Algérie

LE MAL-ÊTRE



Publié le 15.08.2024 dans le Quotidien d’Oran
par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Au pays de Boudou. Roman de Slimane Laouari. Editions Frantz Fanon, Boumerdès 2024, 161 pages, 1 000 dinars

Un livre terminé très exactement le 24 novembre 2021 ...à 17h 43. Mais on ne sait quand il a été commencé. On devine seulement, à travers la lecture - qui n'est pas facile tant le style est original (dans la tradition katébienne ?) qui nous change pas mal de celui du chroniqueur de presse qui va tout droit au but- que l'auteur, qui est à son premier roman, a utilisé tous les souffles de l'écriture...tant celui d'un réalisme parfois cru que celui de l'élan poétique. Un véritable roman «éclaté» avec des personnages tout à fait ordinaires bien qu'originaux, des personnages pour lesquels la vie n'a plus de sens ou n'a de sens que quand elle est fiction : Au centre Mouhous et Nassira... et tous les autres : Kader Mauvais Sang, Rachid l'acteur, Salah le flic, Koukou le nain que sept doigts, Soussou, Koukou, Messaoud Z... et des lieux de rencontres comme Le Néflier, le Puits, Le Précipice, un bistrot que les habitués appellent «le trou». ...

C'est donc l'histoire de Boudou, bouc émissaire pour les uns, héros légendaire pour les autres, poète indomptable pour les plus dpes... qui devient le confident privilégié de tout le monde. Cela dans un pays fatigué à force d'avoir trop rêvé vainement ; un pays où les gens tournent le dos à toutes les questions et cherchent désespérément, tantôt à tout oublier, tantôt à se faire oublier. On est revenu de tellement loin que l'on ne veut plus tenter la moindre aventure en dehors ...de la littérature.

L'Auteur : Né le 22 avril 1960 à Mechtras (Kabylie). Études de droit (Alger /Ben Aknoun), puis carrière de journaliste. Actuellement chroniqueur au sein du quotidien «Le Soir d'Algérie». Premier roman.

Extraits : «Rien n'échappe à la vigilance des soulards, rien ne se fait à l'abri de leur regard embué, personne ne peut tromper leurs guets discrets. Dans chaque retour de lucidité, il y a une histoire vraie et dans toute divagation un évènement à méditer» (pp 36- 37), «Les vieux, il ne leur reste que des histoires et quand ils n'en ont qu'une seule, ils deviennent plus pénibles que leur âge» (p39), «Quand Zaky est entré en prison, tout le monde savait pourquoi, sauf lui. Alors, à chaque fois qu'on lui posait la question, il racontait une version différente de la même histoire. Personne n'a cru la dernière, il n'y a aucune raison pour qu'on croie la nouvelle. Mais il en inventait pour lui-même... histoire de ne pas mourir d'ennui» (p 55), «Est-ce qu'il y a un avenir quand on est mort ? Est-ce qu'il y a un avenir quand on attend de sortir de prison ?» (p 57)

Avis - Un livre qui fait travailler les méninges. Et, magnifique couverture avec une illustration de Arezki Metref.

Citations : «Entre jumelles, il y a une aînée et une cadette parce que le vagin n'est pas assez large pour évacuer deux bébés en même temps» (pp 58-59), «Dans les écoles-casernes, on apprend, on ne cherche pas à comprendre» (p 62), «Ils sont ainsi, les romanciers, même quand ils n'ont encore rien écrit. Ils veulent changer le monde en changeant la réalité» (pp 82-83), «Les femmes ne reviennent jamais avec une femme ; dans les histoires d'ici, c'est toujours un homme qui revient avec une femme» (p 97) ; «C'est la fin de l'Histoire, pas des histoires» (p111)

Cœur de métal. La fin de toute peur. Récit de Micha. Editions Dalimen, Alger 2013, 336 pages, 700 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Extraits pour rappel. Fiche complète in www.almanach-dz.com/société/bibliotheque dalmanach, 25 juin 2020),

C'est l'histoire vraie, si l'on en croit l'éditeur, d'une jeune fille, issue de la classe moyenne (ou, du moins, ce qui en restait durant les années 90). Elle raconte sa vie : d'enfant, de jeune, d'étudiante, de chômeuse, de cadre (???). Heureusement, au sein d'une famille soudée, aimante, solidaire... L'exil à partir des années 2000. Un récit qui raconte sa vie à l'intérieur de sa famille, de sa société, des entreprises au sein desquelles elle a activé... Terrible ! Terrible ! Pour un(e) jeune : le terrorisme, la pression islamiste, les tabous, les regards des autres, les jalousies, les coups fourrés, les impasses, ... Heureusement, il y a la musique, même durant les moments les plus dramatiques. Un refuge... entre copains, malgré tout. Et, quelle musique...Pas le rap. Pas le rai. Pas le gnawi... La dure. Celle qui fait le plus de bruit. Celle qui contre-ravage. Celle qui aide à continuer à vivre et, surtout, à lutter, à lutter et encore à lutter. Celle qui vide des haines quotidiennes accumulées, ça et là, dans une atmosphère obscure. La « Metal Music »! De l'«extreme music for extreme people ». (... Les jeunes vivaient alors leur vie dans un monde parallèle, conscients des dangers mais n'acceptant pas les sorts funestes qui leur étaient tracés (ou réservés) d'avance par leurs aînés. Des petits monstres ? Peut-être. Mais que pouvaient-ils faire, ces « fous d'intelligence et du mépris que leur portait leur mère patrie ».

En tout cas, ils savaient ce qu'ils étaient et ils « emmerdent la vie ». (...) Un phénomène qui existe encore, peut-être encore plus fort... et toujours « invisible ». Le vrai moteur du changement ?

L'Auteur : Un pseudonyme, assurément, plus par modestie et discrétion que par peur, certainement. Elle est née en Algérie (à Alger, ou à Oran ou ... qu'importe) en 74. En Novembre, ce qui en fait, pour les « nationalistes », une battante. Années 80 et 90 en Algérie : Etudes (à Babez' au début de la décennie « noire »), chômage puis expériences professionnelles «marquantes » pour ne pas dire décevantes et traumatisantes. Puis, l'exil...en France, à partir des années 2000. (...)

Avis - Un livre dur, terrible, comme sa musique. Mais à lire : pour savoir qu'il y (a) avait d'autres Algérie (s). Et des tas de « jeunesses » qui, bien que « ravagées » par le « système », résistent, luttent et réussissent. (...)

Extraits : « Ce type de réaction de «barrage» aux initiatives, aux projets et à l'innovation était courant, si ce n'est systématique dans le monde du travail en Algérie. Une forme d'auto-destruction collective mi-consciente, mi-inconsciente » (p 76), (...), « Mes potes étaient comme moi, malades de vivre en contradiction avec leurs natures vives et intelligentes, malades d'être ignorés et refoulés comme une vulgaire tare....dans un pays fait de contradictions, d'incohérences et de non-sens, nous poussant à la folie » (p 140), (...)




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