Algérie

Le pacte des médiocres



C'est un fait indéniable que depuis le début du soulèvement en Tunisie qui a abouti à la fuite de Benali, nous assistons à une recomposition en profondeur du champ politique au Maghreb et au Machreq. Il est également clair que nous assistons à la mise à la retraite forcée d'une génération de militaires reconvertis à la politique depuis la fin de l'ère coloniale, mise à la retraite voulue par les nouvelles générations qui aspirent à se débarrasser de tous les carcans qui lui ont été imposés par leurs aînés, au nom du nationalisme et du développement économique, à commencer par celui de la censure et de la peur.La grande leçon de ce vaste mouvement de contestation est l'accession définitive de la mouvance islamiste au statut de courant politique majoritaire qui ambitionne de gouverner. Les urnes ont déjà confirmé cette tendance en Tunisie, au Maroc et en Egypte. Le cycle entamé à la fin du 19ème siècle par le mouvement salafiste de Djamal Eddine el Afghani et Mohammed Abdou, dont l'échec ouvrira successivement la voie aux modernistes libéraux et socialistes, vient de prendre fin avec les soulèvements de 2011. Les modernistes ayant eux aussi échoué dans leur tentative de réforme et de modernisation de la société, le balancier ramène encore une fois au-devant de la scène les tenants d'une réforme morale par un retour à la tradition islamique authentique.
Au-delà de toute spéculation concernant la spontanéité de ces soulèvements et le degré d'implication des puissances occidentales dans le mouvement de recomposition en cours, il est également tout à fait clair que la rue a d'abord et avant tout fortement exprimé son rejet de la classe de prédateurs qui a pris le contrôle de l'Etat et qui utilise sa position dominante pour s'enrichir de la manière la plus éhontée qui soit sur le dos du peuple, usant et abusant de la manipulation et du mensonge et se posant vis-à-vis des Occidentaux comme le dernier rempart face à la « barbarie intégriste ». Bien sûr, cette classe de prédateurs a des soutiens au sein de la société. Certains la soutiennent pour des raisons économiques (tous ceux qui sont associés d'une manière ou d'une autre au partage du gâteau) et d'autres pour des raisons idéologiques (tous ceux qui paniquent à l'idée de voir la mouvance islamiste s'emparer du pouvoir et imposer la chariaa). Il n'en demeure pas moins que c'est cette classe de prédateurs qui est d'abord visée par le mouvement de contestation, car elle a doublement failli. Elle a échoué sur un plan purement technique car elle a été incapable de mettre en place une économie productrice de richesses dont la prospérité rejaillit sur tous. Elle a également échoué sur un plan moral car elle n'a pas su mettre un frein à ses appétits, faisant du détournement de l'argent public et de la corruption ses deux principales sources d'enrichissement, au lieu d'investir dans le travail et la maîtrise des sciences et des techniques.
Les attentes des populations du Machreq et du Maghreb sont donc doubles. Ces populations veulent d'abord qu'il soit mis fin au règne de l'arbitraire et de l'impunité et que commence le règne de la responsabilité des gouvernants devant le peuple, à travers ses représentants légitimes, librement élus. Cela implique le respect des libertés fondamentales, l'indépendance de la Justice et l'alternance au pouvoir. Elles veulent ensuite des responsables politiques et des technocrates qui travaillent à mettre en place une économie performante productrice de richesses. Cela implique que ceux qui échouent dans cette tâche cèdent la place à d'autres, afin que tout un chacun puisse avoir la chance de mettre ses idées en pratique, loin de toute forme de monopole. Ces populations veulent enfin que la prospérité économique rejaillisse sur tous de manière équitable et que les gouvernants s'attellent à mettre en place un processus d'amélioration constante des services publics afin que les couches les plus vulnérables ne soient plus livrées à elles-mêmes dans la lutte pour la survie. Elles veulent une société solidaire et non pas la guerre de tous contre tous.
La classe au pouvoir dans notre pays est l'une des rares rescapées de la vague de soulèvements qui secoue notre région depuis janvier 2011. Elle s'apprête à procéder encore une fois à un toilettage de façade afin de sauvegarder son pouvoir, en essayant d'élargir sa base à certains groupes de l'opposition. Cette nouvelle cooptation par les urnes ? après celle de boutef en 1999 ? vise à détourner la population de la voie de la contestation et à sauver les meubles en acceptant de partager le gâteau avec des réseaux qui en étaient jusqu'à présent exclus. Outre les éternels lièvres qui roulent pour le DRS, venus renforcer les poids lourds du régime que sont le RND et le FLN, il y aura donc en lice la « famille » islamiste «modérée» qui comprend les différents groupes issus de l'ancien parti de feu Nahnah ainsi que ceux issus du premier parti de Djaballah. Il y aura également Louisa Hanoun avec sa rhétorique «anti-impérialiste» qui n'accroche plus. Et, last but not least, il y aura le FFS, au sujet duquel nul ne peut dire aujourd'hui si ses dirigeants croient réellement à ces élections ou s'ils ont une autre idée derrière la tête. Si l'on fait abstraction des éternels «sanafir» du champ politique algérien issu de la Constitution de 1989 que sont le RCD, le MDS et le PST, il ne restera donc en dehors de la scène de théâtre que les militants de l'ex-FIS et les différents groupes qui n'ont jamais sollicité l'agrément des autorités (FCN, Rachad, MAOL).
La disparition de trois figures importantes du pouvoir occulte qui est à tête du pays depuis 1992 ? belkheir, smaîn lamari et mohamed lamari ? ainsi que l'âge avancé de ceux qui sont encore vivants, de même que l'état de santé sérieusement dégradé de boutef, font que l'étape à venir sera celle d'une âpre lutte au sommet pour la succession. La génération de ceux et celles qui sont nés dans les années 50 et qui étaient enfants à l'indépendance se retrouvera pour la première fois majoritairement aux commandes, que ce soit dans l'Armée, les institutions de l'Etat ou les partis politiques : Ouyahia, Boudjerra Soltani, Louisa Hanoun, Saîd Sadi, Djaballah, etc. Les « héritiers » civils pourront-ils convaincre leurs vis-à-vis de l'ANP de quitter définitivement le champ politique afin de laisser toutes les forces s'exprimer librement' Seront-t-ils en mesure de surmonter les anciennes fractures qui traversent la société et d'élaborer un nouveau consensus qui permettra à notre pays de commencer une nouvelle page ? moins sombre ? de son Histoire' Il est permis d'en douter, tant les compromissions et les trahisons des idéaux ont été nombreux au sein de cette génération. Quel type de régime politique émergera donc dans notre pays après la disparition des derniers « dinosaures »' Il y a fort à parier que ce sera encore une fois le « pacte des médiocres » qui prévaudra, afin que rien ne change et que les réseaux de la prédation puissent continuer à fonctionner comme par le passé. A moins d'une miraculeuse prise de conscience de leur part, il est fort probable que les pancartes qui ont servi en Tunisie et en Egypte ? « ???? » et « Dégage! » ? resurgiront un jour ou l'autre dans nos rues. La vigilance et le travail de mobilisation de tous les patriotes sincères sont plus que jamais requis.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)