Entretien réalisé par Jacqueline brenot
Pour certains créateurs, l'art est une philosophie de l'existence qu'il faut saisir à travers le regard porté sur ce qui nous entoure, complexité et beauté mêlées, souligné par un style privilégié. La qualité remarquable d'une réalisation artistique se révèle par cette démarche, le choix des matériaux, des couleurs, l'angle d'attaque, l'harmonie recherchée. Un critique d'art écrivait: «Ce qu'il y a dans l'univers, par essence, présence ou fiction, le peintre l'a dans l'esprit d'abord, puis dans les mains». Quel défi ou quelle ambition poussent certains à exercer leur talent dans cette discipline plutôt élitiste, considérée par la majorité comme non essentielle' La question pourrait rester en suspens, abstraite, dérisoire par rapport à d'autres interrogations plus urgentes, jusqu'à la découverte sur le Net de tableaux, puis de la rencontre de l'artiste algérien, Kamel Nour, qui a bien voulu nous accorder cet entretien.
L'Expression: À quel moment avez-vous décidé de devenir artiste-peintre' Y-a-t-il eu une rencontre ou une découverte majeures qui ont contribué à ce choix à la fois ambitieux et peu considéré dans un monde devenu très matérialiste'
Kamel Nour: Ma décision de me consacrer à la peinture remonte à ma petite enfance, à l'âge de 5 ans. Ma mère était une couturière et je passais mon temps à la regarder confectionner des tabliers pour les écoliers. Son dévouement et son savoir-faire m'ont impressionné. Le soir, après sa journée de travail, elle me plaçait à la grande table du salon. Elle me donnait des crayons de couleur, de la peinture à l'eau et des feuilles blanches. Elle m'apprenait à dessiner des fleurs, des oiseaux, des animaux. Elle me confiait qu'elle avait toujours rêvé de devenir artisté, mais que les tâches ménagères avaient pris tout son temps. Mon père, en revanche, était opposé à cette passion naissante. Il détestait me voir peindre. Il est devenu plus hostile en voyant grandir mes penchants artistiques. Il me menaçait de jeter mon matériel. Une fois, sentant l'odeur de la térébenthine dans ma chambre, il a accompli le geste par lequel il me menaçait. Le lendemain, ma mère m'a emmené acheter une boîte de peinture à l'huile et de la térébenthine. J'étais fou de joie. J'ai commencé à peindre des paysages sur des planches de bois. En fait, tout a commencé vers l'âge de 11 ans. Par la suite, mon professeur de dessin a remarqué mes capacités et m'a offert des toiles de lin. C'était la première fois que je découvrais une toile de professionnel. Au primaire, mes camarades me demandaient de leur dessiner des choses. Cela me comblait de joie. J'aimais partager ma passion. Ma mère a été un soutien immense pour moi. Elle m'a inculqué la persévérance, la ténacité et l'amour du travail. Avec le temps, je me suis identifié à elle. Ma mère m'a transmis sa sensibilité, sa candeur, sa gentillesse et son sérieux à un moment crucial de ma vie d'enfant, où j'avais besoin de repères, surtout à un moment où il n'y avait aucune présence masculine autour de moi.
Dans vos représentations, vous semblez privilégier avec brio des messages de sagesse, de savoir-faire, d'humilité, de considération...
En effet, ma démarche est enracinée dans mon histoire et ma passion. À l'âge de 17 ans, j'ai commencé à m'intéresser au patrimoine et aux scènes de la vie quotidienne de ma ville natale, Alger. J'errais seul dans les rues d'Alger, prenant des croquis de la Casbah et des vues sur la baie d'Alger. Le soir, je reproduisais ces croquis sur toile avec de la peinture à l'huile. Je ne vivais pas vraiment mon adolescence, ni ma vie sociale, préférant me réfugier dans la peinture. La nuit était mon moment privilégié pour créer. Mon professeur de dessin à l'école secondaire m'a prêté un livre sur le peintre russe Ivan Aïvazovski, dont le style hyperréaliste m'a fasciné. J'ai reproduit ses oeuvres avec une précision millimétrique. Ensuite, j'ai découvert le peintre italien de la Renaissance, Raffaello Sanzio, dont les oeuvres m'ont enseigné la maîtrise de l'ombre et de la lumière. Plus tard, j'ai été captivé par les peintures de Léonard de Vinci, qui ont laissé leur empreinte sur mon style. J'ai adopté une base classique pour mes peintures, à laquelle j'ai ajouté ma touche contemporaine, inspirée par les couleurs de la Méditerranée et de la ville. C'est vers l'âge de 20 ans que j'ai commencé à m'intéresser à la peinture de l'Algérie, encouragé par ma mère, qui m'a rappelé l'importance de capturer la beauté de ce grand pays.
Ma famille a remarqué mon talent naissant et m'a dit que la peinture était probablement mon destin. J'avais du mal à accepter le titre d'artiste. Je préférais observer la société depuis une certaine distance pour avoir une vision d'ensemble. La nature était une source d'inspiration.. La peinture m'a appris la patience, m'a permis d'exprimer mes émotions refoulées et d'en faire des créations. Ma mère m'a transmis le sens du perfectionnement sans exigences excessives. Elle m'a encouragé à être spontané. Elle m'a dit un jour: «Mon fils, peins ce que tu veux, mais fais-le bien». Ces mots ont guidé ma quête artistique.
Avez-vous quelques «secrets» à nous dévoiler pour mieux comprendre vos techniques artistiques'
Que privilégiez-vous dans un portrait quand vous n'avez pour seule présence qu'une photo'
Je dois avouer qu'il n'y a pas de secrets magiques, mais plutôt une approche personnelle. Être un artiste-peintre n'est pas une tâche facile. L'inspiration est le carburant essentiel pour un artiste. C'est en côtoyant les autres, en étant proche de la nature et en vivant des expériences émotionnelles que je trouve mon inspiration. Chaque moment d'existence est une clé qui déverrouille mon potentiel artistique. Quand je réalise un portrait, l'élément le plus crucial est l'émotion. Je suis profondément guidé par mon ressenti. Si un paysage me touche, je le peins pour immortaliser l'intensité de cette découverte. Si une personne m'émeut, je saisis ce sentiment sur la toile, peu importe la technique utilisée. L'essentiel réside dans la réaction affective ressentie, car c'est ce qui donne de la profondeur et de la beauté à l'oeuvre. Lorsque je n'ai qu'une photo comme référence pour un portrait, je me concentre sur les yeux. Les yeux sont le miroir de l'âme, comme on dit, et c'est là que je tente de détecter la moindre trace d'émotion, aussi subtile soit-elle. Ces petites nuances dans le regard sont essentielles pour capturer l'essence de la personne que je peins. Dans mes tableaux de personnages et de scènes de vie, j'accorde une importance capitale à la gestion de la lumière, à la manière dont elle éclaire les yeux, crée des reflets et des nuances. Mon sens aigu de l'observation intervient ici, car la détection de la lumière sous différents angles est essentielle pour obtenir un résultat visuellement saisissant. En fin de compte, la vie en dehors de l'atelier est une expérience émotionnelle qui nourrit mon art. L'émotion est ma muse, et c'est ce qui me pousse à explorer le monde extérieur et à créer des oeuvres qui transmettent des moments d'humanité, des non-dits et cette lumière intérieure que vous avez aimée dans mes tableaux.
Vous paraissez soucieux de distinguer le portrait de la scène de vie. Veuillez nous expliquer cette différence
En effet, je tiens à faire cette distinction entre le terme «portrai» et celui de «scène de vie» ou «scène de genre» dans le contexte de mes peintures, et je vous remercie de votre question. Cette distinction est essentielle en raison de la nature même des personnages que je représente dans mes oeuvres. La plupart des personnages que je peins sont des personnalités historiques, des figures emblématiques de l'Algérie, des individus qui ont porté le poids de l'histoire du pays, qui ont contribué à son honneur, à son patrimoine, et qui continuent à influencer notre histoire et notre culture. Leur vie est marquée par des actes héroïques, des sacrifices et un dévouement profond envers l'Algérie. Le mot ´´portrait´´ me semble parfois limité et minimaliste pour décrire ces personnalités. Il évoque souvent une simple représentation visuelle d'une personne, sans tenir compte de l'histoire, de l'impact et du contexte qui les entourent. Ces figures ne sont pas simplement des visages figés sur une toile, mais des acteurs -clés de notre histoire nationale. C'est pourquoi j'utilise souvent le terme «scène de vie» ou «scène de genre» pour décrire mes peintures. Ces termes englobent un contexte plus large et permettent de raconter l'Algérie dans toute sa splendeur, sans idéaliser, mais en restant fidèle à la réalité. Mes oeuvres sont des instantanés de la vie de ces personnalités, des scènes qui reflètent leur engagement et les émotions qui les animent. Cette distinction vise à rendre hommage de manière plus complète et profonde à ces figures exceptionnelles de l'Algérie, en mettant en lumière leur histoire et leur impact, au-delà de la simple représentation visuelle.
Afin que l'on puisse découvrir davantage vos créations, pouvez-vous préciser vos récentes expositions et les prochaines'
Actuellement, j'ai le plaisir de présenter mes oeuvres lors d'une exposition qui se déroule dans un hôtel à Alger, et elle se poursuivra jusqu'à la fin de l'année. Cette exposition est une belle opportunité de partager mon art avec le public algérien. Par ailleurs, mes peintures ont également traversé les frontières et sont actuellement exposées aux USA, plus précisément à Houston, dans le quartier de Katty Ville. Mes oeuvres continuent d'être exposées à Houston, notamment dans des institutions culturelles américaines, ce qui me remplit de fierté. En ce moment, je me concentre sur de nouvelles peintures pour deux expositions à venir. La première se tiendra au Musée maritime d'Alger, avec pour thème la Méditerranée. La seconde aura lieu au siège des Nations unies à Alger, avec pour thème le patrimoine universel. Ces deux expositions sont prévues pour la fin du mois de décembre 2023 et se prolongeront jusqu'à l'année prochaine. J'ai hâte de partager ces nouvelles créations avec le public et de contribuer ainsi à la scène artistique locale et internationale.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 12/10/2023
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : L'Expression
Source : www.lexpressiondz.com