Algérie

Le journalisme dans le combat anticolonialiste



Le journalisme dans le combat anticolonialiste
Publié le 16.09.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie
Par Amar Belkhodja, journaliste-auteur

Le journalisme militant : des plumes fébriles et prolifiques

Dès les années 1920 et jusqu’à la veille du déclenchement de la guerre de Libération nationale, en novembre 1954, le mouvement nationaliste, tous courants confondus, va créer sa propre presse pour faire de la plume une arme de combat, en attendant, évidemment, que l’épée devienne le recours ultime pour détruire définitivement le banditisme d’État qui s’appelle : COLONIALISME.

Tantôt légale, tantôt clandestine, soumise à une sévère surveillance et censure, cette presse va révéler des plumes redoutables, pour la plupart francophones, puisqu’il fallait d’abord s’adresser au colonisateur dans sa propre langue, une langue qu’il se refusera de faire apprendre à tous les Algériens mais dont une élite s’en accaparera et la lui opposera, tel un miroir dans lequel il prendra acte chaque matin de ses défauts les plus vils et ses répressions les plus ignobles.

À part une sérieuse et instructive contribution livrée par l’universitaire Zahir Ihadaden, très peu de travaux furent consacrés au parcours de la presse algérienne, durant l’étape décisive qui annoncera le combat armé (1920-1954).

La compulsion et l’exploitation de quelques numéros de cette presse nous autorisent à exprimer une – modeste – opinion sur le sujet. De prime abord, un aspect central est remarquable dans la création et le contenu des différents organes de presse des courants politiques et culturels : le journalisme – puisqu’il s’agit d’écrits journalistiques – est un journalisme d’engagement qui se distingue du journalisme professionnel. Par voie de conséquence, nous n’avons pas affaire à des praticiens de l’écrit journalistique mais à des militants d’une cause – nationaux ou étrangers – qui ont eu la chance et la vocation de manier superbement la plume, la langue, et de «jongler avec les mots», tellement leurs écrits sont empreints de clairvoyance et de courage politique, et, somme toute, d’un sentiment patriotique et anticolonialiste à la fois.

Parmi les plumes qui vont constituer une élite qui va soutenir des «assauts permanents» contre le régime colonial français, nous évoquerons celles de pionniers qui pilonnent à partir de la capitale française elle-même.

C’est, effectivement dans le Paria, porte-parole des colonisés, que nous retrouvons des écrits réguliers de Imache Amar, cofondateur de l’Étoile nord-africaine, aux côtés d’autres pamphlets du futur leader du peuple vietnamien : Ho Chi Minh. Ceci dans les années 1920, peu de temps avant la naissance de l’Étoile nord-africaine dont le premier président fondateur ne fut autre que Abdelkader Hadj Ali qui va créer et alimenter l’organe de ce premier courant nationaliste : El Ouma. Journal qui paraît en territoire français mais dont plusieurs exemplaires vont circuler en Algérie dans les milieux nationalistes d’où naîtront, certainement, les premières cellules du futur PPA (Parti du peuple algérien) de Messali Hadj, implanté en Algérie en 1937.

Après El Ouma et le Parlement algérien, c’est l’Algérie libre qui deviendra l’organe du PPA-MTLD, courant qui rassemblera tous les partisans de Messali Hadj. À cette même époque, c’est-à-dire bien avant la victoire des alliés et leurs troupes coloniales sur le nazisme, deux journaux avaient le vent en poupe en Algérie, avec moins d’envergure qu’El Ouma, de par leur démarche moins engagée et la nature des revendications qui portent beaucoup plus sur les réformes que sur des exigences radicales. Il s’agit notamment de l’Entente franco-musulmane du docteur Mohamed-Salah Bendjelloul, porte-parole de la Fédération des élus – organe qui aura pour rédacteur en chef Ferhat Abbas, où il publiait régulièrement articles et éditoriaux.

Un autre journal dirigé par un polémiste de talent, Lamine Lamoudi : la Défense. Un journal qui devient une véritable tribune et qui, en ce sens, publie plus ou moins régulièrement de très intéressantes contributions d’un grand ami de l’Émir Khaled et défenseur engagé des intérêts du peuple algérien. Je veux nommer l’honorable Victor Spielman, un nom qui n’est que rarement évoqué pour ne pas dire totalement oublié. Le nom de Victor Spielman nous renvoie à deux organes qui auront précédé l’Entente franco-musulmane et la Défense. Il s’agit de l’Ikdam de l’Émir Khaled et du Trait d’union de Victor Spielman.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (conflit euro-européen 1939-1945), le journalisme algérien anticolonialiste va entamer une étape plus offensive, plus ardue et plus audacieuse. Alger républicain, qui a l’avantage de paraître tous les jours, devient une véritable tribune à travers laquelle vont s’exprimer des cadres de différents courants, tels que Ahmed Tewfiq Madani (Association des Oulémas (hommes du culte musulman) ou encore Mohamed-Cherif Sahli (PPA-MTLD). Comme d’ailleurs ce quotidien va rassembler les plumes d’auteurs célèbres ; Kateb Yacine) et des journalistes dont les écrits sont de haute facture : Abdelhamid Benzine et Boualem Khalfa notamment. Ce dernier s’est distingué, entre autres, par un reportage par lequel il dénonce avec une rare violence et indignation l’expédition punitive qui s’est abattue à Sidi Ali Bounab en octobre 1949 (Kabylie), sous le règne du tristement célèbre gouverneur général Marcel-Edmond Naegelen. Le journal d’Henri Alleg subit périodiquement la censure et la répression.

L’hebdomadaire Égalité devient – 1944-1945 – le porte-parole du grand rassemblement des Amis du manifeste et de la liberté, initié par Ferhat Abbas, dont la signature est présente depuis le Trait d’union de Victor Spielman, jusqu’à l’Entente de Mohamed-Salah Bendjelloul, puis dans la République algérienne où le pharmacien de Sétif se révèle comme un redoutable polémiste et où il traite, dans ses éditoriaux, des problèmes aussi bien de son pays que de l’actualité internationale, à travers des thèmes anticolonialistes et anti-impérialistes.

Dans l’équipe de Ferhat Abbas (Égalité et la République algérienne, successivement journaux de l’UDMA), des plumes combattives émergent tant par le contenu qualitatif que par l’engagement. Nous nommerons entre autres le célèbre avocat Ahmed Boumendjel ou encore maître Kadour Sator, ainsi que Ahmed Benzadi, Ahmed Kaid, Ahmed Hadj Ali, Aziz Kessous, ainsi que Roland Miette qui adhère à l’UDMA pour en devenir ensuite membre du comité central et qui accomplira deux mandats sous cette étiquette dans le Conseil général du département d’Oran. Un autre Français d’origine, mais algérien de cœur et de pensée, participe à la mise en forme de la République algérienne de l’UDMA. C’est l’honorable Serge Michel, lequel formera les premiers journalistes de l’Algérie indépendante. Côté presse en langue arabe, c’est Echihab de l’Association des Oulémas musulmans d’Algérie (hommes du culte musulman) qui prendra en charge les revendications d’ordre cultuel et culturel du peuple algérien. Des hommes de culte tels que Ben Badis, Ahmed Tewfiq Madani ou Moubarek El Mili verseront à la littérature anticolonialiste des textes de qualité dont la portée dépassera les frontières de l’Algérie.

C’est El Bassaïr qui prendra la suite d’Echihab où la plume de Bachir El Ibrahimi révèlera les dons du journalisme chez les personnalités du culte musulman qui, affirmaient-ils dans leurs statuts, s’occupaient beaucoup plus du religieux que du politique. Politique ou pas politique, l’association a droit au même régime répressif pratiqué contre d’autres formations politiques par l’administration coloniale.

C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale – que j’aime qualifier de guerre euro-européenne —, que la presse nationaliste et politique accèdera à un autre cap, comme je devais le souligner, étape où le verbe – le mot voulais-je dire – est plus tranchant face à une censure toujours à l’affût et aux abois.

Après avoir dirigé Égalité, organe du grand et fébrile rassemblement des AML (Amis du manifeste et de la liberté), Ferhat Abbas va garder ce même titre (Égalité) pour son nouveau parti l’UDMA (Union démocratique du manifeste algérien), avant de devenir la République algérienne jusqu’en 1955.

De grandes et prestigieuses plumes marqueront cette sensible étape au sein de cet organe. Aziz Kessous, Ahmed Boumendjel et Ahmed Benzadi sont certainement les plus prolifiques dans la fabuleuse aventure de la République algérienne. Aziz Kessous ira, plus tard, vers d’autres horizons en créant Communauté algérienne, une suite logique de l’Entente franco-musulmane du docteur Bendjelloul qui, l’un et l’autre, défendaient l’amitié entre les deux communautés devant présider à l’avenir algérien, une amitié dont ne voulait pas – malheureusement pour les deux défenseurs de la «fraternité entre Algériens et Français» — le grand nombre de pieds-noirs d’Algérie, refusant de rejeter et de condamner le fait colonial.

La République algérienne de l’UDMA deviendra une importante tribune où les problèmes nationaux et internationaux sont largement débattus. C’est Ferhat Abbas, nous le signalons à nouveau – comme un enseignant qui a la manie de se répéter – qui va révéler des dons exceptionnels dans l’écriture journalistique. Infatigable, le pharmacien de Sétif – le seul pharmacien qui n’aime pas les ordonnances, disent de lui les journalistes français, parce que l’ordonnance Régnier de 1944 ne fut pas de son goût – signe chaque semaine un éditorial sur des sujets variés et dont la cible principale était, bien sûr, le colonialisme et ses représentants tant en France qu’en Algérie.

Parmi les correspondants les plus en vue – ils n’étaient pas légion –, c’est Mohamed Bensalem de Laghouat qui alimentait plus que tous les colonnes de la République algérienne par des réquisitoires qui troublaient et tourmentaient le colonialisme et ses auxiliaires à la fois. De l’étranger, c’est-à-dire du Bureau du Maghreb arabe, au Caire, ce sont les articles de Mostefa Bachir, un correspondant qui faisait montre d’une très vaste culture, d’une capacité d’analyse et de synthèse remarquables. C’est également du Caire, où il se trouvait en exil, que Ali El Hammami alimentait les colonnes de la République algérienne d’études biographiques sur les illustres et grands personnages de l’histoire d’Algérie et du Maghreb. L’érudition du militant de l’exil, ancien compagnon d’armes du vaillant Abdelkrim El Khettabi, était amplement avérée.

Dès 1953, c’est la plume du philosophe Francis Jeanson qui vient enrichir les débats et les luttes politiques anticolonialistes dans les colonnes de la République algérienne. Je ne pense guère me tromper en soulignant – avec force et conviction, l’histoire étant aussi et surtout une question d’interprétation — que ce sont ces moments vécus dans la presse nationaliste et ses séjours en Algérie qui vont lui permettre de côtoyer les hauts responsables de l’UDMA, qui vont dicter à Francis Jeanson son action future et son adhésion entière à nos côtés pendant le combat armé de Novembre 1954.

Ce n’est donc pas un hasard que le compagnon de Jean-Paul Sartre met en place un réseau – qui prendra son nom – pour accomplir les missions les plus engagées et les plus périlleuses «pour le compte du FLN».

Faire une synthèse du combat par la plume, soutenu par un «journalisme militant» est une gageure. Autrement dit, des études plus approfondies et mieux élaborées (l’université algérienne est désignée pour s’impliquer par obligation et par devoir) doivent être consacrées au sujet. C’est à travers les écrits qu’on parvient à cerner le mieux les idées et les opinions de leurs auteurs.

Le journalisme dans les luttes politiques et dans le combat armé

Même si nous prenons le risque – ou la maladresse volontaire – de nous répéter dans cette suite – logique – sur la vie intense du journalisme militant, la démarche est mue par un souci de compléter et (re) mettre en avant des pages et des noms, mal connus ou complètement oubliés, et justement pour une tentative de protection d’une amnésie compromettante qui prive et altère notre mémoire, l’amputant de l’histoire de la presse nationaliste et de ceux qui l’ont servie.

Le journalisme de combat politique et anticolonialiste était, en vérité, j’insiste à nouveau pour le signaler, un journalisme militant. Autrement dit, tous ceux qui savaient manier la plume, dans la langue de Zola notamment, devaient donc le faire pour accuser – c’est le cas de le dire – un régime coupable de mille et un méfaits, portant ainsi de graves atteintes à la dignité du peuple algérien.

Les différentes étapes et les différents titres – quotidiens et périodiques – de ce mouvement d’écriture d’opposition au fait colonial méritent une meilleure et scrupuleuse exploration. Une situation qui nous invite à davantage d’investigations pour une meilleure lecture – complète et objective – du combat nationaliste à travers ses différents courants.

Les journalistes, étant les «historiens du présent», les écrits antérieurs à l’explosion du 1er Novembre 1954, nous permettent, par voie de conséquence, de reconstituer l’histoire et l’évolution de la presse politique et nationaliste et, à travers son contenu, cerner, comprendre et analyser la conduite des luttes du mouvement de contestation d’un régime – le colonialisme français – qui a engendré un cortège de malheurs que les peuples colonisés en général et le peuple algérien en particulier avaient subis.

En visitant cette intense, enthousiaste et passionnante traversée, conduite pendant presque un demi-siècle par des plumes les plus fébriles, nous faisons le constat d’un fait capital, à savoir que le plus gros de la littérature qui a alimenté les journaux du nationalisme algérien est rédigé dans la langue du colonisateur. Cela s’inscrit dans la logique des choses. La perspicacité et l’efficacité de ce combat ne pouvaient s’affirmer sur le terrain qu’en s’exprimant dans la langue d’un régime qui persistait honteusement dans la répression, l’exploitation et l’humiliation du peuple algérien.

N’oublions pas non plus que l’appel du 1er Novembre 1954 fut rédigé en français.

Le docteur Frantz Fanon, dans L’an V de la révolution algérienne, explique mieux cette réappropriation et utilisation d’une langue – dite étrangère – comme élément de combat et d’expression, dans la conduite et la poursuite d’un ultime sursaut, celui du recours aux armes et à la violence pour détruire un système qui s’est imposé, lui aussi, par la violence.

La montée du nationalisme algérien s’enclenche au début du XXe siècle avec un grand précurseur qui entreprend les premières luttes par la parole mais aussi et surtout par la plume. Nous voulons nommer l’Émir Khaled, petit-fils de l’Émir Abdelkader. Issu d’une lignée de grands résistants, depuis l’occupation d’Oran par les Espagnols, l’Émir Khaled va porter des coups sévères à l’administration française, aux colons et à une ligue de féodaux algériens et «intellectuels» de service, de l’espèce de Mohamed Soualah. Ces coups, véritables menaces des intérêts coloniaux, se traduisent par une série d’articles percutants qu’il signe dans son journal, El Ikdam.

Dès lors, l’Émir Khaled subit les foudres du colonialisme. De fortes pressions et intimidations le condamnent de choisir entre le silence ou le bannissement. Il meurt dans l’exil, à Damas, privé de sa patrie et de son peuple. Avant son exil forcé, l’Émir Khaled écrit dans Le Trait-d’union de son ami Victor Spielman, un inlassable et grand défenseur des intérêts de la paysannerie algérienne, soumis, lui aussi, à de multiples persécutions des colons et du régime qui les soutient.

Victor Spielman, sillonnant les chemins d’un pays ravagé, décrit dans ses écrits et autres brochures des images de désolation. Le compagnon de l’Émir Khaled s’insurge contre le sort qui est fait à ses semblables – des êtres humains. Nul autre que lui n’a poussé autant de cris de détresse pour résoudre un système, construit sur la rapacité et l’égoïsme des hommes, à plus de justice envers des milliers de malheureux, dépouillés de leurs richesses, alors qu’autrefois, avant l’invasion dévastatrice, ils vivaient dans un bien-être alimentaire, sanitaire et culturel.

Victor Spielman et son combat par la plume et par l’action est un personnage sur lequel notre histoire devra nécessairement s’attarder. Une noble figure que le journal de Ferhat Abbas n’aura pas oubliée. Le 22 janvier 1954, la République algérienne rendra hommage à Victor Spielman en ces termes : «Il y a onze ans, le 12 janvier 1943, mourrait à Alger, à l’âge de 76 ans, Victor Spielman, un des premiers combattants pour la reconnaissance de la souveraineté algérienne. La République algérienne se devait de rendre un hommage public à ce précurseur méconnu du Manifeste du peuple algérien, dont la vie tout entière fut consacrée à la réalisation de son idéal, en dépit des menaces, des brimades et des calomnies dont la grosse colonisation ne cessa de l’abreuver jusqu’à sa mort. Victor Spielman… un nom associé à celui de l’Émir Khaled, un pionnier de la véritable communauté algérienne, dont le souvenir mérite d’être pieusement conservé dans le cœur de ceux qui ont voué leur existence à lutter contre l’injustice et l’arbitraire.»

Victor Spielman, un nom lié aussi à celui de Ali El Hammami et dont les échos venaient de l’exil grâce à une «plume polyglotte» qui traquait le colonialisme à travers des écrits qui suscitaient le respect et l’admiration de l’ensemble du personnel politique anti-colonialiste.

Des pages méconnues qu’il faudra combler un jour.

Nous sommes toujours dans les années 1920. Sur l’autre rive, dans le Paris des communards, c’est l’Étoile nord-africaine et son premier président fondateur, Abdelkader Hadj Ali, qui tiennent la dragée haute aux tenants du régime. C’est le journal El Ouma qui permet à cette époque aux Algériens d’exprimer leurs revendications les plus audacieuses et les plus légitimes.

Ce journalisme de combat va évidemment révéler des noms qui, grâce à leur enthousiasme, leur courage et leur sentiment patriotique élevé, s’affirmèrent dans le talent de l’écriture journalistique et dans une maîtrise inouïe de la langue française. À Laghouat, nous retrouvons Mohamed Bensalem qui va faire de la plume sa principale arme de combat. Il l’opposera plus d’une vingtaine d’années au régime du sabre. C’était cette triste époque où les «Territoires du Sud» étaient confiés au commandement militaire qui, avec la complicité des caïds, aghas et bachaghas, avait le droit de vie et de mort sur les populations algériennes.

Les écrits de Mohamed Bensalem qui dénoncent le régime d’exception qui sévit dans le Sud algérien voyageront à travers les journaux de différents courants politiques depuis 1930 jusqu’en 1954. Les pamphlets de Mohamed Bensalem sont repris par la Défense de Mohamed Lamoudi, Alger socialiste, l’Œuvre de Paris, la Voix du peuple, Oran-républicain, Alger républicain ; puis, depuis 1945, par Égalité et la République algérienne de Ferhat Abbas dont il deviendra l’un des principaux compagnons et le représentant attitré et redoutable de l’UDMA.

Dans cette corporation du journalisme militant, une plume des plus prolifiques va émerger. Elle a d’ailleurs son détenteur dans le journalisme professionnel dans l’Algérie indépendante. Nous voulons nommer Abdelkader Safir qui sera le premier à révéler le nombre de victimes de l’hécatombe du 8 mai 1945 – 45 000 morts – dans un remarquable reportage paru dans Égalité en 1947. Abdelkader Safir décrit avec une foule de détails et avec des accents émouvants le martyrologe du peuple algérien à Sétif, Kherrata et Guelma.

L’histoire de la presse politique et nationaliste – tous courants confondus – mérite que l’on s’y attarde plus amplement, depuis le mouvement des Jeunes algériens, tout à fait au début du XXe siècle, jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec l’UDMA, le PPA-MTLD, le PCA, les Oulémas, une étape marquée par l’accélération de l’histoire qui débouchera sur la déflagration du 1er Novembre 1954.

Les institutions dans l’enseignement de la communication et du journalisme ont de la matière à profusion. Le terrain est encore vierge. Il faut se mettre à le défricher.

Chaque titre mérite une étude spéciale. Les pages les plus nobles et les plus performantes, dans la polémique, le commentaire, l’enquête et le traitement des thèmes où l’anti-colonialisme est au cœur des luttes, risquent d’être englouties par l’oubli.

L’étude de l’histoire de cette écriture militante, si riche par son contenu, son engagement contre les colonialismes et toutes formes d’injustices, les risques qu’elle entraîne vis-à-vis d’une élite de la plume, la qualité et la clarté dans l’expression des idées et des opinions, est capable de nous révéler les vertus du peuple algérien, ses rêves, ses ambitions et ses désirs dans la construction de l’Algérie de l’indépendance.

Le journalisme dans le combat armé

C’est dans ce sillage que va se poursuivre l’écrit journalistique proprement dit. Celui que nous allons retrouver au cœur du combat de Novembre 1954. C’est toujours la plume engagée et militante qui sera à l’honneur.

Les armes à feu crépitent dans les djebels. Une autre arme, redoutable elle aussi, va se joindre au combat pour côtoyer le fusil. C’est, bien sûr, de la plume qu’il s’agit.

Le FLN, conscient que le combat devra couvrir tous les aspects et plusieurs fronts, met en place des noyaux d’intellectuels capables d’alimenter une presse aux fins de propager partout, qu’en Algérie il y a un peuple en insurrection contre l’empire colonial français en pleine désagrégation et dont le glas sonnera ici-même où son expansion en terre africaine fut enclenchée en 1830.

La presse dans la guerre naîtra dès 1956 avec la création d’un organe du Front de libération nationale qui portera le titre de Résistance algérienne. Une devise, par le peuple et pour le peuple, sera reprise par El Moudjahid qui devient, dès 1956, le seul et unique organe du FLN, en remplacement des trois éditions de Résistance algérienne. En effet, l’impression de Résistance algérienne comportait trois éditions, tirées en trois lieux différents : l’édition A à Paris, l’édition B au Maroc et l’édition C en Tunisie.

Résistance algérienne, qui naquit le 22 octobre 1956, est fidèle à l’idéal maghrébin dont l’unité et déjà annoncée et prescrite avec la naissance de l’Étoile nord-africaine en 1924, animée par les leaders des trois pays. Résistance algérienne se distingue comme un organe d’avant-garde puisqu’il mentionne expressément, en même temps qu’il est l’organe du FLN, que son rôle et son action s’inscrivent également «pour la défense de l’Afrique du Nord». Cette dimension – la dimension maghrébine – est permanente dans tout le parcours politique du nationalisme algérien. L’appel du 1er Novembre 1954 cosigne lui aussi ce principe et inscrit dans son programme qui naît dans le feu le noble objectif de construire le Maghreb dans la nécessaire unité des pays qui composent cette entité.

Résistance algérienne, de par le contenu des trois éditions (Tétouan, Tunis et Paris), et grâce à la compétence des équipes rédactionnelles, aborde tous les chapitres de la lutte armée menée par le peuple algérien et son avant-garde, le FLN. Cependant, pour alerter l’opinion française et l’opinion mondiale ainsi que les instances internationales, il aborde avec beaucoup de réprobation le dossier de la répression et de la torture.

En effet, le FLN tenait à rallier l’opinion publique partout dans le monde en dénonçant les représailles, les tueries collectives et la torture qui, somme toute, s’est instaurée comme une véritable institution avec ses sinistres tortionnaires professionnels et ses instruments de torture odieusement conçus.

El Moudjahid, tant en arabe qu’en français, poursuivra une mission primordiale, à savoir combattre la propagande mensongère française en lui opposant des dossiers dont la véracité était loin d’être démentie.

D’autant plus que dans l’édition en langue française, on retrouvait des éléments qui ont toujours revendiqué leur algérianité, tels que le docteur Pierre Chaulet et son épouse Claudine ou encore la noble figure de Frantz Fanon, un autre docteur qui a choisi l’Algérie comme patrie et décidé de sa battre et de mourir pour elle, pour faire triompher la justice contre l’iniquité, l’exploitation et l’humiliation.

APS : naissance d’une institution d’information dans une République en guerre

Il suffit de regarder de très près et pénétrer au cœur de l’insurrection du 1er Novembre 1954 pour constater que le FLN, l’ALN et le peuple algérien ne menaient pas un combat par les armes uniquement pour détruire un système, introduit en Algérie depuis 1830, mais jetaient en même temps les assises et les bases pour la réinstauration de l’État national, annoncé de manière éclatante, intelligente et révolutionnaire par un prestigieux bâtisseur et résistant exemplaire : l’Émir Abdelkader.

Le même schéma va en effet se reproduire dès novembre 1954, dès lors que les dirigeants de la Révolution algérienne ne vont pas limiter le combat uniquement dans son aspect strictement militaire.

C’est au lendemain du Congrès de la Soummam – août 1956 – que les tâches et les missions vont être définies et conduites avec précision et efficacité. Entre autres, cela prend naissance avec l’institution d’assemblées locales dont l’animation et le contrôle sont confiées au commissaire politique. Leur rôle consiste à se substituer à l’administration et à la justice coloniales. À noter, pour l’histoire, ces juridictions avaient déjà pris naissance dans les années 1940 en application du programme du PPA-MTLD et dont le rôle principal consistait à statuer sur toutes les questions, rapports sociaux, conflits, notamment en milieu rural, et éviter ainsi qu’ils soient portés devant l’appareil judiciaire français.

Il en est de même pour les services de santé de l’ALN qui n’étaient pas réservés uniquement aux combattants mais prenaient en charge les préoccupations du monde rural en matière d’hygiène et d’assistance médicale. Un monde que le colonialisme français négligeait totalement. Il faut avouer, sans exagération aucune, que nous assistons d’ores et déjà aux premiers embryons d’un ministère de la Santé publique en gestation en état de guerre et en prévision d’une Algérie indépendante.

Le personnel combattant affecté aux services des transmissions va permettre la mise en place des structures de cette même nature au niveau de la radio-télévision et assurer le fonctionnement des collectivités locales (wilaya) d’un pays qui venait de reconquérir sa souveraineté.

La diplomatie algérienne, au talent insoupçonné des représentants du FLN et, plus tard, du GPRA, va réussir à isoler la France coloniale partout dans le monde et au niveau des organisations internationales et des instances onusiennes. Cette compétence acquise dans le feu va révéler, après 1962, de brillants diplomates dont certains seront sollicités dans le règlement de conflits internationaux. L’information, pour sa part, va jouer un rôle majeur. D’une part, informer le peuple algérien de l’étape décisive qu’il est en train de vivre et le mobiliser davantage aux tâches multiples qu’il doit mener pour triompher de l’occupation française. Et, d’autre part, sensibiliser l’opinion internationale et les gouvernements sur le droit des peuples à leur autodétermination et, aussi et surtout, alerter cette opinion sur la répression conduite par l’armée française pour faire taire la voix des insurgés de novembre 1954.

L’information conçue par les dirigeants du FLN visait également à contrecarrer tous les mensonges véhiculés par les institutions officielles françaises, destinés à tromper l’opinion publique de l’Hexagone et l’opinion publique internationale.

Plusieurs instruments vont être mis en place, aussi performants et aussi efficaces les uns que les autres. Dès 1956, le mouvement, dans ce domaine crucial à plus d’un titre, va s’accélérer. Un service cinéma est lancé grâce à Djamel Chanderli et René Vautier. Ce dernier, engagé avec la cause algérienne, va, dans le feu de l’action, contribuer à la formation d’une équipe qui prendra les destinées du cinéma de l’Algérie indépendante.

En octobre 1956, la presse écrite entre en scène avec trois éditions de Résistance algérienne, premier organe qui va s’effacer au profit d’El Moudjahid qui sera le seul porte-parole du FLN. C’est également en 1956, que la Voix de l’Algérie libre va inonder de très vastes espaces. C’est avec une ferveur toute particulière que les familles algériennes vont écouter, l’oreille collée au poste TSF ou au poste à transistors, une voix jamais égalée, celle du célèbre et légendaire Aïssa Messaoudi, dont Houari Boumediène dira de lui qu’il incarnait les 50% de la Révolution algérienne.

C’est en septembre 1958 que s’ouvrira une nouvelle étape, celle qui va élargir davantage les espaces que va conquérir l’information. Il s’agit de la création du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne). Un événement de taille dans l’histoire de la guerre de Libération nationale. La réinstauration de l’État algérien prend forme progressivement. Avec une telle institution, la voix de l’Algérie combattante va à la conquête de nouveaux horizons.

Un département fébrile va tenir la dragée haute aux tenants du régime colonialiste. C’est celui de l’information. Un ministère confié à un homme exceptionnel aux qualités extraordinaires : M’Hamed Yazid. Celui qui lança une boutade selon laquelle qu’à lui seul il assumait l’action d’un véritable bataillon de l’ALN. L’allusion est faite également au travail de titan accompli avec brio, aux côtés de Abdelkader Chanderli, dans les coulisses de l’ONU, avant sa désignation comme ministre de l’Information dans le nouveau GPRA. Comme une République qui se respecte et un État qui se respecte, il faut bien que celui-ci et sa République – dont le peuple se trouve en état d’insurrection depuis novembre 1954 – crée ses propres institutions au même titre que tous les autres États qui jouissent, eux, d’une pleine et entière souveraineté. Ce sont ici les exploits et les prouesses de la Révolution algérienne.

Ainsi, parallèlement à la parution de l’organe du FLN, El Moudjahid, le ministère de l’Information, sous la conduite remarquable de M. M’Hamed Yazid, va créer l’APS (Algérie presse service) que les équipes rédactionnelles qu’on retrouve dans la plupart des missions du GPRA vont alimenter de dépêches et de communiqués sur l’ensemble des activités du gouvernement et sur l’action de l’ALN et des réseaux FLN.

L’APS lance également sa propre revue dont les différentes rubriques sont le fruit de synthèses d’informations couvrant les activités les plus diverses et les luttes sur tous les fronts dont celles que le Congrès de la Soummam a mises en avant avec ordre impératif et recommandation expresse, à savoir le renforcement continu de la lutte armée.

En plus du Bulletin proprement dit, concernant l’APS, l’agence édite d’autres bulletins aussi utiles les uns que les autres, tous relevant, bien sûr, du ministère de l’Information qui en assure la réalisation et la diffusion. Même si la confection se fait – en partie – avec les moyens du bord (impression par ronéo), cela n’enlève en rien à la valeur du contenu des bulletins, l’importance des sujets qui y sont traités, surtout l’effort soutenu quant à leur diffusion et leur propagation.

La production et l’abondance de commentaires, de synthèses, de dépêches composaient la Revue de la presse, le Bulletin politique, le Bulletin de l’Algérie combattante (en arabe et en français), le Bulletin d’information, le Bulletin de la mission du GPRA au Maroc… Le nombre très appréciable des bulletins a fait en sorte que l’APS de l’Algérie combattante s’est imposée parmi toutes les autres agences du monde en quête d’informations sur un peuple en état de guerre contre un empire colonial qui s’effrite et se désagrège pour périr définitivement en terre algérienne.

Une armée de libération qui a été capable de livrer d’âpres batailles à une armée plus forte en effectifs et mieux équipée en armement de guerre ; une diplomatie qui remporte d’autres victoires sur le front diplomatique ; un gouvernement provisoire qui mène le combat sur le terrain politique ; l’emploi avec ténacité et clairvoyance d’une arme aussi redoutable que le
fusil : la plume. C’est-à-dire, un journalisme militant qui a d’abord entamé son baptême dans le mouvement nationaliste et qui poursuit ce combat, cette fois-ci, aux côtés des armes qui crépitent à volonté. Un journalisme qui a servi dans Résistance algérienne, à El Moudjahid et qui a permis de doter un gouvernement provisoire d’une agence de presse (APS) qui fut capable de produire et de véhiculer une somme volumineuse et appréciable d’informations, afin que partout dans le monde on sache qu’en Algérie, il y avait un peuple qui s’est emparé des armes pour conquérir sa liberté et sa dignité.
A. B.



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