Décidément, on ne se refait pas ! Les bruits de bottes viennent à peine de se taire en Libye qu'ils rejouent leur partition
en Syrie et en Iran. Entendons-nous. Les dictateurs qui massacrent leurs
peuples ne méritent pas la moindre sympathie.
LIls la méritent
d'autant moins que c'est leur conduite, passée et présente,
qui permet aujourd'hui à une intervention étrangère parfaitement décomplexée de
se déployer. Ces dictateurs pourraient s'appeler les matamores. Voici un mot
d'origine espagnole qui signifie « tueurs d'arabes ». Il date de l'époque de la chute de Grenade et de la fin de l'Andalousie. Les
Arabes étaient alors pourchassés et massacrés; les bons chrétiens espagnols se
glorifiaient à qui mieux mieux du nombre de Maures
qu'ils avaient passé par l'épée dans la journée. Aujourd'hui,
ce terme renvoie à la notion de fier-à-bras et
de vantard. Il s'applique à merveille à nos
dictateurs. Leurs principales victimes sont leurs propres citoyens. Les
dirigeants syriens se vengent de leur incapacité de récupérer le Plateau du
Golan en bombardant leurs propres villes. Il est vrai que le risque de
représailles est bien moindre que s'ils pointaient leurs canons sur les villes
israéliennes… Kadhafi, après avoir perdu sa fille tuée lors d'un bombardement
étasunien, s'est empressé d'assurer l'Occident de sa disposition à collaborer avec lui. Ce sont les Libyens qui ont payé le
prix du sang. Ce sont les migrants africains poussés par la misère à tenter de gagner
les rivages de l'Europe qui se sont heurtés au satrape libyen transformé en
garde-chiourme de l'Europe. Quand un régime arabe se trouve incapable de mater
une révolte, il appelle au secours les siens, Emiratis ou Saoudiens, qui ne se
font pas faute de bombarder les insurgés Bahreïnis. Les mêmes d'ailleurs se
retrouvent dans le ciel libyen pour frapper les troupes loyalistes du dictateur
libyen, au prétexte de soutenir la révolte de son peuple. Vérité en-deçà, mensonge
au-delà… Incapables de tenir tête aux puissances occidentales qui les
vassalisent, nos dictateurs matamores exercent leur
violence sur les Maures, objet unique de leur ressentiment et de leur mépris.
Les dictateurs arabes n'ont pas l'apanage de la « sollicitude »
occidentale. Gbagbo, après avoir bénéficié de l'appui très amical de la France, a été déposé sans
autre forme de procès. Bien sûr, c'était un satrape sanguinaire. Mais il ne
s'est pas révélé brutalement. Il l'a été durant des années où il a pu se
conduire en autocrate brutal avec le soutien bienveillant de l'ex(
?) métropole. Simplement, pour garder la main, la métropole en question a jugé qu'il a fait son
temps et qu'il fallait donc remettre entre d'autres mains la charge de veiller sur
les intérêts français. Ouattara ne devrait pas se réjouir de cette volte-face
qui lui a permis d'accéder au pouvoir. Il pourrait très bien être la prochaine victime
désignée par les obscures éminences, de feu Jacques Foccart à Robert Bourgi,
qui font et défont les gouvernements africains au gré des fluctuations de l'intérêt
exclusif de la France.
La même « sympathie » pour des victimes libyennes innocentes de Kadhafi a
conduit la France,
flamberge Otanienne au vent, à faire donner ses canonnières sur les rivages de
Syrte. Il ne s'agissait bien sûr que d'aider une population à se débarrasser de
son bourreau et d'instaurer une belle et bonne démocratie à l'ombre de laquelle
elle pourrait prospérer. Peut-être pourrions-nous être taxés de paranoïaques si
nous nous interrogeons sur la
sincérité de cet élan de sollicitude ? Le fait que Kadhafi
ait été adoubé naguère comme dirigeant responsable et acteur important de la lutte contre le
terrorisme n'est-il pas de nature à entretenir le soupçon ? Le fait qu'il ait
été considéré encore hier comme le premier protecteur de l'Europe contre les
vagues d'immigration africaine n'incite-t-il pas à la perplexité ? Et puis,
il a indemnisé ses victimes de la
Panam et d'UTA (il a payé dix fois plus cher pour les
victimes étasuniennes que pour les européennes ; on est toujours l'arabe de quelqu'un
!). Il a renoncé à ses velléités d'accès à la bombe atomique. Il a
été récompensé de ces faits d'armes en étant autorisé à planter sa tente
pendant plusieurs jours dans les jardins de l'Hôtel Marigny, en plein Paris.
Et puis, voilà le printemps arabe. Voilà que le monde arabe est
secoué par une lame de fond, qu'il secoue ses chaînes et que ses dictateurs
s'écroulent. Il est à noter que le mouvement a commencé avec les deux
dirigeants les plus proches de l'Occident, les plus dévoués en fait. C'est la première fois depuis
des décennies de colonisation, d'humiliation et de sujétion qu'un phénomène
important touche le monde arabe. L'Occident ne l'a pas vu venir. Il perd ses
deux serviteurs les plus zélés dans la région. Il décide alors de prendre les choses en
mains en appliquant l'adage qui dispose que « quand des événements nous
dépassent, faisons semblant d'en être les organisateurs. » Il allume des
contrefeux en Egypte en demandant à l'armée de faire
de la résistance le
plus longtemps possible. Surtout, il appuie les efforts de ses alliés du Golfe
pour mettre un terme à l'agitation populaire au Yémen, à Bahreïn. Enfin, il
enfourche le cheval de la
très réelle montée de la colère populaire
pour installer en Libye un régime à sa dévotion. Peu
importe sa couleur. Il rejette d'un revers de main l'islamisme supposé de la nouvelle direction
(mÅ“urs locales, balaie-t-il d'un ton méprisant). Bernard-Henri Lévy l'appuie de
toutes ses forces. « C'est tout de même mieux qu'avant », claironne-t-il. A
quelle aune porte-t-il ce jugement, lui qui vient de déclarer devant ses
compagnons du CRIF qu'il est intervenu en Libye en tant que « juif sioniste » ?
Certainement pas à celle des intérêts du peuple libyen qui découvrira, sans
doute trop tard, le goût amer de sa « victoire ». La conduite du
philosophaillon ne lui a été dictée que par les intérêts de son camp, celui de
l'Occident qui retrouve les couleurs de l'impérialisme agressif du 19ème siècle
et de l'hypocrisie de ses intellectuels d'alors qui prétendaient amener le
bonheur et le progrès à des populations pour qui il n'éprouve que de la crainte et de la haine.
La Syrie à présent… Le même mauvais scénario qu'en Libye s'y déploie :
Massacres commis par l'armée, militarisation du mouvement de contestation,
confessionnalisation des luttes. Les conditions pour une intervention se
réunissent. Elle est du reste évoquée de plus en plus clairement. Le feu vert
de la Ligue Arabe
vaut quitus pour cette intervention, présentée comme « limitée » (on sait les
libertés prises par l'Otan avec la résolution onusienne
sur la zone d'exclusion
aérienne. En aucun cas, cette résolution n'autorisait une participation aux
combats, encore moins la participation active à l'assassinat du Président
libyen !). Le « paisible » ophtalmologue syrien, diplômé d'une belle université
anglaise, est un président par défaut.
C'est son frère Bassel qui devait succéder à
Hafez El Assad. Sa mort dans un accident de voiture en 1994 ouvrira la voie à
Bachar. Le président par défaut, dont la marge de manÅ“uvre est sans aucun doute beaucoup
plus étroite que celle des généraux et ministres qui hantent les allées du
pouvoir depuis plusieurs décennies, a emprunté la voie de la violence plutôt
que celle du dialogue avec son peuple. Sa chute ne fait plus de doute. Le mieux
que l'on puisse souhaiter est qu'elle se produise avant que l'intervention
étrangère ne prenne corps. Il faut que la victoire soit portée
au crédit exclusif du peuple syrien. C'est le seul scénario qui préserverait
l'avenir d'une Syrie démocratique et souveraine.
Il y a actuellement un grand jeu dont les implications dépassent le
cadre du monde arabe et musulman. Le mouvement qui le secoue se produit au
moment même où une crise d'ampleur mondiale secoue la planète. Cette
crise a pour objet rien moins que la
fin d'un monde dominé par le duomvirat Europe-Etats-Unis, qui
doit céder la place à
une configuration nouvelle dans laquelle il faudra que les élèves du monde
entier apprendront le chinois, le hindi, accessoirement le portugais (avec
l'accent carioca !), le russe et l'afrikaan.
FAUDRA-T-IL QU'ILS APPRENNENT EGALEMENT L'ARABE ?
Voilà une perspective qui fait frémir d'horreur les dirigeants du
monde occidental. Le reste de grandeur auquel ils s'accrochent ne tient qu'au
contrôle qu'ils continuent d'exercer sur les ressources énergétiques. Ce n'est
qu'à ce prix que le smicard européen peut continuer d'être mieux payé qu'un
haut fonctionnaire indien. Si ce contrôle leur échappait, ils perdraient
l'avant-dernier instrument de leur domination (le dernier étant l'arsenal
militaire dont l'utilisation éventuelle signifierait la plus démocratique
des fins de partie puisqu'elle concernerait tout le monde !). Il leur
échapperait sans aucun doute si le monde arabo-musulman accédait à la liberté et à la démocratie, portes
étroites pour l'accès au progrès et à la modernité. Des
sociétés évoluées n'auraient aucune raison de se laisser dépouiller de leurs
richesses, aucune raison de remettre leur sort entre
des mains étrangères. Bien au contraire, elles voudraient faire partie du
concert des nations et mettre leurs richesses au service de cette ambition. A
l'évidence, l'Occident ne veut à aucun prix de cette évolution. Il s'appuie sur
le carré de ses alliés (supplétifs plutôt) du Golfe : D'abord établir un cordon
sanitaire en y étouffant dans l'Å“uf toute velléité de contestation locale.
Ensuite, utiliser les énormes surplus financiers dont ils disposent pour aider
les « bonnes » oppositions telles que celle qui a fini par triompher en Libye
en faisant en sorte que le changement ne soit pas le fait du peuple mais le
fait de l'étranger. Ces mêmes surplus financiers sont utilisés pour prendre
pied dans les pays « à risques ».
D'énormes contrats impliquant Saoudiens, Qataris, Emiratis, sont
annoncés presque quotidiennement, en Afrique du Nord notamment, mais aussi au
Soudan. L'idée est de créer une situation de dépendance telle qu'elle
empêcherait toute velléité d'autonomisation des pouvoirs locaux. En somme, il
s'agirait, en poussant à l'instauration de régimes islamistes « modérés » de
créer une sorte de khalifat commercial et financier, dont la charge serait
d'alimenter la
machine occidentale en énergie tout en lui garantissant
l'accès aux « robinets » si le désir le prenait de faire bloquer des livraisons
à la Chine ou
à l'Inde par exemple. Le monde arabe et musulman, au moins sa partie non encore
complètement inféodée à l'Occident, serait bien inspiré de prendre langue avec
les grands acteurs du monde de demain pour solliciter leur aide contre
l'emprise des acteurs de celui d'hier. Un vieil adage dit que « s'il y a trois
puissances qui se disputent le leadership il faut être l'une des deux ». Dans
le monde d'aujourd'hui, il est illusoire de prétendre à
une troisième voie. Il vaut mieux se ranger du côté de celle qui a le meilleur
avenir. Peut-être le monde de demain sera-t-il plus libéral (au sens
philosophique !) et permettra-t-il une expression plurielle, diverse.
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Posté Le : 08/12/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Brahim Senouci
Source : www.lequotidien-oran.com