Algérie

'Le Maghreb nie la dimension civilisationnelle de l'Afrique"


'Le Maghreb nie la dimension civilisationnelle de l'Afrique
Ali Bensaâd est géographe, maître de conférencesà l'université de Provence et enseignant-chercheurà l'Institut de recherche et d'études sur le mondearabe et musulman. Il travaille sur les mutations del'espace saharien et la place de ce dernier dans lesystème relationnel international, notamment autravers des migrations et des échanges entre mondearabe et Afrique noire.   Pourquoi les migrationssubsahariennes, facteurd'intégration entre le Maghreb etl'Afrique, ne sont-elles présentéesque sous le volet sécuritaire,presque « hygiénique » '  La migration subsaharienne vers leMaghreb n'est pas nouvelle, maiselle a acquis une plus grande visibilitéces dernières années depuisqu'elle s'est greffée sur la circulationmigratoire irrégulière entre leMaghreb et l'Europe et qu'elle estdonc devenue une préoccupationpour l'Union européenne. C'estelle qui fantasme sur ces flux eta fait injonction aux pays du Maghrebde développer un dispositifrépressif pour les contrer. Mais, enfait, c'est une réalité au Maghrebdepuis les indépendances dansla région. Il est vrai que pendantlongtemps elle n'a concerné queles régions sahariennes où ellecontinue d'ailleurs à être majoritairementprésente. Et les Etats maghrébinss'en sont bien accommodéstant qu'elle restait au Sahara.Ce Sahara qui ne serait pas ce qu'ilest sans les travailleurs africains.Mais les pays maghrébins onttoujours eu des rapports ambigusavec ces migrations tolérées, voiresollicitées mais jamais reconnues.C'est une réalité : les pays du Maghrebsont devenus de nouveauxpays d'immigration et cela bienavant qu'apparaisse la destinationEurope comme objectif pour certainsmigrants, mais ils se refusentà l'admettre pour faire l'économiedes réponses sociales et juridiquesà donner à cette nouvelle réalité.En fait, les autorités maghrébinesgèrent les migrations avec le mêmedéni de droit, la même violence etla même paranoïa avec lesquelselles gèrent leur propre populationmais en les aggravant encore plus.Difficile dans ce cas de monter aucréneau contre l'Europe pour letraitement infligé aux Maghrébins.Le projet du Nouveau partenariatpour le développement de l'Afrique,par exemple, est intéressantmais il est impossible de développerun tel espace en adoptant unepolitique hostile et répressive àl'égard des migrants. D'autant quedans les faits, il n'y a pas - et il n'yaura jamais - d'invasion sud-saharienne.Les flux se régulent pareux-mêmes.  Dans vos recherches, vousévoquez l'enracinementhistorique des mouvementsmigratoires entre le Sahel et leMaghreb. Est-ce que cet héritagea des chances de contrecarrerle discours automatiquementrépressif '  Le Sahara n'a jamais été une barrière,et entre le Sahel et le Maghreb,il y a un passé d'intenseséchanges de près de 10 siècles, sédimentésdans nos cultures, et, jedirai même dans nos gênes, depuisla musique (qu'on pense au gnawa)jusqu'à cette formidable machinede sociabilité transafricaine quesont les confréries religieuses leplus souvent nées au Maghreb,essaimées en Afrique noire et quireviennent au Maghreb commedes altérités à leur source anciennedans un processus d'échanges oùles « allers-retours » altèrent mêmepar la plus-value del'autre. Une confrériecomme la Tidjania,née en Algérie, estainsi un canal de « diplomatieinformelle »actionné concurremmentpar l'Algérie etle Maroc dans leursrapports avec lespays africains, notammentle Sénégal.C'est l'épisode colonialqui a mis fin àcet échange denseaprès, c'est vrai,son affaiblissementpar les routes océanes.On peut valoriserce passé pour féconder leprésent ou être dans le déni. Il seraitintéressant d'en solder le côtésombre (comme le racisme ou lapratique de l'esclavagisme dont onne pourra trouver trace dans aucunmanuel !!) mais aussi de valoriserles potentialités.Regardez : les échanges officielssont quasi-inexistants, pourtantil y a un formidable mouvementd'échanges informels qui vientpallier l'absence de politique decomplémentarité et qui induit biensûr, fatalement, la circulation deshommes. Ils indiquent les potentialitésà fructifier. Mais ce que nousdisons pour l'Europe est aussi vraipour nous le Maghreb dans nosrapports avec le Sahel. L'Algérieveut valoriser sa position de « portede l'Afrique » et s'ouvrir à travers latranssaharienne et le projet du Nepadjusqu'au Nigeria, le Maroc veutse développer et devenir à traversTanger le trait d'union qu'il aspireà être entre l'Europe et l'Afrique,mais ils ne le peuvent pas sans êtreun espace d'interpénétration avecles Subsahariens. Comme pourl'Europe, le Maghreb ne peut pasêtre un espace d'échange économiquesans en payer le coût humain.Le développement économique etla stabilité à ses frontières dépendentde l'intégration de la questionde la circulation des hommes.C'est une illusion de penser que leMaghreb peut se déconnecter dureste de l'Afrique. A l'ère des regroupementsrégionaux qui, aprèsune période de folle dérégulation,deviennent le cadre obligé de régulationde la mondialisation, iln'est pas dans l'intérêt des paysmaghrébins d'aller à l'encontre deleur profondeur historique et géostratégiqueet de nier la communautéde destin avec le Sahel alors quependant des siècles nous avons faitpartie du même « système-monde »quand il était centré sur le mondearabe. Ce fut une ébauche de mondialisation.C'est dommage qu'on nie la dimensioncivilisationnelle communeet qu'on la réduise pourl'Afrique, comme l'ont fait les colonisateurs,à sa dimension folklorique.Je terminerai en rappelantque le mot qui désigne ces régions« le Sahel » est d'origine arabe, ildésigne le rivage, celui qu'on atteintaprès avoir traversé la « mer »saharienne. Or, comme disait Malraux : « Les continents séparentles peuples, la mer les rapproche. »La colonisation française avait eule rêve fou de créer une mer auSahara pour rapprocher ses deuxrives, allons-nous, nous nationsafricaines indépendantes, faire duSahara un limes entre les deuxparties du continent '
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