Algérie

«Le meilleur rempart contre la corruption, c'est la démocratie» Nicolas Sarkis revient sur sa lettre adressée à Bouteflika



L'expert pétrolier Nicolas Sarkis est revenu, hier, dans un long entretien accordé à notre confrère le Soir d'Algérie, sur la lettre qu'il a adressée à Abdelaziz Bouteflika pour dénoncer les scandales de corruption touchant le secteur des hydrocarbures.
Dans cette nouvelle sortie médiatique, le spécialiste des questions pétrolières justifie l'envoi de cette missive à Bouteflika et se défend de vouloir le ménager. «Je ne connais pas personnellement le président Bouteflika, je ne l'ai jamais rencontré et permettez-moi de vous dire qu'il ne m'appartient, en aucune manière, de l'accuser ou de l''absoudre'' Si c'est à lui que j'ai adressé ma lettre ouverte, c'est tout simplement parce qu'il est le président de la République algérienne et donc le premier magistrat et le plus haut responsable du pays. Si le président en exercice s'appelait X ou Y, je me serai adressé à Monsieur X ou Y. Je pense néanmoins, comme le dit un adage arabe, que 'l'argent mal gardé est une invitation aux voleurs'», répond Sarkis à une question sur qui a imposé Chakib Khelil et ses acolytes.
Nicolas Sarkis apporte toutefois cette précision : «Il est évident que la prévarication et les détournements de fonds dont il est question n'auraient certainement pas pu se produire s'il n'y avait pas eu, pendant cette période et dans le secteur des hydrocarbures, une telle concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul homme et une telle opacité dans les mécanismes de prise de décision, pendant que des centaines de cadres qualifiés de Sonatrach étaient systématiquement poussés vers la sortie. Il est du reste anormal, pour le moins qu'on puisse dire, que le Conseil national de l'énergie reste à l'écart et que les élites algériennes n'occupent pas toute la place qui leur revient dans la réflexion sur l'avenir énergétique de leur pays.»
L'expert pétrolier fait aussi remarquer que «même dans les 'pétromonarchies', il y a, et depuis bien longtemps, des conseils supérieurs du pétrole qui participent activement à l'élaboration de la politique pétrolière nationale. Et quand il arrive, comme au Koweït dans les années 1990, qu'un ministre (pourtant membre de la famille régnante) soit soupçonné d'indélicatesses, la justice nationale engage des poursuites contre lui».
«Je ne sais pas qui tire les ficelles dans les coulisses»
«Autant sinon plus que la probité et/ou le sens de la morale des hauts dirigeants, le meilleur rempart contre la corruption est le régime démocratique, soit essentiellement la transparence, les contre-pouvoirs et les contrôles qui s'imposent pour empêcher les gardiens du trésor de puiser dans la caisse». A la question de savoir si l'on peut parler de «malversations à l'insu du Président», N. Sarkis apporte la réponse suivante : «Je ne suis pas familier des dédales du sérail politique algérien et je ne sais pas qui est avec qui ou contre qui, ou qui tire les ficelles dans les coulisses. Tout ceci n'est pas net et, comme vous, je me pose des questions.»
Nicolas Sarkis se réjouit qu'en plus de la justice algérienne, d'autres pays se penchent sur ces affaires (Italie, Canada, Suisse, Emirats arabes unis). «Il est plus que probable que ces investigations conduiront à l'établissement de responsabilités et de réalités avérées et aideront à l'identification de coupables visibles ou encore cachés. Il est également très possible que les procédures judiciaires en cours ouvrent la voie à une réparation, même partielle, des préjudices subis par l'Algérie, à travers le recouvrement aussi bien des 'commissions' complètement illégales qui auraient été versées, que des surcoûts occasionnés par des contrats viciés par la prévarication qui les a rendus possibles», dit-il, en notant toutefois que «c'est à la justice algérienne et au pouvoir politique national qu'incombe, en dernier ressort, le devoir de coopérer avec les pays étrangers concernés, d'aller jusqu'au bout et de tirer toutes les conséquences que le peuple algérien est en droit d'attendre». Revenant sur la loi sur les hydrocarbures de 2005, la tristement célèbre «loi Khelil pour le bradage des richesses algériennes», Nicolas Sarkis estime que le présent scandale de corruption «ne devrait pas être l'arbre qui masque, ce qui est encore pire, la forêt du détournement de Sonatrach de sa raison d'être et une volonté systématique de sape des objectifs des nationalisations de 1971.
Cette volonté a été bien apparente dans la loi de 2005 et par une politique délibérée de portes ouvertes aux entreprises étrangères, d'accroissement effréné de la production et de forte chute de la part de Sonatrach dans la production pétrolière nationale». Sarkis estime qu'on «ne pouvait pas faire mieux pour opérer, sans la nommer, une dénationalisation déguisée au profit évidemment de sociétés non algériennes, au mépris d'une gestion un tant soit peu saine des gisements pétroliers et gaziers. Des cadres des sociétés qui ont profité de cette politique de portes ouvertes m'ont confié qu'ils étaient surpris par tant de générosité». La surproduction d'hydrocarbures entre 2001 et 2005 a sérieusement atteint les réserves nationales, mettant en péril une ressource pourtant en voie d'extinction. «Avec une consommation énergétique interne qui monte en flèche, une population qui devrait passer le cap des 50 millions vers 2030 et une production d'hydrocarbures qui donne des signes d'essoufflement, l'Algérie risque de ne plus être un pays exportateur net de pétrole d'ici une dizaine d'années et exportateur net de gaz d'ici 15-20 ans.
Cette perspective est d'autant plus préoccupante que les hydrocarbures représentent pas moins de 98% des exportations contre 52% à l'indépendance et qu'un retard aussi incompréhensible que considérable a été pris dans la diversification de l'économie nationale», indique M. Sarkis. Et de conclure en disant : «Je pense que l'Algérie est à présent confrontée à deux défis aussi énormes l'un que l'autre. Le premier réside dans l'éradication d'une corruption qui a fini par affecter un secteur vital de l'économie nationale. Le second concerne, et ceci explique largement cela, la nécessité impérieuse de rattraper, autant que faire se peut, le retard accumulé dans la préparation de l'après-pétrole et de l'après-gaz naturel.»


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