Algérie

«Le moment est venu de changer de paradigme»



Pour Brahim Guendouzi, spécialise en commerce international, professeur à l'université de Tizi Ouzou, les hésitations et les dysfonctionnements ont empêché l'Algérie de se hisser à la hauteur des objectifs assignés aux différents accords commerciaux ratifiés jusque-là.? L'Algérie se lance dans la grande zone de libre-échange africaine, alors que les différentes tentatives de pénétration de marchés régionaux et internationaux n'ont pas donné de résultats probants. L'expérience de l'Accord d'association et la zone de libre-échange maghrébine illustrent la faiblesse des échanges hors hydrocarbures de l'Algérie avec ses différents partenaires. Quelle faisabilité pour un tel projet '
En 1964, les Nations unies ont consacré une session de l'Assemblée générale au rôle du commerce dans le développement économique des pays. Ce qui a donné naissance à une institution spécialisée, la Cnuced. L'Union africaine, lors de son 25e sommet, qui s'est tenu en juin 2015, a repris le principe en décidant de créer une zone de libre-échange continentale africaine.
La signature de l'accord officialisant la création de la ZLECA par 44 pays africains a été faite le 21 mars 2018 à Kigali, et l'entrée officiellement en vigueur en mai 2019. Sachant, par ailleurs, que le commerce intra-africain est encore très modeste (évalué à 16%) du fait que la plupart des pays sont tournés vers des exportations de produits primaires à destination des économies avancées.
L'Algérie est évidemment partie prenante de l'accord. Il s'agit avant tout d'un engagement diplomatique et politique à l'égard de l'Union africaine, même si son appareil économique et commercial ne s'inscrit pas totalement dans la logique de ce que l'on appelle l'«intégration économique régionale».
Depuis la création du Grand Maghreb arabe (UMA), puis la signature de l'Accord d'association avec l'Union européenne, jusqu'à l'adhésion à la Grande zone arabe de libre-échange (GZALE), on ressent des hésitations et des dysfonctionnements qui empêchent l'Algérie de se hisser à la hauteur des objectifs assignés aux différents accords commerciaux qu'elle a d'ailleurs ratifiés.
Le paradoxe est qu'elle a la préoccupation de préparer les marchés de demain pour ses produits, mais en même temps elle reste figée sur ses actions de réforme de son appareil économique pour le rendre plus compétitif. Or, dans le commerce international, ce qui est difficile ce n'est pas tant l'acte d'achat, car on peut choisir chez qui le faire, mais plutôt celui de la vente, du fait qu'il faut être compétitif pour s'accaparer des parts de marché.
Le moment est venu de changer de paradigme et d'inscrire l'évolution de l'économie algérienne dans la trajectoire de ses engagements économiques et commerciaux par rapport à son environnement immédiat, à savoir le Maghreb, l'Afrique, le Monde arabe et l'Union européenne.
Il est donc crucial de mobiliser l'ensemble des potentialités, avec une stratégie globale clairement définie et des objectifs arrêtés afin de s'insérer dans cet espace économique large avec des atouts de réussite.
Il n'est plus question que le pays le plus vaste d'Afrique, approchant cinquante millions d'habitants et disposant de ressources naturelles aussi importantes, soit classé au plan économique à une place qui n'est pas enviable, alors que d'autres nations avec si peu, ont pu faire des parcours admirables sur le plan des exportations de produits manufacturés.
? Quel bilan faire justement pour tous les accords conclus jusque-là, mais aussi pour les exportations hors hydrocarbures '
Les engagements de l'Algérie dans les accords commerciaux conclus avec ses partenaires et voisins ne sont pas globalement favorables à la réalité de son tissu économique. Par rapport aux exportations hors hydrocarbures, les résultats sont médiocres, car les flux d'échanges sont jusqu'à aujourd'hui en sa défaveur.
Le pays a simplement confirmé qu'il excelle dans les actes d'importation plutôt que dans l'exportation. Aussi, l'Algérie est-elle devenue un vaste marché ouvert aux autres, sans que ses produits ne soient aptes à être placés dans de quelconques circuits commerciaux à l'étranger, si ce n'est quelques opérations sporadiques de vente à l'étranger tentées par quelques chefs d'entreprise téméraires.
Les exonérations de droits de douane déclarées dans les accords commerciaux signés et les mesures timides d'accompagnement des exportateurs, n'ont pas réussi à faire déclencher durablement l'acte d'exporter au niveau des entreprises, tant l'environnement économique national est contraignant.
? Des plans de promotion des exportations hors hydrocarbures sont régulièrement annoncés sans pour autant dépasser les seuils traditionnels?
Jusqu'à aujourd'hui, les pouvoirs publics ont privilégié les relations bilatérales pour promouvoir des exportations hors hydrocarbures. C'est à l'occasion de visites de délégations ou encore de rapprochement politique avec tel ou tel Etat étranger, que des accords commerciaux sont signés, sans que cela puisse durer dans le temps. Les accords régionaux non plus ne donnent pas satisfaction sur le plan de l'essor des exportations hors hydrocarbures. Enfin, l'Algérie reste en dehors du commerce multilatéral puisqu'elle n'est pas membre de l'OMC.
Ce positionnement incompréhensible ne peut mener qu'aux résultats que l'on connaît. Une stratégie nationale des exportations (SNE) allant de 2019 à 2023 est certes arrêtée, mais les réformes économiques qui doivent être engagées afin de faire évoluer le climat des affaires ainsi que l'organisation et la gouvernance des entreprises, restent en suspens. La situation politique et sociale actuelle a ajouté plus d'incertitudes, retardant ainsi l'élan de changement économique tant souhaité par les opérateurs nationaux et les partenaires étrangers.
Le dispositif d'encadrement et d'incitation des exportations hors hydrocarbures datant de 1996, mis à part quelques améliorations et le déficit en investissements productifs, surtout la faiblesse des IDE, ne militent pas à l'heure actuelle pour une diversification économique. Le nombre d'entreprises créées reste encore faible alors que celles qui disparaissent sont de plus en plus nombreuses.
Les banques algériennes, qui pourraient être la cheville ouvrière de l'acte d'exporter, ne disposent pas d'établissements (bureaux de liaison, succursales ou filiales) à l'étranger. La réglementation du change est rigide, ne permettant pas aux exportateurs de transférer des devises en vue de se doter de structures d'accompagnement pour une plus grande flexibilité vis-à-vis de la concurrence.
Les organismes d'accréditation en matière de normes techniques, de certification et de labellisation font encore défaut. Les problèmes logistiques sont encore lourds et entravent les opérations d'exportation. Face à tout cela, il ne faudra pas s'attendre à des résultats autres que ce qu'il y a aujourd'hui.
? N'y a-t-il pas d'abord lieu d'assurer la compétitivité de l'économie nationale, d'en finir avec la sphère informelle et la contrefaçon avant d'aller à la conquête de nouveaux marchés '
Les deux aspects ne sont pas antinomiques. C'est vrai que la compétitivité, la productivité et l'innovation doivent être au c?ur des mutations que l'économie algérienne aura à subir inéluctablement, mais sans se couper de la dynamique de l'environnement international.
La conquête de nouveaux marchés nécessite beaucoup de temps, ce n'est pas du jour au lendemain que l'on construit un réseau de distribution à l'étranger. En revanche, il faut savoir arrêter un bon positionnement sur lequel peuvent être déployés aussi bien les ressources du pays que le type d'organisation à mettre en place.
La réflexion stratégique reste à notre avis le maillon faible, ce sont souvent des considérations conjoncturelles, voire politiques, qui l'on emporté sur de nombreuses décisions ayant eu des effets négatifs sur le niveau de compétitivité et de productivité de nos entreprises.
Les activités informelles et celles corollaires liés à la contrefaçon contribuent malheureusement à détourner des ressources qui pourraient être plus efficientes si elles étaient affectées à renforcer la qualité des structures économiques du pays. Ces activités dégagent certes une rentabilité immédiate, mais à long terme les effets sur l'économie algérienne seraient dommageables à plus d'un titre.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)