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UNE DISCUSSION ENFLAMMEE
ENTRE LE DEY ET LE CONSUL FRANÇAIS
Toujours suivant
le même auteur français, la discussion se serait transformée en échange de mots
violents entre le Dey et Deval et le grand incident
éclata : Deval aurait alors été frappé, suivant les
uns, d'un coup d'éventail, suivant les autres, de trois coups d'éventail au
visage, et suivant certains, le Dey aurait lancé sur lui son éventail.
La version «officielle» est racontée par Deval aux consuls anglais et portugais, lors d'une
réception le soir même de cet incident. Celle transmise par Nettement : «Frappé
au visage d'un coup d'éventail par le despote, le consul indigné s'écrie : «Ce
n'est pas à moi, c'est au roi de France que l'injure a été faite ». (op.cit. p. 145).
AUCUN TEMOIN DE LA DISCUSSION
Ce qui est à peu
près certain, c'est que toute cette scène n'a eu, et il faut
le répéter, aucun témoin de poids autre que le Dey et Deval.
Et le fameux tableau d'un peintre français qui reproduit la scène et où l'on
voit une salle d'audience pleine de diplomates et le Dey portant son coup
d'éventail à Deval, est simplement un pur produit de
l'imagination de l'artiste, et plus un document de propagande que la
représentation d'une scène historique qui a eu réellement lieu.
UNE IMPOSSIBILITE
ERGONOMIQUE !
D'ailleurs, un
autre historien français, prolifique, qui a écrit quatre ouvrages sur
l'Algérie, a fait les remarques suivantes soulignant l'invraisemblance de
l'incident, tout en acceptant la version de la réception collective, ce qui est
démenti par une autre source plus crédible. «Le coup d'éventail n'est guère
vraisemblable. Il aurait fallu que le Dey se levât du divan surélevé où il
était assis, les jambes croisées, et se jetât sur Deval
qui se tenait debout dans le groupe formé par le corps consulaire, à une
certaine distance ; un simple geste menaçant a aggravé le sens des paroles…
(Paul Eudel : «L'Orfèvrerie algérienne et tunisienne»
: typographie et lithographie, Adolphe Jourdan, Alger, 1904, p. 43)
Ce même historien continue. Et les détails
qu'il donne sont d'importance, car ils prouvent encore une fois la version
historique selon laquelle le Dey et Deval étaient
seuls. «Le soir, dans une réception chez le consul d'Angleterre, ses collègues,
froissés dans leur propre dignité, engagèrent le représentant de la France à adresser un
rapport à son gouvernement. M. Deval s'exécuta. Peu
après, il demanda un congé, et mourut l'année suivante (1829) sans avoir revu
l'Algérie» (op. cit. p. 43).
UN RAPPORT VAGUE
DU CONSUL BRITANNIQUE
Il est également
étrange que, dans son rapport à son gouvernement, le consul anglais en poste à
Alger à cette période n'ait pas fait référence à sa présence ou à celle de
quelque diplomate que ce soit, dans cette audience qui a été présentée dans
nombres de livres d'histoire comme une réception à l'occasion de l'Aïd. Tout
semble indiquer, pourtant, que le consul français bénéficiait du privilège de
l'audience privée pour la présentation de ses vÅ“ux au Dey.
Voici ce qu'écrit le 14 mai 1827, c'est-à-dire
plus de deux semaines après l'incident prétendu, le consul général britannique
au comte Bathurst, alors ministre des Affaires étrangère du Royaume-Uni :
«J'ai l'honneur de vous rapporter qu'à une
récente audience donnée par le Dey au consul général français, ce dernier a été
personnellement attaqué par Son Excellence et forcé de quitter le Salon des
Audiences (dans «Lieut. Colonel R. L. Playfair, Consul général à Alger : «Le
Fléau de la
Chrétienté, Annales des Relations avec Alger avant la
conquête française». Smith Elder & Co, Londres, 1884, p. 319).
UNE PURE
INVENTION D'UN HOMME AUX ABOIS
A noter que
Hussein était décrit par nombre d'historiens, dont Nettement, comme un homme
calme et affable, et ne manquait nullement ni de culture (il parlait 23
langues), ni d'expérience politique, car il était au pouvoir depuis 9 ans quand
cet incident aurait eu lieu. Il avait exercé les fonctions de ministre de
l'Intérieur de la
Régence, avant d'être promu à son poste de chef d'Etat.
On peut considérer ce fameux incident comme
une simple fabrication de Deval, qui, sentant
probablement qu'il allait devoir rendre compte à son gouvernement de l'opération
de détournement de fonds au détriment de l'Etat de la Régence, et dont
lui-même avait profité, a eu recours à ce mensonge pour se protéger. Il ne
semble pas que le gouvernement français de l'époque ait mis beaucoup d'efforts
à chercher la vérité dans cette affaire : il a sauté sur l'occasion que lui a
offert ce mensonge pour s'engager dans la voie qui devait mener à l'invasion et
à l'occupation de l'Algérie, en commençant, bien sûr, par organiser le blocus
des ports algériens.
Il est impossible de prouver que le
gouvernement français de l'époque ait joué un rôle quelconque dans la
fabrication de ce mensonge. Il n'en demeure pas moins qu'il l'a exploité à fond
pour des raisons à la fois de politique intérieure comme de politique
internationale. Cette exploitation de l'affaire n'avait rien d'innocent et
l'indignation que ce coup d'éventail, qui n'a sans aucun doute jamais été
donné, était totalement artificielle, car sans rapport avec un fait réel avéré
et rapporté par plusieurs témoins.
Le fait même que les historiens aient préféré
passer sous silence le caractère privé de l'audience laisse deviner qu'ils
avaient eux-mêmes des doutes sur toute l'affaire et donc lui ont donné une
certaine vraisemblance en rendant l'audience aussi bien que l'affront publics,
pour également accroître l'intensité de l'indignation qui a justifié moralement
une invasion et une occupation, donc un acte source de la légitimation de
l'entreprise coloniale en Algérie.
EN CONCLUSION
- Le mensonge
d'Etat destiné à justifier une agression armée d'un pays fort contre un pays
faible constitue non une exception, mais une règle dans les relations
internationales ;
- L'émergence de
règles morales comme fils directeurs des relations interétatiques n'a rien
changé à la nature de ces relations, fondées sur la légitimité de l'usage de la
violence armée des Etats forts contre tout Etat, qui, d'une façon ou d'une
autre, nuit à ce qu'ils considèrent comme leurs intérêts vitaux ;
- On aurait pu
penser que l'émergence d'un ordre international fondé sur la multiplication des
Organisations interétatiques chargées de maintenir un minimum de paix entre les
nations de la communauté internationale, allait permettre de réduire la
tentation des Etats les plus puissants de profiter de la faiblesse d'autres
Etats, soit pour les mettre sous leur tutelle, soit pour les agresser
militairement ;
- Cette vision
optimiste du rôle modérateur des organisations internationales ne s'est pas
concrétisée, et ces institutions sont des instruments supplémentaires à la disposition
des grandes puissances pour imposer leurs vues et leurs intérêts et leur
garantir le monopole exclusif de l'usage de la violence armée ;
- Le mensonge a
pour objectif de justifier l'agression et de la revêtir du voile de la moralité
et du triomphe de principes nobles de démocratie, de bonheur et de prospérité
des peuples ;
- La
sophistication des médias internationaux, qui ont accru leur influence grâce à
leur quasi-monopole sur l'Internet, est utilisée pour donner de la
vraisemblance aux mensonges qui sont conçus pour justifier des agressions
armées ;
- Un mélange
subtil de mensonges et de vérités incomplètes donne la crédibilité nécessaire à
ces mass media pour façonner les opinions publiques et les conduire à soutenir
les «causes nobles» que leurs gouvernements déclarent poursuivre et la
qualification des Etats dont ils n'aiment pas les orientations politiques et
qui leur paraissent dangereuses pour leurs intérêts ;
- Le risque de
prolifération des armes atomiques, dans laquelle les Etats puissants ont eu et
continuent à avoir un rôle, est devenu le plus parfait des inspirations de
mensonges autour desquelles se construisent peu à peu les justifications de
guerre contre tel ou tel pays, surtout s'il n'a pas à ses frontières ou à ses
côtés un allié puissant capable de décourager les tentations d'agression
extérieure ;
- Le dangereux
concept «d'Etat disparu» constitue maintenant le fondement de la nouvelle
doctrine dans les relations internationales de plus en plus déséquilibrées au
profit de quelques pays ;
- L'Algérie
elle-même a été victime d'un mensonge d'Etat qui, bien qu'avéré à la fois faux
et invraisemblable, n'a pas moins conduit à son invasion et à son occupation
pendant cent trente-deux ans ;
- L'histoire de
ce fameux coup d'éventail est digne d'être rappelée, car c'est le même scenario que l'on voit se répéter, mais dans un contexte
plus complexe et avec des acteurs plus sophistiqués et qui ont à leur
disposition des instruments autrement plus efficaces pour transformer un petit
détail en un incident justifiant une guerre ;
- Il s'agit
toujours de jouer de l'absence supposée de sophistication et de l'immoralité du
mode de gouvernement ou des orientations idéologiques des chefs des Etats -
comme de leur refus des principes sur la base desquels seraient construites les
relations internationales - qui vont devenir les futures proies, pour justifier
moralement des agressions dont les seuls objectifs sont essentiellement de
mettre au service de ces puissances les Etats visés.
- Le mensonge
d'Etat comme instrument de maintien des relations internationales
déséquilibrées est devenu une arme de destruction massive encore plus puissante
que la simple possession d'armes à haute puissance meurtrière.
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Posté Le : 15/03/2012
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mourad Benachenhou
Source : www.lequotidien-oran.com