Promeneur solitaire, Mohamed-Arezki Himeur vient de publier son livre tant attendu sur Alger, Raconte-moi Alger. Le résultat est brillant : un beau-livre, où le journaliste et homme de radio nous prend par la main et nous fait découvrir sa ville, «El Mahroussa». Suivons-le dans ses huit itinéraires initiatiques pour mieux connaître la capitale?- Les habitants d'Alger connaissent-ils vraiment leur ville '
Ils sont moins nombreux. Ceux qui connaissent encore la ville sont les jeunes des années 70' et de la décennie précédente. On les rencontre souvent dans certains endroits typiquement algérois, comme le café Tlemçani et le café de la Marine, dans la Basse Casbah. On les croise aussi sur les réseaux sociaux. Ils interviennent pour évoquer quelques souvenirs, pour parler de certains personnages, sites, artères, bâtisses, décorations, statues et autres curiosités de la cité.
Ce qui est une excellente démarche pour amener les jeunes d'aujourd'hui, des deux sexes, à regarder autour d'eux, à faire un détour du côté de l'endroit cité dans un «post» publié sur les réseaux sociaux. J'admire ce qu'ils font. Parce qu'ils nous incitent à sortir, de temps à autre, de notre coquille.
Depuis quelques mois, j'ai remarqué qu'il y a beaucoup de groupes de jeunes des deux sexes qui participent ou organisent des promenades à Alger, notamment du côté de la vieille ville, La Casbah. Ce quartier attire de nombreux visiteurs, surtout le week-end (vendredi et samedi) et les jours fériés. Le 1er novembre dernier, à l'occasion de la commémoration de l'anniversaire du déclenchement de la guerre d'indépendance (1954), le musée Ali La Pointe a accueilli de nombreux visiteurs, parmi eux des écoliers venus en groupe.
Un bon signe, peut-être, annonçant une timide reprise des promenades touristiques et historiques à La Casbah. Tout récemment, j'ai rencontré un groupe d'adolescents, garçons et filles, venus de la région de Béjaïa pour visiter uniquement les jardins d'Alger. Il est vrai que le climat ambiant, caractérisé par le chômage, la malvie, la cherté de la vie, la disparition des cinémas, la rareté des concerts de musiques et pièces de théâtre, ne fait qu'amplifier la morosité.
- Les itinéraires que vous proposez permettent de découvrir des endroits insoupçonnables, comme ce mausolée caché d'El Madania?
Il s'agit du mausolée de Sidi Messaoud, le plus petit mausolée d'Alger, je pense. Je n'ai trouvé aucun document concret sur ce personnage. Je savais qu'il y avait un mausolée du saint Sidi Messaoud dissimulé quelque part dans la zone du Hamma. J'ai fouillé dans la forêt des Bois des Arcades. Parce que je pensais qu'il se trouvait dans cet endroit, au-dessus du «Marabout des platanes», un autre mausolée classé parmi «les monuments historiques de la colonie» par un arrêté du 20 février 1911 du Gouverneur général de l'Algérie, au même titre que la fontaine du Hamma.
En vain. Je n'ai découvert le site qu'en juillet dernier, au moment où je prenais des photos pour les besoins du livre. Je l'ai trouvé grâce à l'aide d'un vieux monsieur rencontré dans la cabine du téléphérique reliant El Hamma et El Madania. Il avait travaillé comme ouvrier à la réalisation de cette ligne en 1956. Il m'a raconté la petite anecdote sur Sidi Messaoud que j'ai rapportée dans le livre. Raconte-moi Alger est réalisé sous forme de guide.
Il comprend une présentation succincte d'Alger depuis l'antiquité à nos jours, et huit itinéraires touristiques qui dévoilent, au fil des promenades et des haltes, certains aspects et certaines facettes de la ville et de ses quartiers périphériques sur les plans historique, architectural, culturel, cultuel, touristique et autres.
Il renferme quelques renseignements et curiosités inédits. Dans le premier itinéraire allant de la Grande Poste jusqu'à Bab El Oued, en passant par La Casbah, j'ai mentionné plus de 70 sites et curiosités à voir et/ou à visiter. J'ai adopté et appliqué la même démarche pour les sept autres circuits : une visite guidée.
Le livre évoque aussi certains lieux oubliés, disparus. Des endroits qui ont marqué une époque, laissé des empreintes. C'est le cas, entre autres, du Théâtre Mogador, du Café des sports, du Café Malakoff, du cimetière des deux princesses?
- La ville, ce sont des lieux, mais c'est aussi des personnages atypiques, comme Ali La Pointe, El Hadj El Anka..., ou encore cet avocat guadeloupéen indigénophile, Maurice L'Admiral, dont personne n'entend presque plus parler aujourd'hui. A part de rares plaques commémoratives, les murs de la ville blanche ne disent rien. Pourquoi '
C'est malheureusement vrai. Les murs de la ville sont muets sur la période post-indépendance. On connaît peu de choses sur les noms que portent nos rues, boulevards et quartiers. On sait seulement qu'il s'agit de noms - pour la majorité d'entre eux - de moudjahidine. C'est seulement durant cette année 2017, par exemple, qu'on a installé une plaque commémorative sur la façade de la villa qui avait abrité au Télemly, entre octobre 1956 et février 1957, le quartier général de la Révolution algérienne, le CCE.
Maurice L'Admiral que vous venez de citer mérite, à lui seul, tout un volume. Il est presque inconnu des Algériens. Pourtant, il avait bien marqué son époque par ses brillantes plaidoiries. Cet avocat guadeloupéen, ancien bâtonnier d'Alger, était l'un des premiers à défendre les «indigènes» devant les tribunaux français. Il avait arraché «beaucoup de têtes au bourreau», dira un de ses amis.
- Dans la partie consacrée à La Casbah, vous parlez de l'état de la vieille ville qui a perdu son lustre d'antan. Pourquoi s'occupe-t-on peu ou très mal de ce patrimoine '
La Casbah n'est plus ce qu'elle était. Les premiers à faire ce constat sont ses propres enfants. Le problème le plus important, c'est le bâti. Beaucoup de maisons ont disparu, se sont effondrées faute d'entretien et de préservation. Aucun des plans de rénovation et de protection mis en ?uvre jusqu'ici n'a abouti.
Celui de la fin de la décennie 1970 a fait beaucoup de dégâts. Il a emporté plus d'une centaine de maisons au quartier Lallahoum, près de djamaâ Ali Bitchin. L'une des rares bâtisses qui a échappé au marteau-piqueur est le mausolée de Sidi Helal, aujourd'hui isolé par un mur.
En fait, la destruction de La Casbah a commencé au lendemain de la chute de la Régence d'Alger. Sur les 8000 bâtisses recensées en 1830, il n'en restait que 1700 en 1962. Il reste aujourd'hui moins d'un millier. Cinquante-cinq ans après l'accession de l'Algérie à l'indépendance, La Casbah pose toujours problème. Et la crise financière à laquelle est confronté le pays est de nature à compliquer les choses. Les travaux en cours au niveau de la Citadelle risquent d'être suspendus.
- Il vous arrive de rapporter des citations tirées d'articles publiés dans la presse coloniale. On connaît votre intérêt pour ce corpus fort utile. Peut-on espérer vous voir poursuivre le travail essentiel du professeur Zahir Ihaddaden (La presse indigène en Algérie, des origines à 1930) '
Le professeur Zahir Iheddaden a réalisé un travail fabuleux sur L'histoire de la presse indigène algérienne de 1830 à 1930. Ma démarche est différente. Elle est axée essentiellement sur l'analyse du contenu des titres. J'ai travaillé sur des centaines de titres de la presse éditée en Algérie entre 1830 et 1962 : gouvernementale, coloniale, indigène, indigénophile, socialiste, communiste, assimilationniste, réformiste, musulmane, indépendantiste, etc. Cela a duré de nombreuses années.
Il y a eu plus d'un millier de titres qui ont été publiés durant cette période, représentant tous les courants politiques, philosophiques, intellectuels? Le premier titre, L'Estafette d'Alger, a vu le jour sur les plages de Sidi Fredj le 25 juin 1830, sous une tente du corps expéditionnaire français. C'était un journal de l'armée chargé de relater les «exploits» et les «victoires» des troupes d'invasion. C'est l'ancêtre de la presse en Algérie.
- Où en sont vos deux autres projets de livres sur le Jardin d'essai et sur la Kabylie '
Le livre sur le Jardin d'essai est terminé. Il paraîtra vraisemblablement au début de l'année prochaine. Il retrace, dans le détail, l'histoire de ce superbe site depuis sa création en 1832. Il renferme des milliers de végétaux de toutes les régions du monde. «Ici, dans une après-midi, on peut passer sommairement en revue la flore des cinq parties du monde ; mais le Jardin d'essai n'est pas seulement un lieu d'études pour les botanistes, c'est aussi un lieu de poésie et de repos», relevait déjà un auteur en 1887. L'ouvrage sur la Kabyle avance, lentement mais sûrement, comme on dit.
Posté Le : 08/12/2017
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Nadir Iddir
Source : www.elwatan.com