Algérie

Le Maghreb par le chaos



Le Maghrebsolidaire est oublié. Il laisse la place à un autre Maghreb, construit sous lamenace.Casablanca,Alger, Casablanca. Bientôt, peut-être, d'autres villes du Maghreb. Il y a peu,c'était la Tunisie et la Mauritanie qui subissaient d'autres drames.Des coups portantun label qu'on attribue à El-Qaïda. Et c'est ainsi que le Maghreb est en trainde se faire: une construction par le bas, dans le chaos, la violence, lacrainte et la contrainte.C'est donc unautre Maghreb qui est en train de s'imposer. Loin, très loin des idéauxproclamés depuis bientôt un siècle, et rappelés dans tous les discours decirconstance. Dans les années 1920, déjà, le premier mouvement nationalistealgérien moderne s'installait dans une perspective résolument maghrébine, en sechoisissant pour nom «l'Etoile nord-africaine». Abdelhamid Mehri rappelle quantà lui, régulièrement, que le 1er Novembre visait à restaurer l'Etat algériensouverain, démocratique, dans un cadre nord-africain, et que si le premierobjectif a été atteint, les deux autres restent à conquérir.Cet objectifmaghrébin qui fait consensus, du moins dans le discours, semble donc s'éloigneravec le temps, car les années creusent davantage le fossé entre Maghrébins qu'ellesne comblent leurs différends. La solidarité de la première moitié du 20e sièclea laissé place aux choix divergents des décennies suivantes. Et peu importe quiest coupable et qui est responsable, car le résultat est là: un des espaces lesplus prometteurs dans le monde arabe est devenu un espace de division inutileque seul le chaos menace de réaliser.Face à cetteréalité, le reste apparaît si dérisoire qu'il est presque gênant d'en parler.Dire que le roi Mohamed VI a fait preuve d'habileté en envoyant un message decondoléances au président Abdelaziz Bouteflika à la suite du double attentat du11 avril manque d'élégance. Noter que le Maroc a été rattrapé par un phénomèneque sa presse considérait naguère comme une exclusivité algérienne ne signifiepas grand-chose non plus. De même apparaît-il superflu d'insister sur le faitque le terrorisme au Maghreb a changé de label, en passant sous la couped'El-Qaïda, et que la région fait face aujourd'hui à un autre type de violence.Comme si la violence antérieure était moins destructrice.En fait, le fonddu dossier maghrébin reste le même. Le Maghreb avait plusieurs possibilités dese construire. Il les a ratées, en éliminant les meilleurs choix, pour glisserprogressivement vers les options les plus dangereuses, et aboutir finalement auchoix du chaos.Initialement, lespays maghrébins avaient la possibilité d'aller à un ensemble régional de leurpropre volonté, pour allier leurs forces et mettre ensemble leurs capacités.C'était le choix du cÅ“ur et de la raison, celui de l'ambition et de l'espoir.Il a été éliminé par des systèmes bureaucratiques incapables de dépasser leurspropres limites. Préférant fermer les frontières, insister sur les divisions,et se réjouissant des problèmes du voisin, ils ont développé des stratégiesdévastatrices pour chacun d'eux. Incapables de négocier ensemble face àl'Europe, ils sont tous en train de rater le virage de la mondialisation, mêmesi certains pays estiment mieux s'en tirer que d'autres, pour des raisonsstrictement conjoncturelles.Quand ce constatest devenu évident, l'Europe s'en est mêlée. Elle voulait à la fois contenir leterrorisme dans la rive sud de la Méditerranée, et contrôler l'émigration,maghrébine et africaine, qui se déversait au nord. Elle a voulu pousser lespays maghrébins à coordonner leurs efforts, pour construire un Maghreb quiservirait un jour d'amortisseur à l'émigration et au terrorisme, en prenant encharge le volet sécuritaire de l'émigration illégale. L'Europe était prête àoffrir une contrepartie, humiliante, pour y arriver. Mais elle a échoué à sontour. Mais si elle n'a pas réussi à imposer cette option qui privilégie sesintérêts en premier lieu, ce n'est pas en raison d'une opposition des paysmaghrébins soudain devenus lucides, mais à cause d'une incapacité de systèmespolitiques, inaptes à tirer profit d'une conjoncture favorable. C'est alors queles Américains sont arrivés, avec leurs généraux et leurs plans stratégiquesglobalisants. Le Sahara, le Sahel, le terrorisme international, les immensesespaces de non-droit: tout ceci est devenu à la mode du moment. Les Etats-Unis,disait-on, voulaient s'occuper de l'Afrique, y créer un commandement militairede type nouveau, et confier aux pays maghrébins un rôle dans cette stratégie. L'option américaine n'a pas été évacuée,qu'une autre, encore plus dévastatrice, risque de la supplanter. Celle duchaos, de la violence et de la dévastation. Et là, enfin, les pays maghrébinsse sont réveillés, affirmant qu'ils étaient prêts à travailler ensemble. Ilssont prêts à faire coopérer leurs services de sécurité pour faire face auterrorisme. En réalité pour survivre.Faut-il trouverun lien entre l'option américaine et celle du chaos ? S'il est trop tôt pour ledire, on peut cependant noter qu'elles se renforcent mutuellement. L'optionaméricaine devient «légitime» si le terrorisme d'El-Qaïda se répand. Mais là oùla présence américaine s'est affirmée, en Afrique et dans le monde arabe, leterrorisme s'est également installé de manière structurelle. Comme si laviolence et la présence américaine constituaient deux éléments inséparables.En tous les cas,pour le Maghreb, la perspective est bien réelle. L'édification maghrébine«positive», celle de l'ambition, de la raison, de la réflexion et de la défensedes intérêts communs, ne s'est pas faite. Elle semble même abandonnée. Laconstruction maghrébine risque donc de se faire sous la pression du duoprésence américaine - menace terroriste. Et à défaut du Maghreb souhaité, celuide la solidarité, on risque d'avoir un Maghreb réalisé par le bas, sous lapression conjuguée de la violence et d'une décision politique extérieure.


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