Algérie

Le patrimoine intangible attend matérialisation et réviviscence Entre folklorisation réductrice et menace de disparition



Le patrimoine intangible attend matérialisation et réviviscence Entre folklorisation réductrice et menace de disparition
«Est-ce que tu connais des noms de la poésie orale '» A chaque fois, le jeune interrogé nous répondra du tac-au-tac «non». Même question pour les chanteurs, les danses, les plats de cuisine, les fêtes ou les costumes traditionnels. Et, très souvent, même réponse, même si quelques notions et images surnagent chez quelques personnes, généralement quadragénaires. Qui se souvient encore des vers de cheikh Hamada ou Djarmouni, des pas de la danse aalaoui ou chaouie, des fêtes ou waadi (Pl. de waada, fête organisée en hommage au saint patron de la région), des plats ou des gâteaux qu'on préparait à telle occasion ou pour telle circonstance ' Qui sait encore reproduire les gestes de l'artisan confectionnant une selle, un burnous, un bijou, un ustensile. Peu de gens. Quant au pourquoi, sa réponse coule de source : on n'a rien fait pour préserver et perpétuer ce patrimoine culturel et civilisationnel intangible. Certes, quelques études et recherches ont été faites par des sociologues, musicologues, ethnologues, socio-ethnologues et autres spécialistes, qui ont publié les résultats de leurs recherches dans des ouvrages. Mais ces travaux restent confinés dans les cercles d'initiés. Ils sont dans le circuit de la recherche où ils servent de références bibliographiques et/ou base de travail pour d'autres chercheurs, comme ils se
sont eux-mêmes inspirés des travaux des prédécesseurs.
Il est vrai que le citoyen qui s'intéresserait à une expression patrimoniale donnée peut toujours trouver un livre qui en parle, si ce n'est en librairie, dans la bibliothèque nationale, d'une université ou d'un centre de recherche. Mais comment peut-on penser chercher quelque chose dont on n'a jamais entendu parler, qu'on n'a jamais vue ou goûtée, et pourquoi s'y intéresser quand on sait qu'on a peu de chance de la voir '
La sauvegarde du patrimoine culturel intangible et la préservation de son cachet originel ont, indéniablement, besoin du travail du chercheur et du spécialiste, mais sa pérennisation exige, d'autres actions tangibles qu'on résumera en la formation d'une relève qui perpétuera le geste et l'esprit de l'expression culturelle visée. Pour préserver la poésie orale, il faut la transcrire, mais il faut aussi la diffuser pour la faire connaître et apprécier. Idem pour la sellerie, ou la danse traditionnelle. Concrètement, les casbahs qui sont en voie de restauration dans différentes villes (Alger, Dellys, Constantine) ainsi que les ksour dans le Sud doivent faire revivre tous ces métiers artisanaux et ces expressions culturelles disparues ou presque. Dans les échoppes des artisans d'antan ils doivent renaître. Crissement des ciseaux, heurts des maillets, cliquetis des métiers à tisser et chuintement des poinçons doivent résonner de nouveau dans les venelles de ces cités, et qui attireront forcément le visiteur. Quant aux places et esplanades, elles doivent retrouver le bruissement des
marchés populaires où se formaient ces rondes de joutes oratoires. Les communes devraient aussi penser à ressusciter ces fêtes champêtres et waadi qui attiraient des visiteurs de partout, même de l'étranger.
On a perdu du temps et des pans entiers de notre patrimoine immatériel. Mais il reste un substrat qu'on peut encore sauver, si on s'y attelle et on y consacre les moyens et budgets nécessaires. Il faudrait exploiter les travaux accomplis par des chercheurs, soutenir ceux qui sont en voie ou en projet et travailler à la matérialisation de toutes ces notes, schémas et croquis descriptifs qui ont permis à l'intangible d'être transcrit et dépeint pour être transmis aux nouvelles générations. Les spectacles et festivals locaux et régionaux ou les émissions radios et télévisuelles ne suffisent pas. On peut même dire qu'ils desservent le patrimoine immatériel plus qu'ils ne le servent, car, il est souvent folklorisé, dans le sens réducteur du terme, c'est-à-dire transformé en image de carte postale. Le patrimoine immatériel doit sortir de cette folklorisation réductrice dans lequel on l'enferme pour être appréhendé comme un jalon, un référent, civilisationnel et identitaire, non d'une région ou d'une population mais de la société entière, dans toute sa diversité culturelle.
H. G.


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