Algérie

Le logement social, cette nitroglycérine algérienne !



En Algérie où l'espace social ressemble à un champ de fourrage sec, tout ou presque est sujet à explosion. L'emploi, l'eau, l'électricité, les routes non bitumées, les salaires, les conditions de travail, la précarité et bien d'autres raisons de la malvie, du mépris et de la désespérance sociale sont de puissants détonateurs. Cependant, de tous les éléments déflagrants, le logement social est le plus redoutable des explosifs. On vient d'en sentir encore l'odeur de souffre à Laghouat. Voilà une ville qui ressemble à toutes les cités algériennes où il fait mal de vivre. Mais, Laghouat, ville des saints Sidi Ahmed Tidjani et Sidi Hadj Aïssa, Laghouat, cité des Zaatchas, de cheikh Bouziane et d'Omar Télidji, la fière rebelle qui refusait de payer l'impôt annuel au Beylik, qui a résisté au général Pélissier de Reynaud, est aujourd'hui un concentré du mal-être algérien. Et voilà qu'une liste du logement de la discorde vient y mettre le feu aux poudres. Une liste illégitime, tripatouillée par une Administration illégitime et, sur le coup, irresponsable, a donné à la ville des allures de la Place Ettahrir cairote. D'ailleurs, comme une force du symbole, la place en question où les protestataires ont laissé exsuder leur colère, s'appelle Place de la Résistance. Comme un épicentre de la contestation à Laghouat dont le nom vient de l'arabe ghaout ou ghéït qui signifierait salut en provenance du ciel. Leur colère a été provoquée par l'incurie d'une Administration locale qui carbure au népotisme et joue, peut-être sans trop le savoir, à l'apprenti-sorcier. Elle a été attisée par la grossière brutalité d'une police antiémeute plus prompte à manipuler le gourdin et à faire suinter son mépris agressif pour tout révolté pacifique contre une injustice. Dans le cas de Laghouat, l'injustice a consisté à distribuer des logements à des indus bénéficiaires, qui plus est, étrangers à la ville pour certains, en lieu et place de plus légitimes attributaires, natifs de la ville ou qui y ont fait souche depuis longtemps. Résultat du bidouillage administratif, une émeute et une colère dont la flamme refuse de s'éteindre malgré la présence massive de policiers envoyés sur place comme des sapeurs-pompiers. Ce mini-Octobre 88 à Laghouat n'est malheureusement pas un cas isolé. Il est l'ultime exemple d'une récurrente incapacité à gérer des listes de logements. Listings établis selon des critères relevant souvent du favoritisme et du clientélisme à l'algérienne, dont les déclinaisons à l'échelon locale portent le nom de benaâmmisme, selon un néologisme propre à l'ancien président Ahmed Ben Bella. A vrai dire, il est plutôt question d'absence de critères de juste définition de l'éligibilité au logement social. Défaut rédhibitoire et récidivant qui donne libre cours au jeu malsain du favoritisme qui alimente la corruption et s'en nourrit. Les listes d'attribution sont systématiquement frappées de suspicion et d'illégitimité car établies par une Administration elle-même suspecte et illégitime. Au point de recourir, in fine, aux hommes de Dieu pour les faire accepter. Or, les Algériens ne croient plus en la parole des uns et des autres. Quand bien même serait-elle celle de notables du coin ou d'imams dont la vocation est de prêcher celle du Seigneur. En Algérie, la culture du népotisme est telle que même la mosquée, qui devient en la circonstance un supplétif religieux de l'Administration, se montre souvent impuissante à lutter contre le benaâmmisme. A Laghouat comme ailleurs, les listes du logement social ont la haute toxicité de la nitroglycérine. Comme l'ester trinitrique du glycérol, élaboré par Alfred Nobel, les listes du logement social sont une matière sensible à la friction, aux chocs, aux élévations de température et aux étincelles. Dans le cas de Laghouat, cas enregistré tant de fois par ailleurs, l'étincelle fut le tripatouillage de la liste par des mains irresponsables. Ainsi établies, les listes deviennent, à l'image de la nitroglycérine, un produit extrêmement instable qui, même refroidi, est apte à se décomposer en une violente déflagration. A Laghouat, les irresponsables locaux ont tapé sur la nitroglycérine avec le marteau du favoritisme, ce qui reste une très mauvaise idée : comme le précisent les manuels des apprentis-artificiers, soumise à un choc énergique et concentré, elle explose selon un premier et un second régime de détonation. Comme la nitroglycérine, la liste du logement social est connue pour posséder deux régimes de détonation. Elle provoque le mécontentement quand elle est affichée. Et l'explosion de la colère quand on constate qu'elle est le résultat d'une tambouille clientéliste. Pour éviter que le logement social ait un jour un détonateur puissant comme le fut à l'est de l'Est du pays un certain Mohamed Bouazizi, l'Etat algérien devrait songer à ne plus confier la nitroglycérine qu'est le logement social à des pyrotechniciens inconscients mais irresponsables. Des pyrotechniciens qui peuvent être des pyromanes.
N. K.


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