La lune est-elle habitée ? Oui. Par les Algériens. De juinà fin août. Contrairement aux Américains, les Algériens y marchent souventquand ils n'ont rien à faire sauf marcher entre les cratères, regarder la terrede loin et imaginer des lots de terrain ou des turpitudes sur sa face cachée.C'est à ne rien faire que servent à la fois la lune et les étés en Algérie. Etc'est à la surface de ce satellite mental que l'on se souvient de tout et derien en calculant la date du prochain Ramadhan. Comme à parler aujourd'hui desvillas des immigrés algériens de la première génération. Pensant à ramasserleurs os de leur vivant plutôt qu'après la mort, beaucoup des nôtres, vivant enEurope ou ailleurs, ont cédé à la nostalgie dans les années 80 pour payer lelot de terrain en devises, s'imaginer des maisons définitives dans le paysd'origine, destinées à la fois au retour au pays, au retour des enfants et auretour aux origines. Facilement identifiables dans les douars où ellesdétonnent par leur volume, leurs fenêtres fermées sauf en été, leur mauvaisgoût et leur gigantisme, ces villas ont offert un jour le spectacle de la finpossible d'une vie d'exil, de beaucoup d'épargne et d'immenses sacrifices encôtoyant les hameaux des cousins éloignés mais vigilants, leur vie close etleur manque de fortunes. Les vieux immigrés y ayant mis tout leur espoir, leurargent et leur conception de la fin de l'exil et de la retraite reposante.Vingt ans après la seconde mort de l'Algérie durant les années 90, il nerestera de ces villas que le spectacle de quelques cimetières de la nostalgieet de carcasses à vendre ou déjà vendues. Que s'est-il passé ? Rien sauf ce quetout le monde sait : l'Algérie est devenue invivable. Surtout pour ceux qui n'yont presque pas vécu. Dans la pure logique des intérêts biens compris, lesvieux immigrés finiront par comprendre qu'il vaut mieux ne pas revenir là oùleurs enfants ont compris qu'il vaut mieux ne pas y penser. On ne peut pasachever une vie dans un pays inachevé ni la commencer là elle s'achève. Ducoup, le mythe du retour a été revu à la baisse et la mode d'aujourd'hui pournos cousins de là-bas est d'acheter un F3 dans une cité LSP et d'y ouvrir lesfenêtres en été pour marquer le rite des retrouvailles et du ressourcement quia immensément perdu de sa force attractive, même sous prétexte du nationalismeparental. Le « Paysement » que recherchent les immigrés - contraire inexistantdu dépaysement que clament les harraga - supposant l'existence d'un pays que nesupposent même plus les Algériens même réunis tous ensemble sous un mêmedrapeau. Ne voulant plus revenir au pays, ni y habiter, ni y recommencer, ni yfinir, les immigrés et leurs descendants qui « descendent » de plus en plusrarement au douar, posent la véritable question du tourisme nationaliste et dunationalisme touristique algérien : que viennent-ils goûter ici l'été sur lalune ? Un peu rien, un peu tout. Peut-être le goût délicieux de la différencede change entre leur monnaie et la nôtre. Peut-être les trois premiers joursdes retrouvailles suivis d'un long processus d'inconfort alimentaire. Peut-êtreun dernier échange de regard avec ceux qui vont mourir ou partir. Peut-êtrel'illusion du « paysement » qui va les aider à tenir tête à la marge de l'exil.Peut-être la mer de moins en moins gratuite. Peut-être rien sauf une plusparfaite solitude : la banlieue physique là-bas et la banlieue généalogiqueici. Dans tout les cas il n'y a presque plus rien à échanger : même pas lespommes d'autrefois, les bananes ou les savons. Tout juste des attentes. Ou lespectacle des villas de l'impossible retour. Les cousins de là-bas ont l'aird'errer là où ils vont et les cousins d'ici ont l'air de s'enfermer ou departir même quand ils sourient. Où se trouve l'Algérie ? En pleine mer. Ami-chemin entre ceux qui reviennent et ceux qui partent. L'adresse provisoired'un essaim de cigognes qui se croisent.
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Posté Le : 21/07/2007
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kamel Daoud
Source : www.lequotidien-oran.com