Algérie

"Le jour où on a attaqué l'Ecole des officiers de Cherchell"




«Cette attaque a été menée pour marquer les 20 Août 1955 et 1956»Comme la date du 20 août est symbolique, il fallait une cible tout aussi symbolique pour la marquer.De 1830 à 1954, après 124 ans de souffrances, pendant lesquels l'occupation française a fait tout endurer au peuple algérien, un groupe de patriotes a décidé d'en découdre une bonne fois pour toutes. Objectif: arracher, quelles que soient les conditions, l'indépendance du pays. Le peuple ayant adhéré à la démarche, la Guerre d'indépendance a été déclenchée le 1er novembre 1954 pour ne prendre fin qu'à l'été 1962, l'objectif final étant atteint.Pendant cette période (1954-1962), des milliers de batailles, d'embuscades et d'attaques contre l'armée française ont été menées avec bravoure par les combattants de l'Armée de Libération nationale (ALN).Les deux premières années de la guerre ont été marquées notamment par les attaques du Nord Constantinois le 20 Août 1955 et du Congrès de la Soummam le 20 Août 1956. Dès lors, cette date devenue symbole de la lutte est à commémorer chaque année au niveau des six Wilayas historiques.Pour marquer l'événement en 1957, l'ALN avait décidé d'organiser une attaque générale contre les intérêt français pour manifester sa présence partout en Algérie. Nous relatons ici l'une des actions les plus symboliques de cette journée du 20 Août 1957. Il s'agit de l'attaque de l'Ecole des officiers de Cherchell. Mohamed Chérif Ould El Hocine, officier de l'ALN, élément de la compagnie El Hamdania, qui activait dans la zone II de la Région III (Wilaya IV), a participé à cette attaque. Rencontré dans sa maison à Alger, il nous en fait le témoignage, convoquant les détails de l'attentat.Une cible symbolique pour une date symboliqueLa katiba El Hamdania, conduite par son chef Si Moussa Kellouaz El Bourachdi, a formé neuf groupes chargés d'attaquer les villes de Cherchell, Sidi Ghilès, Hadjret Enous, Gouraya, Béni Haoua, Damous, Menacer, Sidi Amar, ainsi qu'un poste militaire de la région de Larhat, se remémore Ould El Hocine.Comme la date du 20 Août est symbolique, il fallait une cible tout aussi symbolique pour la marquer. Et quelle cible était-elle mieux indiquée que l'Ecole des officiers de Cherchell' Ce monument de l'armée française formait ses officiers et ses sous-officiers en fonction des besoins de la France. En ciblant cette école, les combattants de l'ALN ont décidé de frapper fort pour marquer les esprits. «J'avais été affecté au groupe qui devait attaquer l'Ecole des officiers de Cherchell. Nous étions 11 éléments dans le groupe commandé par Si Ahmed Kellassi, l'adjoint de Si Moussa. Nous portions des armes légères, fusils Garant ou Mas 56, que nous avions récupérées sur l'ennemi lors des embuscades. Même nos habillements étaient récupérés», raconte Ould El Hocine. Dans le groupe, il y avait aussi Hamid Hakan, Saïdji, Mohamed Lahbouchi et son frère Ahmed, tous originaires de Cherchell.Le chef de la kabita El Hamdania avait donné instruction aux neufs groupes de passer à l'action à la même heure, soit à 20 h tapantes. Les participants aux attaques devaient se retrouver le lendemain entre 4 h et 5 h du matin, dans les monts du Zaccar, pour exposer les rapports des opérations.«Nous étions dans le Zaccar qui domine Miliana, Cherchell et d'autres villages environnants. L'attaque était prévue à 20h. A la même minute, nous devions tous lancer Allah Akbar'' et tirer sur la cible», récite encore le moudjahid. Du haut de ses 81 ans, il poursuit son récit avec beaucoup d'émotion; le souvenir des nombreuses batailles auxquelles il a participé l'ayant toujours marqué. Mais des monts du Zaccar à l'Ecole des officiers, il y avait de la route à faire. Au moins 5 heures de marche à pied à faire de nuit, pour éviter d'attirer l'attention de l'ennemi ou de ses collaborateurs. Ce n'est qu'à 5 h du matin qu'ils sont arrivés à une distance de 1 kilomètre de la ville de Cherchell.«Notre guide qui est le frère d'un membre de notre groupe, nous avait conduits jusqu'à une buse qui nous avait servi de cachette et qui se trouvait sous un pont de la route. Les camions de l'armée française passaient au-dessus de nous. Quelque temps après, le guide était parti se renseigner et nous apporter de quoi manger. En revenant, il nous avait ramené de la sardine en sauce», se souvient notre interlocuteur. Après avoir pris toutes les précautions, les moudjahidine devaient avancer, car les 20 h approchaient au fur et à mesure que le soleil de ce 20 Août 1957 se penchait vers sa couchette. Il fallait traverser le douar Sidi Yahia, dernier village qui les séparait de l'Ecole des officiers. La sécurité du passage était assurée par l'agent de liaison et certains militants civils du FLN. Il faut dire que le village était acquis à la cause nationale.«C'est à 19 heures que nous avions traversé ce village qui était à vol d'oiseau de notre cible. Quand nous l'avions traversé, les gens nous sautaient au cou pour nous embrasser et nous encourager. Ils étaient formidables et nous étions émus. J'avais les larmes aux yeux. On n'avait pas peur pour nous-mêmes, mais on avait peur pour les civils, car on savait que c'était ce peuple qui allait payer la revanche de l'armée française», précise-t-il. Il poursuit: «Nous sommes montés sur un monticule pour lancer l'attaque. Nous allions attaquer la cible et nous replier en toute vitesse. On ne devait en aucun cas nous introduire dans l'école. On devait faire très attention pour ne pas être blessé ou tué. Nous nous sommes mis à genoux l'un à côté de l'autre, les mains serrées sur nos fusils Garant ou Mas 56, les doigts prêts à appuyer sur la gâchette. A quelques dizaines de nous, il y avait un poste avancé de l'armée mais il était vide.»Il est déjà 20 hMais avant de passer à l'action, il fallait attendre encore quelques minutes avant les 20 h. Mais attention, il est déjà 20h. «Allah Akbar», crient les combattants en lâchant leurs salves, nourries de soif de liberté. «On a tiré pendant environ 15 minutes. C'était la panique dans la caserne, on entendait les cris de douleur des soldats surpris par notre attaque, les sirènes hurlaient, c'était le branle-bas pendant quinze à vingt minutes et on a quitté aussi vite les lieux», relate Mohamed Cherif Ould El Hocine. «Au retour, les villageois nous ont applaudis de nouveau. Nous avons marché très vite pour quitter le douar et rejoindre Si Moussa dans le Zaccar pour lui présenter le rapport de l'action», a-t-il poursuivi. Le lendemain, la ville était quasiment morte. L'armée française ne s'est pas aventurée à sortir, de peur de subir des embuscades et d'autres attaques. Même les avions étaient restés cloués au sol. «Il aurait fallu attendre le surlendemain pour voir l'armée ennemie se manifester et venger l'attaque qui a ciblé l'école. Tout l'arsenal de guerre a été utilisé. Aviation, camions et chars étaient utilisés pour tout ratisser. Les soldats ont torturé sans pitié les citoyens civils et arrêté plusieurs d'entre eux, car ceux-ci refusaient de fournir la moindre information sur les auteurs de l'attaque», se remémore encore notre moudjahid. L'objectif des attaques du 20 Août 1957 était de rappeler à la France coloniale que les forces de l'ALN sont toujours sur le terrain de la guerre jusqu'à l'indépendance du pays. Des milliers d'autres batailles ont été livrées avec héroïsme jusqu'à la consécration du rêve suprême proclamé le 5 Juillet 1962.Bio-expressMohamed Chérif Ould El Hocine est né à Hadjout (ex-Marengo) le 11 août 1933. Ancien officier de l'ALN, il est issu d'une famille originaire de Aïn El Hammam à Tizi Ouzou. Après ses études primaires, il a pris conscience de l'injustice de l'ordre colonial. Il rejoint alors les rangs de l'ALN en 1956 dans la Wilaya IV historique. D'abord, en tant que moussebel puis fidaï, il est intégré au sein du commando Si Zoubir dans la zone II, avant de faire partie de la katiba El Hamdania qui a infligé de nombreuses défaites à l'armée française. Membre du conseil sectoriel de Cherchell, responsable des renseignements et liaisons, il est nommé par la suite chef du secteur politico-militaire dans l'Ouarsenis (zone III), puis membre du conseil régional de Théniet El Had. En 1958, blessé au cours de la bataille de Douar Siouf, il est évacué vers le Maroc pour y être soigné. Après la période de convalescence, il est envoyé en 1960, en Hongrie pour y effectuer un stage professionnel à l'issue duquel il rejoint Tunis, siège du Gpra, en mai 1961. Aujourd'hui, Mohamed Chérif Ould El Hocine qui a déterré ses carnets de notes, se consacre à l'écriture de témoignages sur la Guerre d'indépendance. Ses livres sont édités dans trois langues (français, arabe et tamazight).




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