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Le mont d’Azrou-n-Thour : un espace à la fois sacré et profane



Le mont d’Azrou-n-Thour : un espace à la fois sacré et profane
L’homme a commencé à exprimer sa pensée spirituelle à travers des objets d’arts tels que des statuettes en bois, des figurines en terre cuite, des œufs d’autruches et des coquillages qui ont servis de pendeloques. Certains, voient en cette manifestation un « éveil spirituel ». Ainsi, l’homme devient Homo religiosus. Tout ce qui l’entoure prend un caractère sacré. La consécration des espaces sacrés est liée à l’homme religieux de la vie traditionnelle qui conçoit l’espace non homogène c’est-à-que l’espace présente des ruptures et des coupures. Pour lui, l’espace est constitué d’espaces sacrés et profanes. Contrairement à l’homme de la société traditionnelle, l’homme de la société moderne conçoit l’espace comme étant homogène ce qui le tend à le désacraliser. Tout espace sacré implique une hiérophanie qui se traduit à travers des pratiques et rituels organisés en divers lieux sacrés.

Les accidents topographiques comme les fleuves, les rivières, les sources, les abris sous roches, les cavernes, les grottes, les rochers, les montagnes sont sanctifiées par l’homme et font l’objet de rites. Dans cet article, nous nous intéresserons au mont d’Azrou-n-Thour, un espace sanctifié symboliquement par les habitants de cette localité d’Iferhounene (Kabylie). Qu’en est-il de sa symbolique et du rituel qui lui est consacré ? Qu’est ce qui fait qu’il est à la fois un espace sacré et profane ?

La montagne, le mont et le symbolisme du centre du monde

Tout espace sacré, quel que soit l’aspect sous lequel il se présente, maison, grotte, lieu saint, mosquée, cathédrale ou montagne, on retrouve le symbolisme du ‘‘centre du monde’’, d’une ‘‘ouverture’’ par laquelle est possible le passage, la communication entre régions cosmiques (Terre/Ciel-Ciel-Terre). L’image de la montagne cosmique symbolise le centre du monde ; elle exprime très bien le lien entre le Ciel et la Terre. Ainsi, dans de nombreuses sociétés traditionnelles, la montagne, est consacrée. Pour elles, « la montagne sacrée est « Axis mundi » qui relie la terre au ciel et marque le point le plus haut du monde ; il en résulte le pays qui l’entoure, et qui constitue « notre monde », est considèré comme le pays le plus haut » (M. Eliade, 2009, p. 39). Les montagnes Meru en Inde, le Mont des pays en Mésopotamie, Haraberezaite en Iran, Gerizin en Palestine nommé « nombril de la terre » ou le Mont de l’Atlas au Maroc pour ne citer que ceux-là, sont tous perçus comme des espaces sacrés, auxquels de nombreux rites sont consacrés. Le Mont Atlas ou ‘‘la colonne du ciel’’ comme le nommaient les gens du pays au temps d’Hérodote est l’objet de vénération comme nous le souligne Pline : « Une crainte religieuse saisit les cœurs quand on s’en approche, surtout à l’aspect de ce sommet élevé au-dessus des nuages et qui semble voisin du cercle lunaire » (R. Basset, 2011, p. 11). De nos jours, le culte de la montagne existe comme l’écrit (G. Camps 2007, p.203) : « Aujourd’hui encore la montagne est siège de croyances diverses. Certains sommets sont tellement hantés par les génies (djinn, pluriel djennoun), qu’ils sont pratiquement interdits aux hommes. Cette croyance est particulièrement forte chez les touaregs au Hoggar (Garat ed-Djennoun), comme dans l’Air mont Greboun ». En Kabylie, de nombreuses montagnes sont consacrées à l’image du mont Yemma Gouraya à Bejaia et de celui d’Azrou-n-Thour de la chaine montagneuse du Djurdjura qui culmine à mille neuf cent mètres d’altitude.

Culte du mont d’Azrou-n-Thour, un espace à la fois sacré et profane
–Aspect sacré de la montagne d’Azrou-n-Thour

Azrou-n-Thour signifie rocher de la deuxième prière du jour de la religion musulmane et cela est lié au soleil comme indicateur de temps. En effet, en l’absence de montre, les croyants utilisaient la position du soleil comme repère temps. C’est au moment où le soleil touche le rocher d’Azrou-n-Thour que vient le moment de la deuxième prière du jour, Cela correspond à une heure de l’après-midi. Le sommet d’Azrou-n-Thor est un espace sacré où fut érigé un petit mausolée. Durant trois week-ends successifs du mois d’Août de chaque année, est célébré Assensi, une manifestation à la fois sacrée et profane à la gloire des dieux de la montagne. Ainsi, au pied de cet autel chaque année sont sacrifiés plusieurs bêtes pour les circonstances et un repas (couscous viande) est servi pour les pèlerins, qui viennent en grand nombre implorer les forces divines à exaucer leurs vœux. Les invocations sont de tous genre. Les femmes, plus particulièrement, s’y rendent en grand nombre, implorer les forces divines. Certaines, pour demander le retour d’un mari ou d’un fils exilé ; d’autres, en quête d’enfantement, invoquent les saints tutélaires pour rompre avec leurs stérilité. Ce rituel rendu aux forces divines d’Azrou-n-Thour, que les habitants des villages de la commune d’Iferhounene (Kabylie) perpétuent au mois d’Août de chaque année est une survivance d’un culte très ancien. Si l’aspect sacral de cette manifestation est évident comme on vient de le voir, il n’en demeure pas moins que l’aspect profane existe d’une façon latente.

Aspect profane de la montagne d’Azrou-n-Thour

De nombreuses personnes, plus particulièrement les jeunes (filles et garçons) viennent à Azrou-n Thour non pas pour un objectif sacré mais profane. Ils viennent pour faire la fête, passer du bon temps, faire des connaissances, des achats dans les espaces de commerce aménagés pour la circonstance. Il n’est pas rare que les organisateurs de l’événement invitent un chanteur de renommée pour égayer la fête. Une personne d’un certain âge rencontrée sur les lieux, et interrogée sur les motivations des pèlerins, répondit spontanément en kabyle [dagi yella Rebbi, yella zhu] : « ici on vient prendre du bon temps, s’amuser et manifester sa piété et sa foi en Dieu »[1]. M. Boudarene, psychiatre pense que cet événement est un rendez-vous festif qui autorise les rencontres, où notamment les jeunes gens peuvent en l’espace d’une journée, braver les interdits sociaux habituels, se parler, échanger, faire connaissance, créer des liens et envisager un avenir commun. Il pense que cette manifestation constitue une catharsis sociale, en ce sens que tout ou presque est permis durant cet événement : mixité, expressions des émotions et affects, chants et danses[2]. Il existe des espaces et manifestations où le sacré et le profane coexistent ensemble. A l’origine, selon la mémoire collective, la manifestation d’Azrou-n-Thour est une pratique sacrée. La désacralisation du monde induit la réduction mais pas l’élimination du sacré. C’est ainsi que de nombreuses manifestations qui, à l’origine étaient exclusivement sacrées sont devenues plus tard des espaces à la fois profanes et sacrés. Un autre exemple connu, illustrant la coexistence du sacré et du profane, est l’Ahellil de Gourara, une pratique culturelle qui tient de la poésie chantée, de la chorégraphie et du rituel. Avant qu’il soit inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2008, l’Ahellil a été étudié d’abord par l’écrivain-anthropologue M. Mammeri (1985), puis par l’anthropologue R. Bellil (2003). M. Mammeri distingue deux aspects dans l’Ahellil : le sacré et le profane L’aspect sacré est incarné par l’étymologie même du terme Ahellil et les thèmes des poèmes. Le terme Ahellil est attesté dans plusieurs contrées de l’Afrique du Nord, en Kabylie, au sud d’Algérie à Ahaggar, au Maroc chez le berbères du Moyen-Atlas et partout on relève la connotation religieuse qui renvoie au fait de chanter les louanges du seigneur (R.Bellil, 2006). Par ailleurs, les thèmes religieux constituent une part importante dans l’Ahellil. Des chants où l’on s’adresse à Dieu, et son prophète, aux saints et wali de la région. L’aspect profane de l’Ahellil est représenté à la fois par la mixité qui prévalait dans cette manifestation et par la non-participation des tolbas (agents religieux) des écoles coraniques aux festivités. Contrairement aux moments de recueillements strictement religieux, les personnes ayant un lien de parenté rapproché évitent de se retrouver dans une même séance. À son origine l’Ahellil est une pratique profane, l’aspect sacré est venu plus tard avec les agents religieux qui se le sont approprié, pour diffuser la religion musulmane et islamiser les femmes (R. Bellil 2006). À ce propos, M. Mammeri (1984, p. 32) écrit : « Faute de pouvoir (et peut être, dans certains cas, de vouloir) l’éradication totale d’un genre très ancrée dans les mœurs et les cœurs des populations autochtones, ils ont à tout le moins tenu à lui donner un visage nouveau, conforme à la nouvelle idéologie, à la fois militante et mystique. Ils y ont pour l’essentiel réussi, même si dans la masse de l’inspiration maraboutique, désormais envahissante, quelques vestiges demeurent, qu’il n’a pas été possible de raser entièrement ». Faute de pouvoir éradiquer un Ahellil très populaire, rentré dans les cœurs des Ksouriens, véhiculant un système de valeurs en contradiction avec les leurs, les nouveaux maitres, c’est-à-dire la caste religieuse des Mrabtins l’ont récupéré et y ont investi du religieux (T. Yacine, 1990). C’est ainsi que cette pratique culturelle renvoie à la fois au profane et au sacré. Il arrive que dans un même poème, on passe d’un thème sacré à un thème profane, sans transition, ni lien apparent (R.Bellil, 2006). Comme on vient de le voir, le sacré et le profane peuvent dans certains cas coexister ensemble sans se prêter à un dualisme exclusif.

Azrou-n-Thour, ce lieu divin, haut de mille neuf centimètres d’altitude, reliant la terre au ciel où cohabitent aujourd’hui le sacré et le profane devrait symboliser pour les ancêtres, le « centre du monde », l’Axis mundi. Le sacrifice de plusieurs bêtes, la purification qu’on vient chercher sont des indices, des résidus, indicateurs de la réplique de la création du monde.

Bibliographie

ELIADE Mircea, 2009, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard/Folio essais.

BASSET René, La religion des berbères, De l’antiquité jusqu’à l’islam, Alger, Belles Lettres, 2011.

CAMPS Gabriel, Les berbères, mémoire et identité, Alger, Éditions Barzakh, 2007.

Quotidien national, Le Soir d’Algérie du 26 août 2015 :

http://www.lesoirdalgerie.com/pdf/2015/08/26082015.pdf, consulté le 2 septembre 2015.

MAMMERI Mouloud, « L’ahellil du Gourara », in Littérature orale, Actes de la table ronde, juin 1979, Alger, 1982, OPU, p. 109.

BELLIL Rachid, Textes Zénètes du Gourara, Alger, CNRPH, 2006, p. 219.

YACINE Tassadit, 1992, Éléments pour la compréhension de l’identité berbère en Algérie (l’exemple de la Kabylie), textes réunis et présentés, Groupement pour le droit des minorités, Paris, Awal/L’Harmattan.

Quotidien national, Le Soir d’Algérie du 26 août 2015 :

http://www.lesoirdalgerie.com/pdf/2015/08/26082015.pdf, consulté le 2 septembre 2015.

Ibidem.

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