Algérie

«Le mode de financement choisi permet la corruption»


«Le mode de financement choisi permet la corruption»
-Les prévisions initiales du coût de l'autoroute Est-Ouest étaient de 7 milliards de dollars, avant qu'il n'atteigne 18 milliards, un montant récemment annoncé dans la presse. Pourquoi, d'après-vous un tel surcoût, alors que tous les facteurs plaident pour un montant de moindre ampleur : une main-d'?uvre bon marché, des matières premières à bas prix, etc. 'Avant de parler de chiffres et de coûts prévisionnels, il est important de rappeler que le mode de financement choisi, par le ministère des travaux publics, a été celui qui est le plus susceptible de permettre la corruption. En effet, dans tous les pays du monde, ce genre de travaux gigantesques, est réalisé sous le mode du BOT (Bild, Operate & Transfert). Cette formule consiste à permettre à une entreprise multinationale de réaliser l'ouvrage de le gérer durant une période définie contractuellement, puis de restituer cet ouvrage au pays propriétaire.Cette manière de financer le projet à plusieurs avantages et non des moindres puisque le pays propriétaire ne débourse aucun dollar, qu'il ne prend aucun risque de gestion durant toute la période de gestion et d'entretien de l'ouvrage (10 à 20 ans) et enfin qu'il est surtout impossible d'intégrer la corruption (le maître de l'?uvre ne peut pas se voler lui-même !). Plusieurs entreprises internationales ont tenté de proposer ce mode de réalisation, notamment l'Indonésie, en vain. Le ministre avait déclaré à ses détracteurs qu'il s'agissait «d'un problème de souveraineté» pour rejeter cette formule. Que pouvait faire l'Indonésie, une fois l'autoroute réalisée, qui attenterait à la souveraineté nationale de notre pays ' Seul le ministre le sait !S'agissant des coûts prévisionnels initiaux, à ma connaissance, ils étaient établis par les études préliminaires à quelques 5 milliards de dollars en 2000 et semblent avoir atteint, aujourd'hui, les 12 milliards de dollars, sans que l'ouvrage ne soit complètement achevé. Les surcoûts proviennent en l'espèce, d'une étude de maturation de projet insuffisante ou de demandes de travaux additionnels. Enfin, ces surcoûts peuvent provenir de cas de «force majeure» à démonter, qui justifierait ces derniers.Cependant, les surcoûts gravitent, en général, dans une fourchette de 10 à 20% des coûts initiaux mais jamais ils n'atteignent le double ou le triple du coût initial global du projet ! En outre, de mes discussions avec trois anciens ministres de TP et plusieurs ingénieurs dans le domaine, j'en retire qu'ils ont été tous unanimes à dire que le tracé et l'ingénierie de l'autoroute étaient dispendieuses. En effet, certains tronçons de l'ouvrage étaient rentables et nécessaires mais d'autres par contre étaient totalement inutiles avant une vingtaine d'années. Pourquoi avoir donc configuré cet ouvrage de cette manière et qui a décidé de ce tracé ' Il y a aujourd'hui des tronçons où ne circule qu'un véhicule toute les heures, alors que d'autres sont déjà saturés.Ajoutons à cela la détérioration prématurée de pans entiers de cet ouvrage pas encore entièrement réceptionné et nous nous retrouvons devant une impasse conceptuelle. Se pose ensuite la problématique du coût de la voie autoroutière ; le coût du kilomètre sur l'autoroute Est-Ouest serait estimé à 9,95 millions de dollars, alors que la norme internationale d'une autoroute à trois voies fluctue entre 5 et 7 millions de dollars pour le kilomètre. N'est-ce pas une des réponses possibles au coût exorbitant de l'autoroute Est-Ouest.Les normes techniques en matière de coûts sont tributaires des conditions spécifiques des terrains que traverse l'ouvrage. En effet, un terrain accidenté va nécessiter des moyens différents que celui qui est plat, et en matériaux rigides. Le nombre d'ouvrages d'art, à réaliser, est également un facteur déterminant du coût global de l'ouvrage. Cependant, tous ces problèmes techniques et leur répercussion sur les coûts, auraient dû être strictement déterminés dans les études de maturation du projet, il est inimaginable que ces éléments n'aient pas été pris en compte préalablement ! Les surcoûts de cet ouvrage ne sont donc pas explicables par l'unique légèreté des études de maturation.-Se profile ensuite, en toile de fond, la gestion du projet et son argent. L'autoroute Est-Ouest s'est révélée un gouffre financier où s'abreuvaient plusieurs entrepreneurs indélicats et où la corruption impliquait plusieurs maillons de la chaîne de commande. Quelle lecture pouvez-vous en faire 'A partir du moment où le ministre avait opté pour le financement direct du projet et rejeté le mode BOT, il était clair qu'il fallait mettre en ?uvre une puissante structure de contrôle et de suivi, à mettre en face des entreprises chinoises et japonaises qui ont remporté le contrat, c'est une évidence même, que tout professionnel peut vous confirmer (cela me rappelle l'autre projet mythique de Makam El Chahid). Dès lors, deux solutions se présentent à vous, soit vous confiez ce travail à une société multinationale capable de contrôler et de suivre le projet dans tous ces compartiments, soit vous le faites avec vos propres moyens.C'est cette dernière solution qui a été retenue par le ministre et les résultats, nous les voyons surgir aujourd'hui dans l'actualité judiciaire (nombre de cadre sont poursuivis pour corruption), dans les rapports financiers (surcoûts considérables) et dans les réalisations techniques (reconstructions de tronçons, effondrements?).-L'on recourt souvent, pour justifier les surcoûts, à des avenants au marché initial. Les coûts de ces avenants ne devraient-ils pas être plafonnés à un certain seuil du marché initial ' Les ordonnateurs algériens ne seraient-ils pas en infraction avec la législation en vigueur ' Les avenants seraient un bon artifice pour le détournement de fonds, n'est-ce pas ' Sinon, comment justifie-t-on le recours répétitif aux avenants 'Le système relationnel, coût initial-avenants, est surtout utilisé, dans notre pays, pour éliminer un concurrent qui «aurait oublié» de verser une commission pour emporter le marché. Le principe est simple voire simpliste, puisqu'il s'agit de répondre à un appel d'offres, par un prix qui défie toute concurrence.Une fois le marché remporté au «mieux disant», le rattrapage se fera par les compléments de marché que sont les avenants successifs. Bien entendu, la réglementation interdit ce genre de pratiques, c'est bien pour cela qu'il est impératif d'avoir un complice puissant, dans les centres de décision de l'entreprise cosignataire, qui va s'ingénier à trouver les justificatifs nécessaires à ces avenants. En général, il fait partie de la chaîne des décideurs qui permet la corruption.


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