Algérie

Le ministère de l'Intérieur douanier de la vie démocratique


Le ministère de l'Intérieur douanier de la vie démocratique
Chassez le naturel dirigiste et il reviendra au galop. Très vite, par le biais d'une loi sur les partis politiques. Du fait même d'être préparée par le ministère de l'Intérieur et pas par une commission indépendante, la loi en question est déjà une excentricité politique, plus que ça, une anomalie démocratique. A travers certaines dispositions, ce texte trahit la propension du ministère de l'Intérieur à s'ériger en futur régulateur de la vie démocratique. Tendance atavique exprimant un penchant à être l'arbitre du jeu interne, voire le garant de la qualité démocratique d'un parti politique. L'Administration se veut donc une vigie démocratique dont le souci est de veiller à ce que les partis respectent «les principes, les objectifs et les règles démocratiques, dans l'organisation (et) le fonctionnement», de même que «leur mise en 'uvre dans le respect (') du libre choix des adhérents, du pluralisme politique, de l'élection des organes dirigeants, de l'alternance dans l'accès aux responsabilités.» Cette inclination à vouloir avoir un 'il sur les partis et même un pied en leur sein, est exprimée par des préalables, des balises, des verrous et même des droits à exercer à titre préventif. Alors qu'ailleurs où on a moins tendance à vouloir caporaliser, la vie des partis est l'affaire démocratique des militants. Elle est aussi celle de la Justice, garante du respect des lois, et dépend du jeu de l'offre et de la demande politique. Au chapitre des conditions de création d'un parti, la tenue d'un congrès constitutif est soumise à une autorisation administrative même dans le cas où le parti concerné est dûment agrée. L'organisation de ce congrès est subordonnée à une représentation territoriale élargie au plus du tiers du nombre de wilayas. Ce principe de territorialité traduit un préalable difficile à comprendre, celui d'obliger un parti nouvellement crée à «exprimer à travers l'implantation de ses structures le caractère national du parti». Si, fort heureusement, le projet de loi conditionne la suspension ou la dissolution d'un parti à une décision de justice, dans ce cas celle d'une juridiction administrative, le Conseil d'Etat, il invente en revanche un hallucinant délit d'absentéisme électoral. Pince sans rire, l'Administration invente ainsi la carence et le défaut électoraux en proposant la dissolution d'un parti qui n'aurait pas participé à «quatre élections au moins». Difficile de saisir la philosophie de ce paternalisme démocratique qui veut sanctionner des partis dont la raison d'être est de s'implanter dans le corps électoral et de travailler avec efficacité à la conquête du pouvoir. Or, comme chacun le sait, la pire des choses pour un parti serait de ne pas avoir de représentants à tous les échelons de la vie publique. C'est comme s'il s'agissait de suspendre ou de dissoudre un club de football professionnel qui refuserait de participer à quatre compétitions officielles. Comme si le but d'un club de football est de ne pas inscrire des buts ou d'en marquer dans ses propres buts ! Quelque chose ne tourne donc pas rond dans l'article 75 de la loi qui prévoit une telle aberration. Disons, pour être sympathique, qu'il s'agit là d'une algériânerie juridique. Mais le texte du gouvernement n'en est pas à une bizarrerie près. Prenez par exemple, au chapitre de financement des partis, l'article 60 relatif aux «dons, legs et libéralités» qui fixe un plafond de versement à 300 fois le SNMG, soit 5 400 000 dinars, par donation et par an. Confus, l'article ne précise pas toutefois s'il s'agit d'un versement par personne, par an, pour un seul don, un seul legs ou une seule libéralité. Et même dans le cas où il s'agirait d'un unique versement par personne, cette disposition serait susceptible de soumettre la vie politique future au règne de l'argent. Imaginons qu'un parti X ou Y dispose d'une petite dizaine de généreux donateurs, en l'espèce des mécènes politiques riches de leurs sacs en plastique noir, remplis de dinars exhalant le parfum bouseux du beggar, et on se fera alors une idée chiffrée du sens que suivra l'influence politique au sein de ce parti. C'est simple, comme l'arithmétique. Ceci dit, nonobstant cette riche disposition, le projet gouvernemental comporte quelques avancées qui sont autant de correctifs et d'ajouts à des évolutions progressistes enregistrées dans la loi en vigueur. Alors ne boudons pas notre plaisir d'aspirants démocrates surtout lorsqu'il s'agit d'imposer la discrimination positive en faveur des femmes, préconisant pour elles des quotas de représentation. Ce féminisme politique inhabituel, tardif aussi mais probablement sincère, est de bon aloi. Il est d'autant plus louable que les députés de l'Alliance Présidentielle freinent des quatre fers en louvoyant, en atermoyant et en chicanant, bref en coupant le cheveu de la bêtise politique masculine en quatre. Comme ces machistes représentants du peuple n'ont peut-être pas tous lu Louis Aragon, il leur sera difficile d'admettre alors que l'Algérienne est l'avenir politique de l'Algérien. Même d'un beggar qui financerait son parti à coups de «dons, legs et libéralités».
N. K.
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