« Galou laarab, galou ».
Voilà un texte élogieux qui exprime, enflée par la mémoire, l’exaltation populaire de Salah Ben Moustafa, Bey de Constantine pendant près de 22 ans; un poème mémoriel qui élève jusqu’à la sublimation un personnage ambivalent, au point de nous interpeller et pousser à des questionnements.
Cet encensement posthume en arabe dialectal, immortalisé par Mohamed Tahar Fergani, est prêté, sans preuve avérée, par certains, à Oumaïma la maîtresse juive de Salah Bey, en guise de reconnaissance à celui qui offrit à sa communauté la possibilité de regroupement, dans le quartier de Charaâ*, alors que d’autres, l’attribuent à un meddah autochtone anonyme, captivé par les circonstances tragiques de la disparition de celui qui est considéré comme le plus grand Bey de Constantine.
Mais qu’est ce qui a bien pu conduire le peuple constantinois à chérir et glorifier un Bey turc, à telle enseigne que les femmes de Constantine continuent à lui rendre hommage, plus de deux siècles après sa tragique disparition, en portant (de moins en moins de nos jours) la mlaya, noire, en signe de deuil.
Pourtant ce Bey, qui régna de 1771 à 1792 sur le Beylicat de Constantine, ne fut pas un saint. Loin s’en faut. A l’instar de quasiment tous les beys,qui se sont succèdés à Constantine, Salah Bey commença dès son investiture, par asseoir son autorité sur une population, accoutumée à la servitude et l’oppression depuis 1517, face à un pouvoir reposant sur le système de la contrainte et de la peur. Comme ses prédécesseurs, pour châtier les tribus récalcitrantes, il fit des expéditions punitives les pillant de tous leurs biens. Les citadins de Constantine eurent aussi à se plaindre des rigueurs de Salah Bey, au point que pour se soustraire à son administration, de nombreux constantinois se réfugient en Tunisie.
Cependant, Salah Bey a habilement réussi à sceller une collusion avec les grandes familles des autochtones de Constantine, toujours portés à la révolte, dès lors que leurs privilèges et avantages matériels se trouvent menacés, en les intégrant dans son Medjless et aussi, en attirant la bienveillance des incontournables oulémas, dépositaires du pouvoir spirituel, pour pouvoir d’abord, consolider sa domination puis, introduire les réformes dans son beylicat. Il demeurait néanmoins, un farouche partisan de la loi du plus fort, un fondement qui a fait ses preuves et qui lui permettait de donner libre cours à sa nature cruelle et sanguinaire envers ceux qui osaient braver son autorité, notamment les marabouts, malgré sa dévotion, comme en témoigne la légende de Sidi Mohamed el ghourab.( le corbeau).
Mais en dépit des exactions, qu’il convient de restituer, sans les absoudre, dans le contexte endémique des rebellions durant son long règne de près de 22 ans, il a été, indubitablement, celui qui a apporté les réformes qui ont révolutionné la société constantinoise et celui qui a modernisé Constantine.
Que l’on juge : Constantine au début du 18e S, n’était qu’un entassement désordonné de baraquements enchevêtrés dans des ruelles tortueuses et sombres. Salah a été l’un des beys qui a embelli la ville de Constantine, poursuivant ainsi l’œuvre entamée par ses prédécesseurs, Bou Hanek** et Ahmed El Colli, en réalisant des infrastructures d’utilité publique qui ont métamorphosé la ville. Cependant, l’une des plus grandioses et populaires entreprises que Salah Bey réalisa, fut la réédification du pont d’El Kantara, en confiant les travaux à Don Bartholomé,un architecte italien qu’il fit venir de Mahon. Une réhabilitation qui ne sera pas cependant achevée à sa disparition. Ces grands chantiers ont fini par engloutir la majeure partie de ses revenus provenant essentiellement des impôts*** et on laisse entendre qu’il aurait recouru au bey Hammouda Pacha de Tunis, pour compléter la somme nécessaire au paiement du Denouche au Dey. En agriculture, il développa la culture du riz dans des terrains marécageux du Hamma en favorisant son irrigation à l’aide de norias. Il constitua en Azel ou terres domaniales, des terres en friche, pour la culture des céréales et des haras pour la propagation de la race chevaline. Il prit des mesures courageuses pour mettre fin aux malversations qui avaient pollué l’administration des habous. Mais Salah Bey a aussi et surtout, démocratisé l’enseignement et répandu l’instruction, jusque dans les tribus les plus éloignées. S’il fut aidé par quelques hommes d’un profond savoir, pour réformer le système éducatif et relever le gout des études en bâtissant des mosquées et médersas comprenant des internats, il est évident que toutes ces réalisations et surtout les réformes pour le bien public, avaient offenser les préjugés et fini par nuire à des avantages individuels, dans toutes les classes de la société dominante, qui voyaient ainsi leurs intérêts matériels menacés, pour certains, et l’ influence qui reposait sur l’ignorance et la crédulité mise en péril, pour d’autres.
Ce seront ces ennemis qui faisaient du lobbying de proximité comme on dit de nos jours, auprès du Dey, qui ont fini par convaincre ce dernier, que Salah Bey aspirait à rendre son beylicat indépendant de la Régence. Dés lors sa destitution est prononcée et Ibrahim Bousbal, désigné pour le remplacer.
Le roi est mort, vive le roi. La population qui nous habitué à de brusques revirements, en dépit de l’amélioration de son bien être général, durant ces plus que 21 années de gouvernance de Salah Bey, acclama haut et fort le nouveau souverain de la province.
Voilà donc un bey hier adulé par son peuple, aujourd’hui maudit et livré perfidement.
Désormais son exécution était inscrite à l’encre rouge en dépit des événements suivants qui allaient surseoir à son exécution : Le 16 août 1792, sur ordre du Dey, après près de 21 années de gouvernance, il est déposé et arrêté par le nouveau Bey Brahim BOUSBAL qui lui permet, cependant de repartir chez sa famille ; L’ambition étouffant la reconnaissance, trois jours après, Salah BEY, armant secrètement ses sicaires, surprend dans son sommeil, son éphémère et indulgent successeur qui avait pourtant intercédé auprès du Dey pour lui laisser la vie sauve et se réinstalle à Dar El Bey, dorénavant devenu le palais du meurtre et de la trahison ; La population indignée, par ce meurtre, loin de le suivre, prit les armes contre lui et ses partisans ; Durant plusieurs jours la bataille fit rage, sans pencher d’un côté ou de l’autre . mais en apprenant l’arrivée d’un nouveau Bey, les notables de la ville, se sont entendus avec l’Agha, pour le mettre aux fers; Dans la nuit du 1e au 2 septembre 1792 le nouveau Bey Hossain BOUHANEK, exécute Salah BEY .
Ainsi finit Salah, Bey, sans conteste, le plus grand des Beys de Constantine.
L’auteur, anonyme, des louanges post mortem, occulte sciemment les défauts et les travers de Salah Bey, pour ne se souvenir que de sa grandeur et ses qualités****. L’apanage des grands hommes et des disparus.
Mais cette complainte bourdonne dans mes oreilles, comme le repentir d’une forfaiture difficile à assumer par une population versatile.
*A condition de construire des maisons ? dans le cadre de l’embellissement de la ville
**Le même Bou Hanek reviendra et exécutera Salah Bey.
*** La course étant en déclin, ses revenus ont sérieusement diminué
**** Ses faits d'armes, notamment contre les espagnols, sont également passés sous silence.
faridghili@gmail.com
Voici des Extraits des paroles du poème, que nous devons à Mr Boudjemaâ HAICHOUR. La chanson rappelle seulement le rang suprême auquel est parvenu Salah BEY, désigné comme étant le Bey des Beys.
Galou El Arab Galou
Lanaâti Salah wala malou
Saqma taqtalou
Wa eytihou el arkab ala el argab
Hamlatni ya raqiq an nab
Rouhou al darou ya zayara
Les Arabes ont dit
Nous ne livrerons ni Salah ni ses biens
Nous nous livrons à une bataille pour sa cause
Même si nous voyons s’accumuler des têtes et des cadavres.
Tu m’as délaissé, ô toi sans parole.
Allez chez lui ô visiteurs !
Galou al arab hayhat
Sidi Salah bey el Bayet
Nafdiwh belmal
Waytihou larkab ala argab
Rahou indha salah bey
Khalla sabâa awlad sabri lillah
La yahram man kana hachara
Rouhou al darou ya zayara
Les Arabes ont dit en déplorables
Notre maître Salah le bey des beys.
Nous le sacrifions par notre argent
Même si nous voyons s’accumuler des têtes et des cadavres.
Ils se rendant chez Salah Bey
Qui a laissé sept enfants
Attristé je m’en remets à Dieu
Pour Qu’il en procure miséricorde à l’assemblée
Allez chez lui ô visiteurs !
Gal al arbi gal
Sidi salah bey ach houa yaqtal
Midhi min allah jaât
allah yahram man kan hadhara
Rouhou al darou ya zayara
L’Arabe a dit:
Pourquoi on l’a tué-
C’est donc sa destinée
Puisse Dieu procurer miséricorde à tous les présents
Allez chez lui ô visiteurs.
²Billah yal machi tarbah
Hadha atboul alach ayssayah
An hallat al makhantar
Sid al gouman
Ya liatou khyalou
Ma ad ayban
Rouhi ya dounia mafik aman
Je te conjure par Dieu ô toi qui circule
Pourquoi les tambours sont si retentissants.
C’est à cause de l'état du préféré des hommes
O ma douleur, je ne verrais plus son ombre.
Ainsi est la vie ! On ne peut la croire.
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Posté Le : 09/06/2016
Posté par : patrimoinealgerie
Ecrit par : FARID GHILI