Algérie

LE PARI RISQUE DU MARECHAL


Le Mouchir Tantaoui a frappé. L'armée égyptienne qui n'a rien de démocratique démontre un savoir-faire man'uvrier retors dans la gestion d'une transition complexe amorcée en janvier 2011 après avoir lâché Hosni Moubarak. Le Conseil suprême des forces armées (CSFA) dirigé par le maréchal Tantaoui dispose désormais de tous les pouvoirs à la veille de l'élection présidentielle.
Par petits coups et pratiquant une sorte de longue guerre d'usure, les militaires ont opéré une reprise en main progressive mais inexorable de tous les leviers de commande du pays. Ils viennent de porter l'estocade à travers une décision d'une Haute Cour constitutionnelle qui leur est acquise en balayant l'assemblée législative dominée par les Frères musulmans. Avant cette touche «finale», ils se sont évertués à annihiler les forces qui lui paraissaient les plus dangereuses, les Frères musulmans et les «révolutionnaires» de la Place Tahrir. Ils les ont opposés les uns aux autres, tout en pointant du doigt leur responsabilité commune dans la dégradation de la situation économique, illustrée de manière visible par la chute du tourisme. Ils ont créé ainsi une «demande d'ordre» qu'ils espèrent mettre à profit de leur candidat, l'ex-général et dernier Premier ministre de Moubarak, Ahmed Chafiq.
Le CSFA a fait mine de concéder un large champ aux forces politiques mais en veillant constamment à reprendre d'une main ce qu'il concédait de l'autre. Le meilleur exemple de ce double langage permanent est bien la mise en scène de la levée de l'état d'urgence en vigueur depuis l'assassinat d'Anouar Sadate en octobre 1981 et la promulgation concomitante de décrets qui redonnent aux services secrets le pouvoir d'arrêter des civils et de les déférer devant des tribunaux militaires. Les décisions de la Cour constitutionnelle de retoquer la loi bannissant des responsabilités politiques les caciques du régime Moubarak (dont le général Chafiq) et d'invalider la représentation nationale élue en décembre 2011 représentent un stade supplémentaire dans la normalisation politique sous la houlette des militaires. L'argument de l'illégitimité constitutionnelle du Parlement est clairement irrecevable dans un pays où il n'y a plus de Constitution.
A l'évidence, les militaires pensent que le rapport de force est largement en leur faveur et qu'ils peuvent se dispenser d'un excessif respect des formes. Ils sont confortés dans leur posture par le fait qu'entre les élections législatives achevées en février 2012 et le premier tour de la présidentielle, en mai 2012, les Frères musulmans ont fortement reculé en passant de 45% à 25% des suffrages. Les promesses politiques et sociales de la campagne des législatives ne sont pas traduites dans la réalité d'une assemblée dominée par les Frères musulmans et les salafistes. Déçue, l'opinion publique égyptienne est également excédée par l'instabilité et l'insécurité qui se sont installées dans le pays. Relayées par de puissants médias, dont les principales chaînes de télévision privées, les informations sur les contre-performances économiques sont reçues avec angoisse par une population dont les conditions d'existence ne sont pas améliorées depuis le «changement» de régime.
A la veille du second tour de la présidentielle, le CSFA a donc frappé un grand coup. S'il semble maîtriser la situation et imposer son agenda, et peut-être son candidat au Palais d'Abidin, le CSFA joue gros. Même lassés par les désordres, les Egyptiens sont-ils disposés à revenir à la case départ pour se retrouver face à un système qu'ils ont rejeté avec force ' La question est d'autant plus cruciale que les conditions sociales se sont dangereusement dégradées sans aucune perspective d'amélioration à court terme. De plus, et c'est loin d'être négligeable, les forces politiques qui se sont exprimées en janvier 2011 ne sont pas disposées à rentrer dans le rang. Le coup d'Etat constitutionnel assumé par le CSFA inaugure probablement une ère dangereuse sur les rives du Nil.


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