Algérie - Revue de Presse

Le journal Le Monde perd sa tête



Jean-Marie Colombani, qui dirige le journal français le plus réputé internationalement, vient d'être sèchement congédié par sa rédaction. Plongée dans un petit monde secoué par les finances internationales et l'Internet. Mes premiers souvenirs de presse remontent au début des années 60, au fond du Sahara. Mon père était abonné au journal Le Monde. Et tous les jours, je le voyais déchirer la petite enveloppe de papier kraft qui entoure le quotidien pour s'y plonger religieusement. L'exemplaire datait de trois ou quatre jours mais, à l'époque à Colomb Béchar, la radio n'existait pas et la télévision était une drôle de chose en noir et blanc qu'en voyait pendant les vacances en France. Je me souviens encore, jeune enfant, de la curieuse police de caractère du titre, je l'ai su ensuite, vaguement inspiré du gothique. Etudiant, j'ai commencé à le lire tous les jours. De mémoire, il était moins cher en francs d'alors qu'en euros d'aujourd'hui. Mais c'était une autre époque. Et quotidiennement depuis, j'ai sorti la monnaie nécessaire pour l'acquérir. Dans une sorte de réflexe machinal. Le matin en province, puis arrivé à Paris, en début d'après-midi. Pour avoir des informations. Pour m'enthousiasmer. Pour déplorer. Pour m'indigner.  Il faut dire que souvent, ces dernières années, je passais au kiosque en sachant que j'allais me mettre en colère sur l'orientation de tel ou tel article, sur la partialité d'un éditorial, le raccourci scandaleux de la titraille, la manipulation d'une mise en page. Mais je l'achetais néanmoins le lendemain.  C'est ça, le miracle de la presse quotidienne: des gens dépensent tous les jours de l'argent pour la lire, en réalité juste pour vérifier qu'ils sont bien en désaccord avec la ligne éditoriale du journal, et qu'une fois de plus, la preuve est faite de la duplicité sans précédent de leur quotidien préféré. Bref, comme dans les vieux couples un peu aigris qui cohabitent sans nécessairement se manifester de tendresse mutuelle, Le Monde fait partie de mon quotidien. Tremblement de terre médiatique J'ai donc appris hier soir par la rumeur, puis par la radio, l'incroyable nouvelle. Les 400 journalistes du Monde et bien d'autres du groupe avaient décidé par un vote de virer Colombani, le directeur du journal, le directeur de la rédaction, de la tête du journal !  Explications: il faut savoir que l'histoire un peu coopérativiste du Monde fait que le président de la société éditrice doit mettre régulièrement en jeu son titre devant le conseil d'administration (dans le cas « conseil de surveillance ») où les journalistes sont représentés. Par un savant calcul, il faut qu'il obtienne 60% d'adhésion auprès de ses subordonnés. Au scrutin d'avant-hier, la rédaction du groupe s'est majoritairement opposée à sa candidature à la présidence du directoire. Le journaliste, pourtant unique candidat, n'a recueilli que 48,49% de votes favorables. Loin des 60% nécessaires. 48,6% se sont prononcés contre sa candidature et 3,01% ont choisi un bulletin « abstention ».  La société des rédacteurs du Monde (SRM), qui a sanctionné Jean-Marie Colombani, réunit tous les journalistes du groupe — ceux qui travaillent pour le quotidien national mais aussi pour les magazines (Télérama, La Vie...) et les quotidiens régionaux (Midi Libre...). Elle exercera son droit de veto sur la nomination de Jean-Marie Colombani lors du conseil de surveillance qui doit élire le nouveau président du directoire.  L'édition du jour du Monde, en dernière page, a consacré à l'évènement une demi-colonne, sous le titre ampoulé et abscons tout à fait dans le « style Le Monde »: « La société des rédacteurs du « Monde » n'est pas favorable à la reconduction de JM Colombani ». « N'est pas favorable ». Ah ! Les charmes de la litote !  Il n'empêche pas moins que l'affaire a fait évènement. Ce fut même un tremblement de terre médiatique ! Le sujet a été largement relayé par les télévisions et un quotidien concurrent, Libération, en a fait sa Une avec une photo pleine page de Jean-Marie Colombani avec le titre « La fin d'un Monde ». Aujourd'hui, Google recensait plus d'une centaine d'articles sur le sujet.  Tempête dans un verre d'eau ? Certainement. Le grand titre Le Monde, quotidien français « de référence », vendait seulement 312.000 exemplaires en moyenne par jour en 2006 et l'érosion continue des ventes de 2,5% ne devrait pas s'arrêter en 2007. 312.000 exemplaires.  A peine une centaine de milliers de plus que votre journal préféré, le « Quotidien d'Oran » ! 312.000 exemplaires pour 64 millions d'habitants, soit un lecteur tous les 48.000 habitants. Et la dépêche annonçant le non-renouvellement d'un directeur d'une grosse PME (3.300 salariés) serait censée bouleverser les villes et les campagnes françaises ? Billevesées !  Et pourtant. C'est là tout le problèmes des relations très passionnelles du public à la presse quotidienne, qui subit par ailleurs en France une crise industrielle sans précédent.  - Erosion des ventes. Est considéré en France par les professionnels de la profession comme un « lecteur régulier » celui qui achète son quotidien au moins deux fois par semaine. On le constate depuis trois décennies, le pourcentage baisse chaque année. Ce n'est pas le cas partout dans les pays occidentaux, ni en Allemagne, ni en Angleterre, ni en Italie, ni aux Etats-Unis. On comptait plus de soixante titres en 1945, la presse nationale quotidienne française est réduite aujourd'hui à dix quotidiens: Le Monde, Le Figaro, Libération, Le Parisien, L'Humanité, La Croix, France-Soir, les « économistes » Les Echos et La Tribune, et enfin le sportif l'Equipe. En tout pour ces dix titres ? Moins de deux millions d'exemplaires vendus.  - Augmentation des coûts. La presse écrite est une industrie. Beaucoup de braves gens croient sympathiquement que la matière première est le cerveau des journalistes. Erreur fatale, la matière première est le papier qui connaît chaque année depuis plusieurs décennies des augmentations de 3 à 15%. La distribution organisée archaïquement par un quasi-monopole en France fait qu'un quotidien de taille moyenne est quasiment sûr de perdre de l'argent pour chaque exemplaire vendu dans des villes de moins de 20.000 habitants.  - Fragilisation des recettes publicitaires. Réceptacles naturels de « l'annonce presse », les journaux ont vu apparaître la concurrence d'abord de la radio, puis de la télé, aujourd'hui de l'Internet, demain d'une combinaison téléphone portable télévision Internet, consultable partout et à tout moment, quasi gratuitement ou à très faible coût. Pourquoi l'Humanité ou La Croix réussissent, avec à peine 50.000 ventes/jour chacun, à résister ? Parce qu'ils possèdent un titre connu de tous les Français et donc crédible. C'est ce que l'on appelle, en marketing, une « stratégie de marque ». L'irruption du Net Jean-Marie Colombani a été l'un des premiers patrons de presse a comprendre que la marque « Le Monde », du fait de sa crédibilité journalistique, gagnerait rapidement beaucoup plus d'argent sur le Net, grâce à la publicité, qu'en ventes d'exemplaires « papier ». Ses erreurs sont ailleurs, qui lui valent d'être sévèrement congédié par sa propre rédaction.  Tout d'abord, sous l'influence d'un gourou économiste aux talents incertains, Alain Minc, le journal Le Monde s'est lancé, il y a quelques années, dans la volonté de constituer à marche forcée un grand groupe de presse, la SEM, « Société d'édition Le Monde ». Au résultat: le rachat de plus de 60 titres de presse. Le tout au prix d'un endettement sévère et des pertes financières rudes: 145 millions d'euros en six ans.  L'autre critique porte sur la ligne éditoriale du Monde. Fondé à l'issue de la Seconde Guerre mondiale par un groupe de résistants proche d'un courant social-chrétien, Le Monde avait fait de l'objectivité non partisane un dogme. Ce qui ne l'avait pas empêché de prendre des positions courageuses lors des guerres ou luttes d'indépendance dans les anciennes colonies françaises. Le Monde avait également accompagné le basculement à gauche de la société française à partir de 1968. Son lectorat, très divers bien sûr, se retrouve néanmoins majoritairement au centre gauche, comme sa rédaction.  Cherchez l'erreur: Jean-Marie Colombani a fait de façon particulièrement militante campagne d'abord pour l'élection des candidats de droite Edouard Balladur puis Nicolas Sarkozy. Ce qui a énervé sa rédaction et dérangé beaucoup de ses lecteurs. Ces mêmes lecteurs, souvent fonctionnaires ou syndicalistes, ont lu des années durant, sans entrain particulier, de grands éditoriaux vantant les perfections de la globalisation ou les triomphes de la libre entreprise. Divorce pour beaucoup.  Qu'adviendra-t-il du journal ? Une crise certainement, dans un environnement économique difficile. Les grands groupes français qui dirigent les médias français, liés les uns à l'industrie de défense (Hachette, Lagardère et Dassault), les autres au BTP (Bouygues) ne manqueront pas de s'intéresser à cette marque prestigieuse mais endettée. A suivre. Irak: Blair y va et s'en va Tony Blair est arrivé hier à Bagdad, où il doit, pour sa dernière visite officielle en tant que Premier ministre britannique, rencontrer son homologue Nouri al-Maliki ainsi que le président irakien Djalal Talabani. La décision controversée de Tony Blair, en 2003, de joindre les forces britanniques à celles des Etats-Unis, en dépit de l'hostilité de l'opinion de son pays, demeurera comme un des moments critiques de sa décennie à la tête du gouvernement britannique. La catastrophe irakienne l'oblige à quitter prématurément le 10, Downing Street. Il démissionnera le 27 juin.


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