, sur un ton quelque peu provocateur : «Â Je processionnai autour de la Kaaba en cherchant Dieu ; lorsque je L’eus trouvé, je vis la Kaaba processionner autour de moi ! ». En ce sens, on vit des maîtres soufis tels que Rûzbehân Baqlî (XIIe siècle) enjoindre à leurs disciples de faire la circumambulation autour d’eux. L’un d’entre eux n’affirmait-il pas que, quant au profit spirituel, il vaudrait mieux que l’aspirant (murîd) s’oriente, dans sa prière, vers son maître plutôt que vers la Kaaba ? Un acte majeur dans la vie du Prophète, lié à la Kaaba de pierre, a également nourri, par la suite, l’association entre cette Kaaba et le cœur de l’homme. Lorsque le Prophète eut conquis pacifiquement La Mecque, il se rendit dans l’aire sacrée. Monté sur sa chamelle, il accomplit la circumambulation autour de la Kaaba, tout en détruisant une à une les 360 idoles qui étaient disposées autour du Temple. Ce geste du Prophète soulignait implicitement la nécessité de la purification du cœur en vue de réaliser intérieurement l’Unicité (tawhîd). Car d’évidence, ces idoles qui peuplaient la Kaaba représentent les passions qui habitent le cœur de l’homme et l’empêchent de se souvenir de Dieu. Ayant lui-même expérimenté le processus initiatique du Pèlerinage intérieur, Ibn Arabî en donne un éclairage intéressant : «Â En te dirigeant vers sa Maison, Il agit comme quand Il te dirige vers toi-même par Sa parole : «Â Qui se connaît soi-même connaît son Seigneur ». En te mettant en quête de la Maison de Dieu, tu te mets donc en quête de toi-même ; lorsque tu parviens auprès de toi-même, tu sais qui tu es, lorsque tu sais qui tu es, tu connais ton Seigneur et tu sais si tu es Lui ou si tu n’es pas Lui : c’est alors que tu obtiens la science véritable ». De nos jours, et en raison du flux toujours croissant des pèlerins, le Haj est véritablement une épreuve. On entend souvent dire que la ‘umra, le petit pèlerinage que l’on peut accomplir hors des grands mouvements de foule, est, en comparaison, du «Â miel ». Au demeurant, le caractère éprouvant du Haj lui est consubstantiel, puisque celui-ci n’a d’autre but que la purification et la mort initiatique de l’ego humain : «Â Mourez avant de mourir ! »,avait dit le Prophète. En fait, l’épreuve que constitue le Haj est à la mesure de la position cyclique finale dans laquelle nous nous trouvons : pour l’islam, dernière religion révélée pour cette humanité, l’homme connaît actuellement un éloignement maximal par rapport à l’état paradisiaque. La talbiya (réponse à l’Appel divin) formulée par le pèlerin vise précisément à renouveler le Pacte primordial (al-mîthâq) scellé entre Dieu et les hommes dans la pré-éternité, avant l’incarnation des esprits sur terre : «Â Ne suis-Je point votre Seigneur ? Ils dirent : oui, nous en témoignons » (Coran 7 : 172). Younès Geoffroy
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