Algérie

Le minbar contre la harga



Il y a peut-être quelque chose de positif à tirer de l'instruction donnée par le ministre des Affaires religieuses aux imams pour prêcher contre la «harga» : le mérite de la sincérité. Dans ce recours, il y a à la fois l'aveu d'impuissance et le constat d'échec. Les gouvernants n'ont sans doute pas imaginé que «l'initiative» pouvait être perçue ainsi mais ce n'est pas la première fois qu'ils s'enfoncent en croyant bien faire. Quand on n'a que la bonne parole pour dissuader des milliers de jeunes Algériens de défier la mort en haute mer, c'est qu'on n'est pas vraiment dans la posture de quelqu'un qui fait attention au sens des choses. Mais la panne d'imagination n'est pas la seule à inspirer ce genre de «solutions». Il y a aussi cette assurance que tout ce qui tient du précepte religieux est d'une redoutable efficacité. Ce n'est peut-être pas faux au point où en est l'érosion de la pensée rationnelle dans la société mais en l'occurrence, c'est loin d'être évident, la désaffection envers les gouvernants étant plus forte. La sociologie des harragas ordinaires ne nécessitant pas une grande exploration, la réplique au prêche du vendredi pourrait donc se décliner ainsi dans leur bouche : si les responsables étaient un exemple de moralité et de? piété, on n'en serait pas à ce niveau de désespérance qui nous pousse à l'aventure mortelle ! Du coup, les imams, le ministère du culte et sa hiérarchie se retrouvent dans la position de l'arroseur arrosé : «Ce n'est pas notre piété, encore moins notre rectitude morale qui est en cause pour que vous veniez nous faire la leçon, c'est la vôtre !»Sinon, dans ce qui a été entendu des prêches de vendredi passé, on retiendra d'abord l'inévitable antienne de «harga? phénomène étranger à nos valeurs musulmanes, à notre culture et à nos traditions» ! On ne sait pas à quelle religion, dans quelle culture et dans quelles traditions, traverser les mers sur des radeaux de bric et de broc, risquer la mort pour espérer faire quelque chose de sa vie si on parvient au bout est? familier. Mais on ne va pas demander aux imams l'effort de dissuasion dans une opération dont tout le monde sait la vanité.
Surtout que dans le contexte, ces derniers sont plutôt aux? exigences les plus terre à terre, puisque le prêche qui leur est demandé survient au moment où leurs récurrentes menaces de? débrayage font encore l'actualité. Puis, comme si les femmes pouvaient être naturellement épargnées par le? désespoir, des imams n'ont pas boudé leur plaisir : le fait qu'elles tentent aussi l'aventure est encore plus grave que tout. Dans la foulée, elles ont été «classées» avec les? enfants, des fois où quelqu'un aurait oublié qu'elles sont mineures même dans une entreprise de désespoir. Pendant que les imams s'enflammaient sur le minbar pour convaincre que le «mode de vie occidental» est une déchéance morale qui ne devrait pas tenter leurs jeunes compatriotes, ils ne devaient pas se poser cette question : et si c'est précisément ce qu'ils vont chercher sous un autre pan de ciel au péril de leur vie ' Parce qu'avant d'affronter les dangers de la mer, les harragas affrontent maintenant d'autres risques. Pendant que les imams s'égosillaient au micro, des jeunes d'une bourgade maritime d'Aïn-Témouchent passaient aux? cambriolages pour payer les passeurs !
S. L.


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