Publié le 04.07.2024 dans le Quotidien d’Oran
par Cherif Ali
Un enjeu, à la fois économique et social et par conséquent politique !
Depuis la Foire de la production nationale à laquelle il avait réservé sa première sortie publique tout juste après son élection, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, avait fait savoir que le temps était venu de consommer «local», le recours à l'exportation ne pouvant se faire qu'à titre exceptionnel, lorsque la production nationale n'arrive pas à satisfaire la demande locale.
Si nous n'accordons pas la priorité à nos produits, avait-il dit, nous allons avoir de sérieux problèmes économiques ; le président avait, en plus, déploré le fait que le consommateur préfère acheter des produits importés alors que le produit local existe ; il a, par la même occasion, invité les entreprises «à améliorer la qualité de leurs produits pour garantir la compétitivité» en appelant au «sursaut patriotique» pour sauver l'économie nationale !
Pour autant, rappelons-nous déjà de la sortie de la commissaire européenne au commerce, Cecilia Malstrom, jugeant les mesures prises par le gouvernement algérien de l'époque pour réduire sa facture d'importation de «non conformes à l'accord de libre-échange»; certes, cela a fait réagir le premier ministre d'alors qui s'est toutefois contenté d'affirmer concernant lesdites mesures prises qu' «elles pèseront transitoirement sur les exportations de nos fournisseurs traditionnels... et nous espérons leur compréhension», a-t-il ajouté comme pour s'excuser !
Ces mesures procédaient pourtant d'une bonne intention, selon les observateurs
Elles témoignaient de la volonté du gouvernement de stopper l'hémorragie des devises et la chute des prix du pétrole. Elles ont eu, au moins, ce mérite d'éveiller les consciences sur l'impérieuse nécessité de réduire les importations qui ont dépassé le seuil du tolérable !
Mais, la problématique du consommateur algérien est plus complexe qu'il n'y paraît et la question du «made in Algeria» ne peut se résumer à cette vision un peu simpliste de l'offre rencontrant la demande dans des conditions idéales !
Le problème pour l'Algérie réside-t-il dans la faiblesse de l'offre ?
Les experts se sont accordés pour dire que «le modèle keynésien de relance de la production par la consommation qui part de l'hypothèse de l'existence d'une offre sous-utilisée n'est pas transposable à l'Algérie qui souffre d'absence de facteurs de production compétitifs en termes de coût/qualité, et non pas d'un refus de consommation locale exprimé par les Algériens».
Les ménages algériens ne rechignent pourtant pas à consommer le produit local, dans l'absolu, mais quand ils hésitent, c'est parce que l'offre pêche par l'absence de qualité aux normes universelles et peine à soutenir la concurrence étrangère.
Il faut admettre que la tâche n'est pas aisée, car le«made in là-bas», est toujours associé à la qualité.
C'est même le premier critère cité spontanément !
Très «design», les produits «made in» ont du style ! Ils sont élégants, créatifs, et ont une véritable personnalité, une espèce de «je ne sais quoi» d'étranger qui fait la différence !
Parmi les autres questions soulevées figurent aussi la capacité réelle des industriels et de nos entreprises à produire «national» tout en restant compétitifs et performants ou l'impact d'un prix plus élevé sur le budget des Algériens et les conséquences que cela peut avoir sur d'autres pans de l'économie nationale.
Les producteurs nationaux sont prêts, nous affirme-t-on, à redoubler d'efforts pour mettre sur le marché des produits compétitifs sur le plan qualité/prix et pour satisfaire le consommateur algérien de plus en plus exigeant.
Pour ce faire, ils sollicitent l'aide de l'Etat, alors que sous d'autres cieux, c'est aux banques qu'ils doivent s'adresser !!!
Il est certes vrai que dans l'ensemble, les consommateurs algériens se disent prêts à acheter «local» ; seulement voilà, de l'autre côté, certains industriels ne font rien, ou pas grand-chose, pour les satisfaire et, partant, pérenniser leur propre activité.
Déjà, faut-il le rappeler, la disponibilité et la qualité des produits peinent à suivre. Sans compter les prix. Quand on sait, par exemple, que la viande bovine était importée d'Inde et d'Argentine quand ce n'est pas du Brésil, et que l'oignon nous est arrivé tout droit des Emirat arabes unis, l'urgence serait plutôt de diversifier notre économie et de nous consacrer à l'agriculture, plaident les experts qui relèvent également:
1. la faiblesse de l'activité agro-alimentaire
2. le vieillissement de la main-d'œuvre
3. le manque de structuration qui expose l'activité agricole à la spéculation
4. la rareté de réseaux de distribution
5. l'absence de transformation de l'activité export
Dire aussi que le slogan «consommons algérien» visant à exploiter les potentialités locales de production, juguler les importations, suffirait à inciter les ménages à consommer algérien, c'est aller vite en besogne !
Et puis ces questions :
- Y-a-t-il une liste des produits algériens susceptibles de supplanter ceux en provenance de l'étranger s'est interrogé un journaliste qui s'est engagé à s'y soumettre éventuellement ?
- Existe-t-il un label Made in Algeria ?
Consommons algérien ! Dans un passé récent, on nous invitait à goûter au «mentoudj bladi», un flop qui a fait long feu !
Quid aussi de l'orange de la Mitidja, de la pomme de terre de Mascara, du costume Sonitex, de la mobylette de Guelma ou plus encore du sucre de Miliana, du blé de Tiaret ou de la fameuse datte de Tolga !
Mais, si le président de la République s'est emparé du sujet du patriotisme économique, c'est qu'il représente un enjeu, à la fois économique et social, et par conséquent politique :
1. Enjeu économique, car encourager la consommation nationale, c'est aussi et surtout, donner un coup de pouce aux PME/PMI et tous les artisans qui font tourner l'économie et luttent pour rester en course. Assez logiquement, le «consommons algérien» trouve donc une résonnance encore plus forte en période de crise, où chaque emploi sauvé, où chaque entreprise créée sont autant de bonnes nouvelles !
2. Enjeu social, car si les Algériens viendraient à manifester l'envie de consommer «local», ils le feraient pour deux bonnes raisons au moins : donner un sens à leur acte d'achat et faire des économies même substantielles.
3. Enjeu politique, aussi, car encourager l'économie nationale, en temps de crise pétrolière comme celle qu'on a connu par le passé, est au cœur de la mission du gouvernement et plus généralement de la classe politique tout entière.
Même s'il est vrai qu'il s'agit là d'un débat de nature à irriter nos partenaires européens qui se sont emporté contre les mesures de restriction frappant leurs produits!
Sur ce dernier point, le président Tebboune a été d'ailleurs plus incisif : il a tenu à rassurer faisant savoir que les accords commerciaux avec l'Union européenne prévoient des clauses permettant la prise de mesures de protection du produit national.
Encourager la production locale, c'est donc amener les citoyens à privilégier les produits algériens dans leur consommation courante pour ce qui concerne notamment les produits lourds comme l'électroménager, l'automobile et l'électronique.
Pour le reste, c'est-à-dire l'agroalimentaire, l'habillement et autres produits à usage courant, c'est surtout la publicité et la sensibilisation qui en feront la preuve.
Le président de la République n'a eu de cesse de le rappeler :
1. nous avons appris à acheter au lieu de vendre !
2. à importer au lieu d'exporter !
3. nous ne pouvons plus continuer ainsi, et la tendance doit changer.
Dans une interview accordée à des médias nationaux, il avait tenu à rappeler que «les exportations hors hydrocarbures avaient significativement augmenté en 2022. Elles étaient de l'ordre de près de 7 milliards de dollars.»
« Depuis l'indépendance, nous n'avons jamais dépassé 1,8 milliard de dollars d'exportations hors hydrocarbures », a-t-il déploré. Et de faire savoir, « nous avons un plan d'augmenter les exportations hors hydrocarbures à 13 milliards de dollars »
Pour le président Tebboune, cela signifie qu'il existe des produits algériens demandés à l'international. Il a cité le ciment et le rond à béton qui sont exportés vers l'Afrique, l'Europe et même les Etats-Unis.
Et le pays a les moyens de réaliser ces objectifs à condition de respecter stricto sensu les engagements du Président Tebboune contenus dans ses promesses électorales comme suit :
a. Satisfaire la demande nationale.
b. Remplacer les produits importés par des produits nationaux afin de réduire drastiquement l'importation et économiser les réserves de change.
c. Favoriser et encourager tout investissement industriel qui utilise des intrants et des matières premières nationaux, crée l'emploi et soutient la croissance économique.
Au gouvernement d'agir et de mettre en bonne place «l'exportation du produit national » qui reste l'unique voie pour sortir de la dépendance aux hydrocarbures et permettre ainsi à notre « diplomatie économique » de le promouvoir !
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Posté Le : 05/07/2024
Posté par : rachids