Par : Mohamed Sari
Ecrivain-traducteur
Le livre va mal. C'est le leitmotiv inlassablement répété depuis quelques années déjà par tous ses acteurs : éditeurs, distributeurs, libraires et, bien sûr, les écrivains qui sont frustrés de ne pas trouver assez de lecteurs pour leurs "œuvres de génie". La pandémie de Covid-19 est venue à point nommé pour donner le coup de grâce à ce livre mal aimé, tant décrié, qui pourtant a fait la belle fortune de tout ce monde, mais qui, aujourd'hui, est porté comme un fardeau dont on se débarrasserait sans regret.
La fermeture des librairies boudées par les lecteurs, la non-parution de nouvelles éditions, l'exportation des manuscrits vers des destinations plus clémentes, l'arrêt total des manifestations publiques locales et nationales resserrent l'étau et plongent le monde du livre dans un désespoir opaque qui bouche tous les horizons.
Mais pourquoi se suffit-on des constats calamiteux et se contenter de s'appuyer sur les anciennes recettes (Sila, vente sur place avec ou sans dédicace, aide des institutions publiques...) ' Pourquoi ne pas explorer d'autres horizons qui s'harmonisent avec les changements sociaux et technologiques du pays '
D'autres secteurs s'y sont mis : la restauration, les boutiques d'habillement... Vendre via internet et remettre la marchandise en mains propres puisque nos banques stagnent encore à l'époque médiévale et ne permettent pas le paiement en ligne. C'est une petite solution, mais qui peut s'élargir, se propager à grande échelle. Les Algériens sont connus pour l'imitation du voisin et à toute vitesse.
Les agents du livre sont en général passifs. Les libraires attendent la visite du lecteur qui se fait désirer, les écrivains boudent les séances de vente dédicace parce qu'il n'y a pas foule, les distributeurs stockent les livres dans leurs garages/dépôts et guettent les éventuels libraires censés payer cash, pas de crédit, au péril du pourrissement du papier par l'humidité et les inondations lors des fortes pluies. Pourquoi tous ces investisseurs ne cherchent-ils pas d'autres créneaux '
L'Algérie possède plus d'une cinquantaine d'universités, une ou plusieurs dans chaque wilaya, avec plus de deux millions d'étudiants, sans parler des lycées et des collèges, des lieux qui regorgent de lecteurs potentiels, qu'il faut absolument toucher.
Il faut savoir que la majorité des étudiants sont des filles, dont beaucoup n'ont jamais mis les pieds dans une librairie. Il est inutile de spéculer sur les raisons et incriminer les traditions, les parents, les moyens de transport... Il faut trouver les moyens adéquats pour aller vers eux.
A-t-on jamais entendu un syndicat revendiquer le droit d'organiser des petits salons du livre à l'intérieur des universités et des lycées et entreprendre les démarches nécessaires pour que ce fait devienne une réalité permanente '
Je connais un éditeur/distributeur qui l'a fait en Kabylie et qui organise des salons du livre parascolaire et littéraire et autre les mardis après-midi dans les collèges et les lycées. Apparemment, cela se passe très bien, d'après ses propres dires. Imaginez que toutes les universités, les grandes écoles, les lycées et autres lieux d'apprentissage et de formation puissent ouvrir leurs portes au livre.
Je sais que l'entreprise n'est pas facile, mais avec l'appui des partis, des élus locaux et nationaux, le projet peut aboutir. D'autres démarches déjà faites à petite échelle peuvent grandir pour peu qu'il y ait plus de personnes qui les prennent en charge.
L'achat de livres à distribuer pour récompenser les meilleurs élèves, lycéens, étudiants, avec une sélection de livres d'un écrivain dans chaque institution et sa présence pour les dédicaces. J'ai moi-même vécu cette expérience où des lycéens ont acheté des titres de mes livres et les ont distribués aux élèves récompensés (les trois premiers de chaque classe).
J'ai été invité à assister aux cérémonies de distribution des prix, j'ai dédicacé mes livres et j'ai donné une petite allocution sur le livre, la lecture et la littérature en général. J'ai vu le bonheur des élèves de pouvoir rencontrer un écrivain, l'entendre parler et discuter avec lui.
L'expérience s'est renouvelée avec les éditions Chihab et l'université Batna2 qui a pris 100 exemplaires de mon roman Pluies d'or, dédicacés et offerts aux enseignants et aux étudiants doctorants, dans une cérémonie grandiose. J'ai été invité à assister à la cérémonie et à prononcer une allocution.
Un grand bonheur pour l'écrivain,l'éditeur et l'université.Je pense sincèrement que ce genre d'activité peut sauver le livre, pour peu que cela soit généralisé à toutes les universités du pays.
L'initiative de l'institut français d'organiser le fameux prix littéraire Le Goncourt des lycéens version algérienne et de faire participer les lycéens algériens à choisir un roman lauréat parmi une dizaine de romans est très louable et mérite d'être poursuivie. Pourquoi ne pas penser à un prix Mohammed Did, Assia Djebar, Tahar Ouatar, Benhadouga, qui sera choisi par les lycéens ' C'est pourtant dans le domaine du possible !
Beaucoup d'autres initiatives de ce genre peuvent être pensées mais toujours avec la présence du livre et des titres bien précis. On en a assez des émissions dites culturelles où pas un livre n'est présenté, où l'animateur pose des questions bateau sur tout et sur rien et où les invités bégaient des idées vaporeuses dont ils ne maîtrisent ni les tenants ni les aboutissants.
Comme il est urgent de travailler à instaurer la vente du livre par internet. Nos étudiants aujourd'hui sont constamment branchés sur leur smartphone à la recherche de livres en version PDF. Une solution à la vente et au paiement en ligne est plus que nécessaire. Les éditeurs ont tout à gagner. Et la vente en ligne ne tue jamais le livre en papier.
L'expérience a été vécue en Europe et le livre en papier se porte bien. La vente en ligne chez nous gagnera d'autres lecteurs, les jeunes qui, dès l'enfance, ont pris l'habitude de lire en numérique. Mais aussi les régions éloignées du pays connues par l'absence de librairies et le retard de la distribution si elle existe.
Je pense que les acteurs du livre ont tout intérêt à explorer de nouveaux horizons parmi ceux que j'ai évoqués et bien d'autres encore pour maintenir en vie tous ces merveilleux métiers qui gravitent autour du "Roi livre" qui a fait et fera rêver l'humanité pendant de longs siècles avant et après notre ère.
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Posté Le : 12/10/2020
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : Liberté
Source : www.liberte-algerie.com