A 66 ans, Ahmed Brahim est connu pour avoir été un opposant historique à Zine El Abidine Ben Ali. Homme politique, universitaire et syndicaliste, il a été premier secrétaire du mouvement Atajdid, issu du Parti communiste tunisien, avant que son mouvement ne se fonde dans Al Massar (la voie démocratique et sociale), créé en mars 2012. Il a été candidat à l'élection présidentielle tunisienne de 2009 et a dirigé brièvement le ministère de l'Enseignement supérieur dans le gouvernement de transition formé par Mohamed Ghannouchi en 2011.
- Votre parti, Atajdid vient de fusionner dans un mouvement plus large avec d'autres formations, à quoi obéit cette fusion '
Nous avons toujours appelé, avant les élections et avant même la révolution, à une large union des forces démocratiques. Avant les élections, nous étions convaincus que l'émiettement allait mener les forces démocratiques à la défaite, ce qui a été confirmé. Malheureusement, nos appels successifs à un grand front électoral démocratique n'ont pas été entendus. Après les élections, il y a eu comme un coup de massue, et les gens ont donc pris conscience du caractère nocif de la fragmentation de ces forces démocratiques et du bien d'un mouvement généralisé comme dans toute famille politique pour aller vers un regroupement. Nous-mêmes, avons pris part à des négociations, avons initié des négociations avec d'autres partis pour la formation d'un grand parti populaire de centre gauche. On a eu des discussions avec le PDP, Afak Touness, le Parti du travail et les Indépendants du pôle démocratique et la question était : de quoi s'agissait-il ' Pour nous, il s'agissait d'un processus de cofondation qui parierait sur le potentiel et qui ne serait pas une simple addition des forces existantes, qui, si on les additionne, ne donnent pas grand-chose au niveau des rapports de force. Il faut enclencher une dynamique unitaire qui puisse mobiliser tous ceux qui sont venus à la politique un peu après le 14 janvier, quoi ' Et on a eu des divergences sur le comment.
On nous a proposé de nous fondre dans le PDP, et nous, nous avons tenu à ce que les choses se fassent dans une démarche de cofondation où les partenaires soient sur le même pied d'égalité, de sorte que le parti nouvellement créé soit ouvert sur toutes les forces vives qui désirent entrer en politique si je puis dire.
Cette divergence sur la démarche a conduit à ce que nous nous regroupions avec des partis qui croient, comme nous, qui travaillent, qui ont les mêmes valeurs que nous et avec lesquels nous avons eu l'expérience de la campagne électorale pour les élections du 23 octobre, et nous avons décidé de créer une formation plus à gauche, plus sociale, et cela s'est fait juste après le congrès d'At tajdid qui a eu lieu en mars dernier. Juste après, nous avons tenu une convention nationale pour la fondation du nouveau parti Al Massar, la voie démocratique et sociale, qui s'appuie sur une orientation sociale qui rompe avec le libéralisme sauvage et qui reconnaisse à l'Etat un rôle de stratège, un rôle de moteur dans l''uvre de développement. C'est autour de cela que s'est fait ce nouveau parti, lequel d'ailleurs contient des discussions pour une fondation sur une base capable de lui donner une force telle qu'il puisse présenter une alternative crédible lors des prochaines élections parce que le pays a besoin que la scène politique soit rééquilibrée. Il y a un déséquilibre trop fort au profit d'Ennahda, et d'ailleurs, il aura été en faveur d'autres partis, ça aurait été la même chose.
- Il y a eu d'abord votre fusion et ensuite celle menée par le PDP, on dirait qu'il y a une reconfiguration du paysage politique où les vieux partis abandonnent les référents idéologiques classiques'
Pour ce qui est d'Atajdid, il est déjà issu d'autres refondations puisqu'il descend du vieux Parti communiste tunisien. On avait tiré la conclusion, dès 1993, en disant que la forme Parti communiste avait été très positive, mais elle avait cessé d'avoir une fonction mobilisatrice, on avait gardé l'essentiel du souffle libérateur, socialement parlant, et le souffle libérateur de manière générale avec une forme nouvelle. Ce n'était plus un parti fondé sur une idéologie unique et contraignante pour tous ses membres. Il était un parti fondé sur la diversité des tendances, la diversité d'approches et des itinéraires militants, et ouvert sur tous les Tunisiens et Tunisiennes sur la base du programme politique et non pas sur la base d'engagements philosophiques.
Par conséquent, nous avons déjà senti le besoin, et en fait, même Atajdid n'avait pas été conçu comme une fin en soi. Il était fondé pour être un élément actif dans la formation d'un large front démocratique progressiste, rien d'étonnant donc qu'après la révolution, et vu les grands défis nationaux, les préoccupations de boutiques des partis deviennent tout à fait secondaires. L'essentiel est que les principes généraux et les valeurs de notre révolution soient portés par un parti politique qui soit à la fois enraciné dans la société, ayant compris le sens de la révolution et qui soit soucieux de développer les acquis nationaux depuis le XIXe siècle.
Dans cette perspective, nous n'avons pas hésité à sacrifier en quelque sorte notre parti, avec l'accord de la plupart de ses militants qui sont aujourd'hui au service de ce nouveau parti et ils seront demain au service d'un mouvement que nous voulons plus large, parce que comme on dit en Tunisie, il n'y a que le kilo qui puisse descendre la livre. C'est-à-dire qu'il faut une force qui ait suffisamment de poids et qui soit capable d'attirer à elle tous les militants réels et potentiels et il y en a beaucoup parmi les jeunes, etc. qui puissent demain donner une perspective au pays qui soit autre que celles qu'on voit actuellement qui sont en fait des programmes pour des projets d'impasse politique.
- Justement, que pensez-vous de la décision prise récemment par Ennahda d'abandonner la charia comme source de législation '
C'est déjà un pas. On a passé plus d'un mois de surenchère sur ce sujet-là, mais la décision est positive parce qu'elle fait que l'article 1 fait l'objet de consensus national presque à l'unanimité, ce qui est une bonne base pour tout le monde. Cela évite le risque de fracture nationale sur une question artificielle. S'il y a des divisions ou de grandes oppositions, il faut que ce soit sur la base de programmes économiques, sociaux, culturels, etc. et non pas sur des questions évidentes dans un pays uni sur les plans religieux, ethnique, géographique, un pays qui a toutes les chances de réussir la transition démocratique. Il y a l'influence des pays du Golfe, celle de l'argent du Golfe, la pression des uns et des autres et aussi le fait qu'Ennahda n'ait pas encore réussi à se transformer en parti politique, qu'il est resté un pied dans la daâwa, la prédication religieuse, et un pied dans la politique. Tout cela n'a pas beaucoup aidé, mais bon nous, nous voulons passer à une situation où les partis soient des partis politiques qui seraient respectueux de leurs engagements, de leurs campagnes électorales. Je pense que tout cela dépend du poids que peuvent avoir les forces démocratiques et la société civile, et on voit que cette société civile a quand même les capacités de stopper certaines dérives comme cela s'est passé à l'occasion de l'interdiction de manifester sur un lieu symbolique comme l'avenue Bourguiba. Tout cela montre que la situation est encore instable, mais je pense que les forces démocratiques peuvent jouer un grand rôle, et nous voulons que l'ensemble du pays renforce son unité autour d'une Constitution qui soit digne de la révolution, digne du XXIe siècle et cela, à mon avis, est possible.
- Ne pensez-vous pas que la position d'Enanhda soit seulement tactique et que le parti préfère travailler la société en profondeur en récupérant notamment l'école et les mosquées '
Evidemment, c'est ce qu'ils disent d'ailleurs. Pour eux, l'essentiel c'est d'abord de préparer la société afin qu'elle accepte ce qu'ils croient être un programme national de réalisation, alors qu'il est en tout cas compris par les masses populaires comme un programme rétrograde. Ce n'est pas en rêvant de je ne sais quel âge d'or tout à fait imaginaire, avec des principes vagues et surtout quand c'est accompagné d'intolérance et d'usage de la violence morale et physique, qu'on peut gérer. Je pense qu'ils ont compris cela. C'est vrai qu'eux et d'autres forces plus extrêmes préparent la société. Mais je crois que dans la société tunisienne, si les forces démocratiques existent et que le mouvement syndical et la société civile sont partie prenante dans cette 'uvre de réforme, bien entendu Ennahda et d'autres auront droit de cité. Mais je pense que tout cela donnera un paysage politique diversifié, mais en même temps, je pense que le pays a suffisamment d'anticorps pour éviter des dérives du type soudanais ou même algérien, parfois.
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Posté Le : 18/04/2012
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Nouri Nesrouche
Source : www.elwatan.com