Le ministre de
l'Intérieur français vient de déclarer que toutes les civilisations ne se
valent pas.
J'ai été choqué
comme beaucoup de gens par cette sortie mais, à bien y réfléchir, je l'ai
trouvée opportune.
D'abord, j'abonde
dans le sens de M. Guéant. La civilisation occidentale est incontestablement
supérieure à toutes les autres. A celles et ceux qui n'en sont pas convaincus,
demandez aux peuples qui ont bénéficié de ses bienfaits ce qu'ils en pensent.
Demandez aux Algériens, enfumés par Saint-Arnaud, emmurés par Canrobert,
suppliciés par Bigeard, massacrés à Skikda, jetés par grappes dans les ravins
de Guelma et Sétif ce qu'ils en pensent. Demandez aux Malgaches, aux
Vietnamiens, aux Congolais, aux esclaves dont les têtes ornent les frontons de
bien des hôtels particuliers de Bordeaux et de Nantes. Demandez aux peuples
originels d'Amérique du Sud ce qu'ils pensent de la Renaissance occidentale
et de l'Eglise très chrétienne s'interrogeant sur leur humanité. Demandez aux
Amérindiens… Non, pas les Amérindiens. Il n'y en a plus.
Oui, la
civilisation occidentale est supérieure aux autres. Elle a inventé l'industrie
de l'automobile, l'industrie électrique, l'industrie de l'acier, l'industrie de
la mort. C'est avec la même précision, le même souci du
détail qui ont présidé à la fabrication de voitures ou d'avions qu'elle a
conduit l'Å“uvre de destruction des juifs, des tziganes, des communistes dans
les camps de la mort. Les propos de Guéant sont-ils surprenants ? Non,
assurément.
Pour permettre la
mainmise coloniale sur les pays du Sud, il a fallu construire une image de
l'ennemi de nature à donner à l'entreprise une justification rationnelle. Cette
image fait partie de la psyché occidentale. Le doux Victor Hugo s'était ému des
massacres commis en Algérie et en Afrique. Il les avait dénoncés dans une
déclaration fameuse dans laquelle il disait notamment : La barbarie est en
Afrique, je le sais, mais […] nous ne devons pas l'y prendre, nous devons l'y
détruire ; nous ne sommes pas venus l'y chercher, mais l'en chasser. Nous ne
sommes pas venus […] inoculer la barbarie à notre armée, mais notre
civilisation à tout un peuple. Le bon poète se contentait de réprouver les
méthodes de la colonisation sans remettre en cause son bien-fondé, eu égard au
caractère barbare des populations qu'elle devait soumettre.
Cette prémisse
est encore présente aujourd'hui. C'est ce qu'exprime Guéant ainsi que ses
soutiens. Même dans les rangs de ceux qui s'offusquent de sa déclaration, on
n'en trouve guère pour remettre en cause de manière radicale la prémisse en
question. La plupart d'entre eux sont, au mieux, sur la même ligne que Victor
Hugo, le talent en moins…
En fait, cette
déclaration n'agit que comme le révélateur du maintien dans l'inconscient
collectif occidental de la grille de lecture du monde qui prévalait au 19ème
siècle. Nous et les autres…
En Algérie, un
certain discours habille la période coloniale d'un certain charme. Au temps de la France, soupirent
le chauffeur de taxi, le marchand des quatre saisons, le biznessman…, on était
si bien. C'est que la mémoire est courte quand elle charrie humiliations,
frustrations, tragédies. Et puis, il faut bien échapper à la morosité bien
réelle d'aujourd'hui en se réfugiant dans un paradis artificiel. Il faut
espérer que la sortie du Guéant serve au moins à faire Å“uvre pédagogique, en
particulier pour les jeunes générations qui n'ont jamais vu un soldat français
sur la terre d'Algérie. Il les éclairera sans doute sur la réalité de la
présence française en Algérie et sur la persistance de la matrice du mépris et
de la haine qui a accouché d'une colonisation barbare. C'est au nom de ce même
mépris que le député apparenté socialiste de la Martinique, Serge Letchimy, descendant d'esclaves, a été sommé de s'excuser
après avoir reproché au ministre de l'intérieur de conduire la même politique
que celle qui a mené naguère aux camps de concentration…
Reste que la
déclaration de Guéant est inquiétante, d'autant plus que la crise actuelle, qui
menace le leadership occidental, est de nature à faire ressurgir les vieux
fantômes et la tentation d'une solution qui découle de la fameuse prémisse. Si
les Barbares sont les autres, cela signifie, aux yeux de l'Occident, qu'ils
n'ont aucun droit à participer à la marche du monde, encore moins à contester
l'ordre existant. L'Occident peut être tenté d'appliquer à grande échelle les
techniques utilisées au 19ème siècle pour maintenir sa prééminence. Se prémunir
contre le danger de la guerre commande qu'on en finisse avec des stéréotypes
aussi stupides que meurtriers. Seule, cette remise en cause radicale nous épargnera des conflits dévastateurs en permettant une
négociation saine sur la mise sur pied d'un monde égalitaire et solidaire.
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Posté Le : 09/02/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Brahim Senouci
Source : www.lequotidien-oran.com