Algérie

Le parcours d'un homme de principes



Ferhat Abbas aura couru, des années durant, à partir de novembre 1936, derrière la chance de diriger les affaires de la ville de Sétif. Il n’y parvint jamais. A plusieurs reprises, il aura le droit de siéger au sein du conseil municipal sans jamais éloigner le doute sur ses capacités à réaliser le bonheur de ses concitoyens de tous horizons en occupant le haut du perchoir. Il était frappé d’une tare indélébile, aux yeux de l’administration coloniale: il restait sujet musulman.
Il accompagna jusqu’à la limite de la compromission le «maire arabe», Charles Bruncat, pour arracher au profit de ses électeurs et coreligionnaires de menus avantages : quelques postes d’emploi à la mairie et le droit, pour un nombre restreint parmi eux, -les plus prétendus «assimilables»,- de loger dans des cités qui devaient leur être en principe interdites (foyer des Anciens combattants, cité Bruncat, etc.), ou d’améliorer pour les autres les conditions des services publics de leur quartier (cité Bel-Air, lotissement Burdin …). Mais jamais il ne put convaincre que sa droiture républicaine pouvait lui valoir un jour la consécration suprême à la tête de Sétif. De plus, pour ne rien faciliter dans le jeu trouble des gros colons et le prolongement «naturel» de leur pouvoir de sévir, -«Main rouge», police et justice,- il avait pour principaux opposants les petits Français ultras, regroupés chaque soir au café Carbonnel ou chez Yvonne pour boire un coup et déverser leur haine. Complexés par le pharmacien et l’élite libérale qui l’entourait, -tellement plus pétris de culture francophone qu’eux,- conscients du danger que cela représentait pour leurs privilèges en cas d’entente, ils cherchaient par tous les moyens à le pousser vers la faute et faire des cartons comme leurs aînés en mai et juin 1945.Mais il était déjà trop tard, le jour se levait sur «la nuit coloniale». Au commencement de la lutte armée, Ferhat Abbas hésita un moment avant d’enterrer définitivement ses rêves d’égalité derrière la détermination légitime des uns à en découdre par le feu, et l’entêtement des autres à vouloir à tout prix maintenir entière l’Algérie des oppresseurs. Abbas rejoignit le FLN en avril 1956, et dès 1958, Bruncat fut remplacé par un «comité de salut public», avec Gesserel à sa tête et Rebiha Kebtani, d’abord à ses côtés, puis «élue» le 23 avril 1959 ; elle prit les commandes de la ville pour ne les lâcher que le 4 juillet 1962. Puis vint la libération.  Alors qu’il désespérait d’endosser un destin national à la mesure de son envergure, Ferhat Abbas retourna souvent à Sétif, quand il était libre de le faire, peut-être pour constater, par défaut, à quel point il aurait pu donner à cette bonne ville qui l’avait accueilli en 1934, la dimension qui aurait dû lui revenir. L’Histoire, cette ingrate, avait voulu de lui à ce poste. Mais ce n’est pas ainsi que s’écrivent les pages d’histoire, la fiction n’y joue aucun rôle. Ou alors pour seulement consoler. Reste alors le désir ardent de revisiter le passé, consciemment manipulé, pour espérer en tirer des leçons et ne plus avoir à le pleurer. C’est tout à fait compréhensible, dans ce cas. Mais dans ce cas seulement.
 


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