Algérie

LE PATRIARCHE SEME LES TURBULENCES



Le Sénégal a longtemps fait figure d'îlot de stabilité et de relative dé mocratie de sa vie publique. Sans grave crise de pouvoir. Cela risque de n'être plus qu'un souvenir depuis que le patriarche Abdoulaye Wade a décidé, à l'âge de 86 ans, malgré ses engagements précédents, de se représenter pour un nouveau mandat.
Les électeurs sénégalais qui se rendent aujourd'hui aux urnes sont invités, de facto, à valider un coup de force constitutionnel. Après avoir verrouillé la Constitution en limitant le nombre des mandats, le vieux patriarche, sans doute dépité de ne pouvoir placer son fils en successeur direct, a décidé de la «déverrouiller»… Il a décidé que son premier mandat ne doit pas être comptabilisé, chose qui fait sursauter les juristes. Mais peu importe : du moment que les membres du Conseil constitutionnel sont «ses» hommes, la candidature du vieux est validée. Avec un argument qu'on retrouverait parfaitement dans un délire de patriarche si brillamment conté par Garcia Marquez : «Je l'ai dit, je me dédis». Et, semble-t-il, dans le style gros roublard, Wade a expliqué que lorsqu'on se dédit, c'est celui qui a cru aux propos qui a tort !
«Un peuple peut-il faire confiance à quelqu'un qui se donne le droit de dire une chose et son contraire '», s'est écrié un ami sénégalais. Ce n'est même pas une question. Mais dans ce scrutin qui se tient dans un climat de violence et de tension, et où les dés sont pipés, le Sénégal s'enfonce dans une régression qui ne semblait pas inéluctable. Il devient même éligible, chose inimaginable il y a encore dix ans, à l'intrusion des militaires dans le jeu politique. Il y a trop de mépris et de légèreté dans la démarche de ce patriarche, qu'on aurait vu volontiers prendre une retraite philosophique au lieu de s'accrocher aussi férocement au pouvoir pour que cela reste sans conséquence.
Pour beaucoup, les jeux sont faits : Abdoulaye Wade n'a pas mis en branle toute cette machine à bloquer le temps pour se contenter de faire de la figuration. Mais sa victoire, ultime vanité du vieillard encouragé par une cour sans vision et très corrompue, sera un danger pour son pays et son peuple.
Bien sûr, M. Wade s'appuie sur des clientèles et des soutiens. Mais cela ne légitime pas qu'il ait choisi de casser une tradition sénégalaise où les présidents savent tirer leur révérence à temps et prendre une retraite respectable. Demander un autre mandat à 86 ans, c'est de la caricature, du grotesque.
Et c'est d'autant plus regrettable que le Sénégal, sans être un paradis, n'a pas l'habitude de se donner en spectacle au reste du monde. Wade a sans doute l'idée fixe de faire hériter son rejeton du pouvoir d'une manière ou d'une autre. Mais cette incroyable lubie a un prix : Wade sera peut-être «élu», mais le Sénégal n'aura jamais été autant divisé. Bien sûr, l'opposition sénégalaise est trop divisée pour constituer une menace à cette réélection et la répression fait son 'uvre.
Mais le pays est entré en turbulence. Les ingrédients sont déjà là. Entre une jeunesse, dont une partie est gagnée par le désespoir, et le patriarche qui refuse de céder, la distance est trop grande. Le Sopi, changement en wolof, qui avait été le mot d'ordre de Wade il y a plus d'une décennie, n'ayant plus la possibilité de s'exprimer par la politique, pourrait trouver son expression dans la rue.




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