Algérie

Le match le plus long



Pas de répit pour Rabah Saadane. L'entraîneur de l'équipe nationale vit à un rythme infernal. Il joue sa tête à chaque match. L'implacable loi du sport le contraint à remettre en jeu sa crédibilité au rythme des compétitions, passant, du jour au lendemain, et selon le résultat obtenu, du statut d'idole à celui d'homme incompétent et détesté.

 Saadane connaît bien ce mouvement du balancier. Cela fait trente ans qu'il use le banc de touche, tantôt porté aux nues, tantôt traîné dans la boue. Il connaît le retour difficile après la défaite, les voyages longs et épuisants après un nul chanceux, et les frustrations après un match perdu à cause d'une erreur d'arbitrage, d'un moment de déconcentration ou un mauvais rebond.

Ce genre d'épreuve finit, normalement, par blinder le personnage.

 Il acquiert des réflexes, une manière de se comporter bien particulière. Il s'habitue notamment aux écrits farfelus de la presse, apprend à répondre patiemment cent fois à la même question, comme il apprend à gérer les défaillances de ses joueurs, leur colère ou leur coup de gueule.

Toute cette expérience accumulée risque cependant d'être insuffisante cette fois-ci. Car Rabah Saadane se prépare, avec le match contre les Etats-Unis, à une sortie qui risque fort d'être définitive. En raison de son âge, de son itinéraire personnel et de l'environnement dans lequel il travaille.  Car, au moment d'aborder cette rencontre, l'entraîneur de l'équipe nationale sait qu'une victoire le propulserait au second tour, le consacrant définitivement comme l'entraîneur du siècle.

Son aura risque même de dépasser celle de joueurs qui ont une histoire fabuleuse, comme Lakhdar Belloumi, Rabah Madjer ou Rachid Mekhloufi.

 Par contre, une défaite ou un match nul signifierait une élimination de l'équipe nationale, et une fin de carrière en queue de poisson pour Rabah Saadane.Celui-ci pourrait bien décrocher un dernier contrat doré dans un pays du Golfe, mais si l'équipe nationale ne se qualifie pas au second tour, il semble hors de question de le trouver au plus haut niveau dans quatre ans.           Cette carrière qui se joue à pile ou face, Saâdane l'a traînée toute sa vie. Pourtant, lui-même n'a guère un tempérament de joueur. Il serait même totalement à l'opposé. Il est plutôt pragmatique, pondéré, et il a plutôt tendance à avancer par petits pas, opérant les changements par petites touches, comme s'il avait horreur de heurter les gens.

Cette discrétion se reflète parfaitement dans la méthode utilisée par Saâdane pour opérer des changements essentiels au sein de l'équipe nationale depuis un an, et dont on ne s'est rendu compte qu'après coup. Ces changements ont concerné trois joueurs essentiels, jouant dans l'axe, dont deux capitaines d'équipe !

 A partir du match de Khartoum, Saâdane a poussé vers la sortie son capitaine Rafik Saïfi. En six mois, celui-ci n'était même plus remplaçant. Celui qui avait hérité du brassard de capitaine, Yazid Mansouri, a lui aussi été progressivement écarté. Enfin, au poste de gardien de but, Saâdane a choisi M'Bolhi plutôt que l'idole Fawzi Chaouchi lors du dernier match face à l'Angleterre.        En six mois, Chaouchi est passé du statut de remplaçant puis à celui de titulaire indiscutable avant de redevenir remplaçant ! En plus de tous ces changements, Saâdane a choisi d'exclure tout un groupe de joueurs qui avaient fait la coupe d'Afrique des Nations, au début de l'année.

 En procédant ainsi, Saâdane veut éviter de heurter les joueurs et le public. Il ne fait plus preuve de pragmatisme, mais d'attentisme. Il n'anticipe pas ; il colmate les brèches. Ce qui l'oblige en fin de compte à prendre des risques inconsidérés.

 Ainsi est-il parti à la recherche de nouveaux joueurs trois mois avant la Coupe du monde, alors que toutes les équipes qualifiées étaient en phase finale de préparation.    Et quand il a trouvé ces joueurs, il ne les a même pas essayés dans les matches de préparation, pour finalement les titulariser en Coupe du monde ! C'est un coup de poker tenté sous la pression des évènements, totalement opposé au tempérament de Rabah Saâdane. Et qui l'amène à jouer sa fin de carrière sur un match, celui de ce mercredi, le match le plus long de sa carrière.




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